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domicile du prévenu? Cette expression comprend en général tous les lieux qui sont présumés recéler les pièces de conviction. La loi ne fait point d'exception: l'intérêt de la justice, qui est la manifestation de la vérité, veut que ses perquisitions s'étendent partout où elle est fondée à croire que ces pièces ont été cachées. Ainsi, il importe peu que le lieu où le juge croit devoir se transporter soit public ou privé, qu'il soit le siège d'un service général ou la demeure d'une famille, la loi ne pose aucune restriction, aucune limite: tous les intérêts, tous les droits s'inclinent devant le droit de la justice. La destination des lieux, leur affectation à tel ou tel emploi, peuvent motiver, suivant les circonstances, une circonspection plus grande, une réserve plus sévère; elles n'apportent aucune entrave à l'action judiciaire. Il importe seulement que le juge ne perde jamais de vue que pour justifier cette mesure il faut d'abord que le fait incriminé soit de telle nature que la preuve puisse en être acquise par les effets recherchés, ensuite qu'il y ait présomption que ces effets ont été cachés dans les lieux visités, enfin que la visite soit accompagnée de toutes les formes légales. Ces règles sont la garantie des droits des tiers.

Cependant, quelque général que soit le droit du juge d'instruction, n'existe-t-il aucun cas où ce droit doive fléchir? Peut-il, par exemple, se transporter dans le cabinet de l'avocat ou du médecin pour y faire des perquisitions? Peut-il se transporter dans les dépôts publics pour y faire la saisie des choses déposées? Le droit de transport est incontestable, et la question ne peut s'élever qu'en ce qui concerne le droit de saisie. Tous les lieux sont ouverts au juge qui se présente assisté du ministère public et du greffier, agissant en vertu d'une ordonnance et pour l'instruction d'une procédure. Mais c'est sur les lieux mêmes, c'est lorsqu'il s'agit de faire telles ou telles perquisitions, de saisir tels ou tels objets, qu'un intérêt non moins élevé, non moins précieux que celui de la justice elle-même, peut apporter dans certains cas une limite à son action. Nous examinerons cette question en recherchant les conditions du droit de saisie. Voy. infra, no 1817.

1808. Le juge a-t-il le droit, lorsqu'une perquisition spéciale n'a produit aucun résultat, d'ordonner une perquisition générale dans toutes les maisons d'un quartier ou d'une localité? Quelques auteurs ont résolu cette question par l'affirmative; ils considèrent que cette mesure peut être utile à la justice, et que la loi ne la défend pas expressément '. Il faut demander sa solution au principe même de cette matière: la visite domiciliaire n'est qu'un moyen d'instruction, et dès lors elle doit être essentiellement spéciale. En effet, elle ne peut, aux termes de la loi, s'appliquer qu'aux lieux sur lesquels pèse la présomption qu'ils recèlent les pièces de conviction. Or, cette présomption est établie par la loi en ce qui concerne le domicile du prévenu et par l'instruction en ce qui concerne le domicile du tiers. Ce sont donc les indices et les charges de l'instruction qui font, dans ce dernier cas, le droit du juge. Et quel est l'objet de ces indices et de ces charges, si ce n'est d'indiquer que les pièces se trouvent dans tel lieu, de désigner en un mot le lieu à la visite? C'est en cela que consiste le frein que le législateur a voulu apporter à l'emploi de cette mesure: toutes les maisons ne sont pas ouvertes à la justice, mais seulement celles qui sont frappées de suspicion. Il importe peu ensuite que le lieu où s'opèrent les perquisitions soit plus on moins étendu, qu'elles se fassent dans une ou deux maisons; il est seulement nécessaire que les lieux soient désignés et qu'une présomption fournie par l'instruction pèse sur eux. La perquisition générale est évidemment un moyen de recherche; elle ne peut être utile que lorsqu'il n'y a ni présomption ni soupçon contre un individu déterminé, pour recueillir les traces d'un délit ou pour en découvrir l'auteur. Or, tel n'est pas l'emploi que le législateur a voulu donner à la visite; il a protégé le domicile contre des entreprises téméraires; il a exigé des motifs graves pour l'enfreindre. Ces motifs sont une prévention régulièrement établie, et par conséquent la nécessité de rechercher, non point un délit non encore constaté, mais les preuves de ce délit.

1809. Le juge d'instruction est-il tenu de procéder à des visites domiciliaires, lorsqu'il en est requis par le ministère public? M. Carnot a résolu cette question en ces termes : « Le juge d'instruction doit se transporter sur les lieux lorsqu'il en est requis. Ainsi le veut l'article 87. Son transport n'est facultatif que lorsqu'il ne lui a été fait aucune réquisition. Lorsque l'article parle de réquisition faite, il porte en effet que le juge d'instruction se transportera; et lorsqu'il autorise son transport d'office, il dit

1 Schenck, tom. II, p. 221; Duverger, tom. II, p. 196.

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simplement que le juge d'instruction pourra se transporter 1. » M. Mangin a très-bien réfuté cet argument de texte : « On dit que ces expressions: se transportera s'il en est requis, employées par l'article 87, sont impératives; mais l'article 71 porte aussi : « le juge d'instruction fera citer devant lui les personnes qui auront été indiquées... » et cependant personne ne doute que ce juge n'ait la faculté de ne pas entendre tous les témoins qui lui sont indiqués. Comment comprendre, d'ailleurs, que la loi ait voulu être impérative s'il s'agit d'une visite chez le prévenu, et simplement facultative s'il s'agit de visites chez des tiers, puisque l'article 88 porte à l'égard de celles-ci : « Le juge d'instruction pourra pareillement se transporter...? » N'arrive-t-il pas souvent qu'il est plus urgent de procéder à des perquisitions chez des tiers que chez les inculpés? Il me paraît évident que les articles 87 et 88 ont employé indifféremment les mots se transportera et pourra sans leur attacher un sens opposé 2. » Cette interprétation est confirmée par les paroles de M. Treilhard dans l'exposé des motifs 3 : « Il (le juge d'instruction) devra se transporter quand il en sera requis, et même d'office, s'il le juge utile. » L'orateur du gouvernement emploie la forme impérative pour imposer au juge son transport sur une réquisition et son transport d'office. Or, comme ce dernier est essentiellement facultatif, il faut en conclure que le premier l'est également. Cette conclusion est strictement conforme au principe qui est la base de toute l'instruction: la séparation du droit de poursuite et du droit d'instruction. Il est de fait que la loi, en remettant l'instruction entre les mains d'un juge, n'a pu vouloir que ce magistrat fût un simple instrument que le ministère public pourrait mettre en mouvement toutes les fois que cela lui conviendrait ; il eût été plus convenable, dans ce système, de laisser le ministère public poursuivre et instruire à la fois. L'institution du juge d'instruction suppose nécessairement un pouvoir indépendant, chargé de prendre, dans l'intérêt de la justice, toutes les mesures qu'il croit nécessaires à la manifestation de la vérité; le juge est donc investi du droit d'apprécier librement les réquisitions et les demandes des parties qui procèdent devant lui, et de rejeter celles qui ne lui paraissent ni justes ni utiles 1. Sans doute la loi lui impose le devoir, suivant les expressions de M. Treilhard, « de réunir avec le soin le plus scrupuleux tout ce qui peut tendre à la découverte du coupable; » mais c'est précisément parce que tel est son devoir, qu'il a en même temps le droit d'examiner les mesures les plus propres à atteindre le but que la loi lui impose. Chargé de ne négliger aucun moyen pour découvrir la vérité, il lui appartient de déterminer et choisir les moyens de l'instruction.

1 Tom. I, p. 375.

2 Tom. I, p. 149.

3 Voy. suprà no 1605.

4 Conf. Mangin, tom. 1, p. 140.

§ V. Règles des visites domiciliaires.

1810. Après avoir établi l'étendue et les limites du droit du juge d'instruction, relativement aux visites domiciliaires, il faut examiner les règles qu'il doit observer dans l'exercice de ce droit.

La première de ces règles est que le prévenu doit être présent. L'article 39 du Code d'instruction criminelle, que l'article 89 déclare commun au juge d'instruction, porte : « Les opérations prescrites par les articles précédents seront faites en présence du prévenu, s'il a été arrêté; et s'il ne veut ou ne peut y assister, en présence d'un fondé de pouvoir qu'il pourra nommer. » Il en était ainsi dans notre ancien droit. « Pour faire cette perquisition, dit Jousse, le juge doit se transporter en la maison de l'accusé avec le greffier, et pour faire une procédure exacte, il doit y faire conduire l'accusé, pour faire, en sa présence, la description des effets, et si l'accusé était absent ou en contumace, cet examen doit être fait en présence de la partie publique *. »

Le motif de cette règle est évident. Il est de l'intérêt du prévenu, ou pour mieux dire, de l'intérêt de la justice elle-même, que toutes les opérations extérieures de l'instruction soient faites contradictoirement: ces opérations, dont plus tard doivent sortir les preuves, acquièrent une importance plus grande quand le prévenu en est témoin, quand il peut être interpellé de donner des explications, et quand toutes ses réponses sont consignées au procès-verbal. Les charges ne sont régulièrement acquises que lorsqu'elles sont soumises à la contestation incessante de la défense.

1 Voy. suprà n° 1616. 2 Tom. II, p. 62.

La loi ne prescrit toutefois la présence du prévenu que s'il a été arrêté; la visite, en effet, suppose un fait grave, et si le prévenu n'a pas été arrêté, il y a lieu de présumer qu'il est en fuite. Mais la loi ajoute : et s'il ne veut ou ne peut y assister, en présence d'un fondé de pouvoir. « Ces mots, dit M. Mangin, sont destinés à pourvoir au cas où le prévenu arrêté ne peut être transporté, et à celui il n'a pas été arrêté'. » Cette dernière hypothèse nous parait erronée. La loi ne prévoit qu'un cas, celui de l'arrestation : les mots et s'il ne veut ou ne peut, rattachés à la phrase précédente par la conjonction, prouvent que la loi continue à parcourir les différentes phases du cas de l'arrestation. Il est certain que les mots s'il ne peut se rapportent au cas d'impossibilité matérielle, par exemple, s'il est blessé; mais, à moins de contredire le sens visible des termes, il faut admettre que ces autres mots s'il le veut se rapportent au cas où, présent et non empêché, il refuse d'assister personnellement à l'opération. La loi n'a pas pensé, quoiqu'il soit utile, mème à l'intérêt de la poursuite, de confronter le prévenu aux choses saisies, qu'il y eût lieu d'employer la contrainte pour vaincre sa résistance. Il peut nommer un fondé de pouvoir pour le remplacer, et comme la loi n'exige aucune forme pour cette procuration, il suffit que la désignation faite par le prévenu soit mentionnée au procès-verbal.

Si aucun mandat d'amener ou de dépôt n'a été décerné contre le prévenu, peut-il soit se présenter pour assister à la perquisition, soit faire admettre un mandataire pour le représenter? Il le peut sans aucun doute. Dès qu'une prévention est dirigée contre un individu, cet individu est partie dans le procès et doit prendre part à ses actes. Ce n'est pas le mandat d'arrestation qui lui donne cette qualité, c'est la poursuite même dont il est l'objet. La loi n'a dù prévoir que le cas le plus ordinaire, mais il est évident que la raison est la même dans les deux hypothèses : que le prévenu soit arrêté ou laissé en liberté, l'intérêt de l'instruction demande sa confrontation à la saisie des pièces de conviction et veut qu'il soit mis à même de fournir ses explications.

1811. La même règle s'applique au cas où la visite a lieu au domicile d'un tiers, mais il faut ajouter que, dans ce cas, le tiers, 1 Tom. I, p. 151.

2 Conf. Carnot, tom. I, p. 245; Duverger, tom. II, p. 80.

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