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contrôler aussitôt s'il est possible, de vérifier tous les indices, toutes les déclarations, tous les rapports. Il est arrivé plus d'une fois que les actes qui présentaient les apparences les plus sérieuses d'un crime n'en avaient que les apparences. L'examen le plus détaillé ne sera jamais efficace s'il n'est pas affranchi de tout parti pris à l'avance, de toute opinion prématurément arrêtée. L'esprit le plus consciencieux est toujours porté à interpréter les faits suivant ses idées, et à les revêtir du reflet de ses propres impressions.

1798. S'il s'agit d'un infanticide, deux faits doivent spécialement être constatés: 1o Si l'enfant est né à terme, s'il a vécu, de quel genre de mort il a péri; 2o si l'inculpée est récemment accouchée, et si l'époque de cet accouchement se rapporte à celle de la naissance et de la mort de l'enfant. Pour arriver à la constatation de ces deux faits, il faut vérifier l'état du cadavre de l'enfant, étudier tous les indices qui peuvent révéler le genre et la cause de la mort, recueillir tous les faits qui se rapportent à la viabilité, par exemple, si on a entendu les cris de l'enfant dans la maison où il est né ou dans les lieux voisins, examiner au domicile de l'inculpée les linges, hardes et objets annonçant un accouchement récent, rechercher enfin si la grossesse a été apparente, si elle a été cachée ou niée, si l'accouchement a été secret. Mais si le cadavre de l'enfant est trouvé sans que la femme qui en est accouchée soit connue, le juge ne doit avancer qu'avec une excessive prudence dans ses investigations, et chacun de ses pas doit s'appuyer sur quelque indice grave.

Une question délicate s'élève ici et se reproduit également en matière d'avortement et de viol: le juge peut-il ordonner l'exploration corporelle des personnes qui sont désignées à ses recherches? Il nous paraît que la loi ne lui interdit pas ce moyen d'investigation, mais qu'il ne doit l'employer qu'avec d'extrêmes ménagements et seulement à l'égard des personnes qui sont nommément inculpées ou qu'il sait avoir été victimes de l'attentat. La loi n'interdit point ce moyen, car les articles 43 et 61 du Code d'instruction criminelle sont conçus en termes généraux, et les articles de la loi pénale qui punissent l'infanticide, l'avortement et le viol, n'ont fait aucune restriction; il est dans la nature des choses que l'instruction relative à chaque espèce de crime emploie les mesures d'exploration propres à la constatation de ce crime. Toute la question est dans l'application de ces moyens. Quelques magistrats ont pensé qu'ils pouvaient les employer, non en se fondant sur les indices déjà obtenus, mais par une mesure générale d'enquête et pour arriver à ces indices. Ainsi, à la découverte du cadavre d'un enfant, ils ont ordonné la visite de toutes les femmes d'une maison; ou, sur la prévention d'attentats à la pudeur imputés à un maître d'école, ils ont prescrit la visite de tous les enfants de l'école. Nous n'hésitons pas à croire que c'est là excéder les droits de l'instruction. Qu'une présomption grave pèse sur une femme, qu'un enfant déclare l'attentat dont il a été victime, la visite corporelle est un droit rigoureux mais légitime du juge; c'est de cette visite que peut résulter la preuve du crime; il est nécessaire que cette preuve soit acquise à l'instruction. Il s'agit, d'ailleurs, d'une visite motivée par des faits déjà établis, destinée à corroborer des indices déjà existants, et limitée aux personnes que l'instruction inculpe ou qu'elle considère comme victimes du crime. Mais est-il permis d'étendre cette mesure à des personnes qui ne sont ni inculpées ni plaignantes? Est-il permis d'en faire une mesure générale d'enquête pour rechercher l'existence même du crime ou quel en est l'auteur? La justice, dans l'exercice de ses devoirs les plus rigoureux, doit conserver son caractère grave et réservé; les moyens de recherche qui corrompent la pudeur des femmes et des enfants ne doivent pas être ses moyens habituels; elle ne doit les appliquer que lorsqu'ils sont en quelque sorte impérieusement commandés par la nécessité de constater un fait moralement acquis à l'instruction. La personne qui se plaint ou qui déclare qu'elle a été victime d'un attentat, celle sur laquelle pèsent de graves indices de culpabilité, ne peuvent élever aucune objection contre la vérification; c'est la conséquence du fait de la plainte ou du fait de l'inculpation. Mais quel est le titre du juge vis-à-vis d'une personne qui ne se plaint pas ou contre laquelle aucun indice ne s'élève? Comment justifier à son égard une mesure acerbe, flétrissante, qui blesse sa chasteté et qu'elle considère comme une rigueur imméritée? Si le crime ne pouvait être découvert qu'à l'aide de tels moyens, l'impunité n'aurait-elle pas des inconvénients moins graves?

S'il s'agit d'un empoisonnement, il importe que le juge place

à côté de la description exacte du cadavre et de son état l'indication de toutes les circonstances qui se rattachent à la preuve de cette accusation spéciale. Il doit donc vérifier et saisir tous les restes d'aliments, de boissons ou de substances quelconques qui ont été administrés au défunt pendant la dernière maladie; rechercher quelles personnes ont fourni ces substances, quelles les ont administrées, et lorsqu'il aura été procédé à l'ouverture du corps, détacher et conserver toutes les matières solides et liquides renfermées dans l'estomac et les intestins, enfin s'emparer même de ces viscères, qui seront renfermés, comme les substances, dans des vases exactement fermés et scellés de son sceau.

S'il s'agit de coups et blessures, le juge doit procéder avec une grande exactitude à l'examen des blessures. S'il en est résulté une maladie ou incapacité de travail personnel, il faut faire expliquer les hommes de l'art sur l'espèce, la gravité, les conséquences de ces blessures, et sur la durée présumable de la maladie ou de l'incapacité de travail. Si le prévenu prétend n'avoir causé l'événement que par maladresse ou imprudence, ou s'il invoquait les moyens d'excuse établis par la loi, ou même des moyens d'atténuation de la gravité du délit, il serait nécessaire, pour ne pas laisser ses moyens de défense dépérir, de recueillir tous les indices et tous les renseignements qui pourraient leur apporter quelque appui.

1799. Nous ne pousserons pas plus loin cette énumération des faits et des circonstances que la constatation judiciaire doit recueillir. Il est évident que, dans chaque espèce de crime, ces faits diffèrent: c'est les yeux fixés sur l'incrimination pénale, c'est en examinant successivement chacun des éléments de cette incrimination que le juge doit apprécier l'importance de chaque fait, de chaque circonstance accessoire. En matière de vol ou d'incendie, par exemple, après avoir constaté le corps du délit, il recherchera la présence de chacune des circonstances qui peuvent l'aggraver, et lorsqu'il aura reconnu les traces de l'une de ces circonstances il énoncera tous les indices qui peuvent en établir l'existence.

On ne doit pas omettre une dernière observation. Le juge d'instruction, dans toutes les opérations qu'il ordonne, a le droit de se faire assister d'ouvriers, soit pour faire un travail quelcon

que, la fouille d'un terrain, l'exhumation d'un cadavre, la vidange d'une fosse d'aisances, soit pour opérer un acte spécial de leur profession, la levée d'un plan, l'empreinte d'un objet, l'ouverture d'une serrure. Les articles 43 et 44 du Code d'instruction criminelle ne parlent, à la vérité, que des officiers de santé ou des personnes capables, par leur art ou profession, d'apprécier la nature ou les circonstances du crime; ce sont là les experts dont nous parlerons dans notre chapitre X; mais, à côté des experts qui suppléent à l'insuffisance des connaissances du juge et qui apprécient les faits spéciaux qui sont déférés à leur examen, il y a les artisans ou ouvriers, instruments passifs des ordres du juge, et dont l'assistance, quoique non formellement prévue par la loi, est indispensable. Les articles 20, 134 et 136 du décret du 18 juin 1811 règlent d'ailleurs le payement de leur salaire. Ils ne sont point astreints à prêter serment, tant qu'ils ne sont employés qu'à un travail matériel et qu'ils ne sont appelés à aucune appréciation morale. Dans les cas de flagrant délit, leur concours est nécessaire, et s'ils refusent d'obéir aux ordres du juge, ils sont passibles d'une peine de police'; dans les autres cas, leur assistance est purement volontaire et doit être le résultat d'une stipulation faite de gré à gré.

§ IV. Droit du juge de procéder à des visites domiciliaires.

1800. Le juge d'instruction, lorsqu'il y a lieu de présumer que les preuves du délit existent dans d'autres lieux que le lieu de la perpétration, peut s'y transporter pour y procéder à des perquisitions.

Ce droit de perquisition, l'une des plus graves attributions du juge, est peut-être celle dont l'exercice soulève les difficultés les plus grandes. Elle lui confère le pouvoir exorbitant de s'introduire et d'opérer des recherches dans tous les lieux où il présume trouver des preuves du délit; elle apporte donc d'importantes restrictions au principe de l'inviolabilité du domicile, l'un des droits les plus précieux des citoyens. Il importe dès lors de définir avec soin l'étendue et les limites de cette attribution.

En premier lieu, il ne faut pas confondre le droit de perquisition que les articles 87 et 88 du Code d'instruction criminelle confèrent au juge d'instruction, et celui que les articles 36 et 49 attribuent exceptionnellement, et dans le cas de flagrant délit seulement, au procureur impérial et à ses auxiliaires.1. Ces deux droits diffèrent par leur nature et par leur étendue. Le droit de perquisition des officiers de police judiciaire est un pouvoir extraordinaire né de l'urgence des circonstances qui le produisent et qui expire avec ces circonstances; il ne peut s'exercer que sous les conditions suivantes : il faut, 1o que le fait soit flagrant3; 2o que ce fait soit passible de peines afflictives ou infamantes; 3o que la perquisition ait pour objet de saisir des papiers ou autres effets en la possession du prévenu et pouvant faire preuve contre lui; 4o qu'elle ait lieu au domicile même du prévenu 5.

1 C. pén., art. 475, no 12.

Toutes ces conditions, toutes ces limites qui entourent et restreignent un droit exceptionnel, ne s'appliquent point au droit du juge d'instruction, droit ordinaire et régulier, qui n'est que la conséquence directe de sa fonction. Il peut donc procéder à une perquisition, soit qu'il y ait ou non flagrant délit, soit que le fait soit qualifié crime ou délit par la loi, soit qu'elle ait lieu au domicile du prévenu ou dans le domicile de tout autre citoyen, soit enfin qu'elle ait pour but de rechercher les effets en la possession du prévenu ou tous autres effets tels, par exemple, que les instruments ou les produits du crime ou du délit.

Les articles 87 et 88 sont ainsi conçus : « Article 87. Le juge d'instruction se transportera, s'il en est requis, et pourra même se transporter d'office dans le domicile du prévenu, pour y faire la perquisition des papiers, effets, et généralement de tous les objets qui seront jugés utiles à la manifestation de la vérité. Article 88. Le juge d'instruction pourra pareillement se transporter dans les autres lieux où il présumerait qu'on aurait caché les objets dont il est parlé dans l'article précédent. »

Il résulte clairement de ces textes que le droit de perquisition du juge d'instruction ne trouve de limites ni dans le caractère du fait, puisque la loi ne distingue pas s'il constitue un crime ou un délit, ni dans la date de sa perpétration, puisqu'elle n'exige point

1 Voy. notre tome 1, p. 496, no 1524.

2 C. d'instr, crim., art. 32.

3 Ibid., art. 32, 240.

4 Ibid., art. 36.

bibid., art. 36, et voy. notre tome III, p. 498, no 1525.

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