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acte isolé, d'une opération incidente, mais de la constatation même du fait incriminé et de ses circonstances? A moins d'abdiquer ses propres fonctions, comment le juge d'instruction pourrait-il déléguer la visite et la description des lieux, la vérification des indices et toutes les mesures que le transport peut motiver? Comment serait-il responsable de mesures qu'il n'aurait pas ordonnées, de procès-verbaux qu'il n'aurait pas rédigés? Et la direction de la procédure qu'il doit puiser dans l'inspection personnelle qu'il a faite, la demanderait-il au rapport d'un magistrat inférieur? Il faut conclure que seul il doit accomplir, en général, tous les actes de l'instruction, et que seul il doit apprécier en même temps l'utilité de ces actes. La loi s'est rapportée à ses lumières et à sa conscience en lui conférant, en ce qui concerne l'instruction, les pouvoirs les plus exorbitants; elle peut bien s'y référer encore en ce qui concerne l'économie des frais de justice.

1787. La forme du transport est réglée par l'article 62 du Code d'instruction criminelle, qui dispose que: «Lorsque le juge d'instruction se transportera sur les lieux, il sera toujours accompagné du procureur impérial et du greffier. >>>

Ce texte fait naître une première question: Le juge d'instruction doit-il, avant d'effectuer son transport, rendre une ordonnance qui formule sa décision à ce sujet? Dans l'ancien droit, toute opération judiciaire était précédée d'une ordonnance du juge 1. La loi des 16-29 septembre 1791 veut que l'officier de police qui se transporte sur les lieux rende préalablement une ordonnance qui était apposée au bas de la plainte*. L'article 108 du Code du 3 brumaire an IV porte également : « S'il paraît utile à la recherche de la vérité de procéder à une ou plusieurs visites domiciliaires, le juge de paix rend à cet effet une ordonnance dans laquelle il énonce les personnes et les objets qui donnent lieu à ces visites. » La règle, au moment de la rédaction du Code, était donc que le transport ne pouvait se faire qu'en vertu d'une ordonnance. Cette règle a-t-elle été modifiée? Le Code ne l'a rejetée par aucun de ses textes, et il nous semble qu'elle est conforme à l'esprit et à l'ensemble de ses dispositions. L'esprit du Code a été de reproduire, dans l'instruction préalable, le système

1 Jousse, tom. II, p. 18, et tom. IV, p. 419.

2 Formules annexées à l'instruction du 29 sept. 1791.

de l'ordonnance de 1670; l'instruction et les pouvoirs du juge d'instruction, le principe inquisitorial, la forme de l'information y sont puisés à peu près tout entiers. Toutes les règles qui sont propres à ce système et qui s'y adaptent comme ses formes naturelles, rentrent donc dans le système du Code lui-même. L'article 47 veut que le juge d'instruction, avant de commencer l'information, rende une ordonnance de soit informé. Cette disposition indique que, dans la pensée de la loi, l'ordonnance du juge doit, comme dans l'ancienne jurisprudence, précéder l'exécution de l'acte ordonné; qu'elle distingue le droit et le fait, l'appréciation de l'utilité de la mesure et l'application même de cette mesure. Et combien cette règle, qui assure que les principaux actes du juge sont délibérés avec soin, n'est-elle pas plus utile quand il s'agit d'opérer un transport, une visite, que quand il s'agit simplement d'ouvrir une information? N'est-il pas convenable que la procédure porte en elle-même la trace de la décision du juge? Ne faut-il pas que le ministère public soit régulièrement averti de cette décision, si elle est spontanée, et dans tous les cas, du jour et de l'heure du transport, s'il a été requis? Enfin, dès que la voie de l'opposition est ouverte contre les actes du juge, ne s'ensuit-il pas que ces actes doivent être formulés par des ordonnances? Nous pensons donc que le juge d'instruction, avant d'effectuer un transport quelconque, doit rendre une ordonnance à cet effet.

1788. Cela posé, la loi donne au juge d'instruction deux auxiliaires, le procureur impérial et le greffier.

Aux premiers temps de la procédure par enquête, l'enquêteur était tenu de prendre un adjoint, qui prêtait serment de ne pas révéler le secret de l'enquête1. L'article 67 de l'édit de Nantes d'avril 1598 portait, qu'en tout procès criminel fait à quelqu'un de la religion réformée, le juge serait assisté d'un adjoint appartenant à cette religion. L'article 8 du titre VI de l'ordonnance de 1670 défendit l'usage des adjoints dans les informations, sinon ès cas portés par l'édit de Nantes, et cette exception fut ellemême abrogée par l'édit d'octobre 1685. Rétablis néanmoins par les édits de 1694 et 1696, les adjoints aux enquêtes furent définitivement supprimés par la déclaration du 5 novembre 1704, par 1 Imbert, Practique, p. 285 et 287.

le motif que ces officiers retardaient l'instruction des procès criminels et en empêchaient le secret. La règle de la jurisprudence fut dès lors que le juge, lorsqu'il informait hors du lieu de sa demeure, était tenu, sauf les cas de flagrant délit, de se faire accompagner du procureur du roi ou fiscal 1. L'usage des adjoints, maintenu dans quelques législations étrangères, fut reproduit dans la loi des 16-29 septembre 1791, qui voulait qu'en cas d'homicide, toutes les opérations relatives à la levée du cadavre fussent faites en présence de deux notables du lieu, qui signaient au procès-verbal (tit. III, art. 2). Cette adjonction de témoins n'a point été tout à fait effacée de notre Code. L'article 42, relatif au cas de flagrant délit, est ainsi conçu : « Les procès-verbaux du procureur impérial seront faits et rédigés en la présence et revêtus de la signature du commissaire de police de la commune dans laquelle le crime ou le délit a été commis, ou du maire, ou de l'adjoint, ou de deux citoyens domiciliés dans la même commune. Pourra néanmoins le procureur impérial dresser les procès-verbaux sans assistance de témoins, lorsqu'il n'y aura pas possibilité de s'en procurer tout de suite. » Et l'article 59 ajoute : « Le juge d'instruction, dans tous les cas réputés flagrant délit, peut faire directement et par lui-même tous les actes attribués au procureur impérial, en se conformant aux règles établies au chapitre des procureurs impériaux. » Il résulte évidemment de ces deux textes que le procureur impérial et le juge d'instruction, procédant isolément l'un de l'autre, sont tenus de se faire assister de témoins; c'est une garantie que la loi a voulu donner à l'inculpé, qui peut, au premier moment, être l'objet de préventions injustes ou d'imputations passionnées : la présence du commissaire de police, ou du maire, ou de deux habitants de la commune, peut prévenir des erreurs et éclairer l'instruction. Mais ces auxiliaires, requis pour le cas où l'un des deux magistrats agit isolément, deviennent inutiles dès qu'ils sont tous les deux présents. Ce ne sont plus alors, en effet, les règles exceptionnelles du flagrant délit qui sont appliquées, ce sont les règles ordinaires de l'instruction, et les articles 61 et 62 n'ont point reproduit les termes de l'article 42 et ne s'y sont pas même référés. Sans doute les magistrats peuvent appeler toutes les personnes qu'ils croient capables de les seconder ou de les éclairer; mais ils n'ont 1 Jousse, tom. II, p. 13.

plus l'obligation d'avoir des témoins nécessaires de leurs opérations 1.

1789. Nous avons déjà examiné si le juge peut, hors le cas de flagrant délit, se transporter d'office sur les lieux, et s'il peut effectuer ce transport lors même que le ministère public refuse de l'accompagner (n* 1619 et 1620). La solution affirmative que nous avons proposée sur ces deux points n'est que la stricte application de la règle générale qui domine les rapports du ministère public et du juge: la séparation du droit de poursuite et du droit d'instruction. Le juge d'instruction, délégué par la loi pour procéder à l'instruction des procédures criminelles, est par là même investi de tous les pouvoirs nécessaires à l'accomplissement de sa mission; il peut donc, même d'office, ordonner les mesures qu'il croit utiles à la manifestation de la vérité. Les articles 61 et 87 du Code d'instruction criminelle, qui lui confèrent le pouvoir d'office de décerner des mandats ou d'opérer des visites domiciliaires, n'ont fait qu'appliquer cette règle. Quel est donc le sens de l'article 62? Pourquoi cette condition impérieuse de la présence du ministère public? Il est évident, d'abord, que cette disposition apporte une restriction au droit du juge, en ce sens que s'il peut ordonner d'office le transport, il ne peut pas l'opérer sans avoir communiqué son ordonnance au procureur impérial et sans l'avoir mis à même de l'accompagner. Mais fautil admettre que cette mesure ne puisse s'accomplir en dehors de la présence du ministère public? L'article 62 a posé une règle générale; mais cette règle, quoique conçue en termes impératifs, n'est point et ne peut être absolue. Les articles 59, 87 et 88 admettent déjà, dans les cas de flagrant délit et de visites domiciliaires, le transport isolé du juge d'instruction; nous avons également vu que, dans le cas du refus du procureur impérial d'accompagner ce magistrat, il était difficile de ne pas lui reconnaître le droit d'effectuer son transport isolément (voy. no 1620). Or, il est évident que ce refus, que la loi néanmoins, si l'on veut suivre rigoureusement son texte, ne permet pas, est très-souvent justifié par les circonstances: non-seulement le ministère public peut ne pas partager l'avis du juge sur l'utilité de son transport,

1 Conf. Legraverend, tom. I, p. 247; Bourguignon, tom. I, p. 159. - Contr. M. Duverger, n. 146.

mais il peut penser, et la plupart du temps cette opinion sera fondée, que sa participation à cette mesure est parfaitement inutile, qu'il n'a aucunes réquisitions à prendre, que d'autres affaires appellent ses soins, et que la vérification, fût-elle utile, peut être opérée par le juge seul, sans que le déplacement de deux magistrats soit nécessaire. En supposant tous ces motifs sérieux, faut-il décider que le juge d'instruction, légalement lié au procureur impérial, ne devra pas en général effectuer son transport quand celui-ci, nous ne disons pas refusera de le suivre, mais ne lui donnera pas son assentiment et en discutera l'opportunité? Faut-il considérer ce magistrat comme un auxiliaire nécessaire, et en quelque sorte comme l'adjoint du juge? Il nous paraît, d'abord, que le concours du ministère public n'a point, dans le système du Code, le caractère d'une adjonction: c'est uniquement pour prendre les réquisitions que l'information peut motiver, que sa présence sur les lieux a été jugée nécessaire ; hors le cas de flagrant délit, il ne prend part à aucun acte d'instruction. Ne suffit-il pas, dès lors, pour remplir le vœu de la loi, qu'il soit instruit du transport, qu'il puisse apprécier l'utilité de sa présence sur les lieux, qu'il soit mis en demeure d'accompagner le juge? Faut-il, pour obéir à la lettre de la loi, aller plus loin et le contraindre à suivre celui-ci dans tous les cas? Mais, d'abord, il est difficile, surtout dans les petits tribunaux, que le déplacement simultané de deux magistrats n'apporte pas quelque entrave au service, et ce concours a pour conséquence nécessaire de doubler la dépense du trésor. Ensuite, subordonner le transport à l'assentiment du ministère public, c'est imposer comme condition à cette mesure le concours de deux avis qui, même en mettant de côté toute cause de mésintelligence, pourront n'être pas identiques; c'est soumettre même le juge d'instruction dans les actes qu'il ordonne à une sorte de dépendance qui n'a pu être la pensée de la loi. Enfin, il est clair que le transport, par cela même qu'il est plus difficile et plus onéreux, devient une mesure extraordinaire qui sera plus rarement employée; or, de tous les moyens d'instruction, l'un des plus puissants est l'inspection personnelle du juge; loin de lui créer des entraves, il faudrait la rendre plus facile et plus fréquente; de sorte que l'intérêt de la justice se trouverait ici en opposition avec le texte de la loi. Il nous semble qu'on pourrait admettre le transport

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