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la constatation par le juge du corps du délit; mais il y a cette différence, que le procès-verbal du juge, utile encore pour faire cette constatation, n'est plus une pièce nécessaire du procès, qu'il peut être suppléé par toute autre preuve, et qu'il ne fait pas même foi complète du fait qu'il constate, puisque toutes les pièces de la procédure, livrées à l'appréciation du juge du fond, ne sont que des éléments de sa conviction et ne l'enchaînent pas. Ainsi, maintenant comme autrefois, le premier soin du juge d'instruction doit être de s'assurer si le délit a été effectivement commis 1; mais la validité de la procédure n'est plus subordonnée à l'existence d'un procès-verbal constatant le corps du délit; il suffit qu'il soit constant pour le juge que le fait existe.

Cette doctrine a été plusieurs fois consacrée par la jurisprudence. Un arrêt du 19 juin 1817 porte: « que l'omission de la rédaction de procès-verbaux qui peuvent constater le corps du délit n'opère pas une nullité, et ne peut être un obstacle aux poursuites. Un autre arrêt du 16 mars 1837 dispose: «qu'aucune loi n'exige un procès-verbal du corps de délit comme préalable indispensable d'une poursuite pour vol *. »

§ II. Du transport du juge d'instruction.

1784. Le premier acte de la constatation judiciaire est le transport du juge d'instruction sur les lieux.

Les transports du juge sont l'une des mesures les plus efficaces de la procédure. Considérés au point de vue général de l'instruction judiciaire, ils produisent les résultats les plus utiles. Ils manifestent aux yeux des populations la puissance de la justice, qui, sur les lieux mêmes où un crime a été commis, vient déployer l'appareil de ses formes et l'activité de ses recherches; ils apportent aux esprits ignorants et timides la pensée d'un pouvoir rémunérateur qui protège et qui punit; ils inspirent aux malfaiteurs une légitime inquiétude; ils impriment encore une impulsion plus grande aux investigations de la police judiciaire; ils fournissent les moyens d'une surveillance plus réelle sur les agents de cette police.

1 Muyart de Vouglans, Lois crim., p. 778.

2 Arr. cass. 19 juin 1817 (J. P., tom. XIV, p. 298).

3 Arr. cass. 16 mars 1837 (Bull., no 82).

Considérés à un point de vue plus restreint, ils n'ont pas des effets moins féconds. Le juge, en visitant les lieux, en constatant la situation des choses au moment de la perpétration du délit, en appréciant le milieu dans lequel le fait s'est accompli, prend une idée exacte de ce fait et le saisit avec son caractère propre; de là il suit, d'abord, qu'il peut imprimer à la procédure une direction plus sûre, parce qu'il en connaît mieux les éléments; ensuite, qu'il peut reproduire et mettre sous les yeux du tribunal ou des jurés les détails descriptiss et les faits circonstanciés que ceux-ci ne peuvent vérifier eux-mêmes. Son rapport, en effet, doit expliquer les circonstances qui étaient obscures, porter la lumière sur les faits matériels qui aident à l'intelligence du fait moral, faire revivre la physionomie de ce fait, rendre compte de la situation et de l'intérêt des témoins. A la vérité, ce rapport ne fait pas foi des faits qui y sont relatés; il est un des éléments de la preuve, il ne constitue pas par lui-même une preuve complète de ces faits; mais il est évident que l'opinion d'un témoin aussi impartial et aussi éclairé que le juge d'instruction, quand il dépose ce qu'il a vu et vérifié, doit exercer une très-grande influence sur les juges du fond, quels qu'ils soient 1.

Il y a plus. Dans un grand nombre d'affaires, rien ne peut remplacer le procès-verbal du juge. Les témoins ne disent pas tout, ils ne peuvent raconter que ce qu'ils ont vu et entendu ; mais, pour comprendre leurs dépositions, pour leur accorder le degré de foi qu'elles méritent, quelquefois même pour les faire concorder entre elles, il faut connaître les lieux, la situation matérielle de chaque témoin, la distance où il était placé, s'il pouvait voir ou entendre. Il y a là une appréciation, non de l'action elle-même, mais des circonstances matérielles qui l'ont accompagnée ou qui se sont produites autour d'elle, que le juge d'instruction seul peut faire, car elle échappe complètement aux juges du fond.

L'inspection du juge ne s'applique pas seulement d'ailleurs à la constatation du corps du délit et des circonstances concomitantes de ce délit; elle s'étend à tous les faits accessoires qui ont précédé et suivi l'action, et qui peuvent en déterminer la cause ou les conséquences, à tous les éléments qui peuvent servir d'indices ou de moyens de contrôle des déclarations des inculpés ou des témoins. Elle comprend l'examen des personnes aussi bien que l'examen des choses, et les mesures que l'instruction peut nécessiter à l'égard des inculpés aussi bien que les vérifications que peut solliciter l'état des lieux.

1 Mangin, tom. I, p. 134; Mittermaïer, p. 181.

Enfin, toutes les preuves qui sont transportables, et qu'on comprend sous le nom de pièces de conviction, telles que les instruments du délit, les effets qui se trouvaient dans la possession de l'inculpė, les vêtements de la victime, tous les objets qui peuvent former des indices, doivent être saisis pour être placés sous les yeux des juges du fond. Or, le juge d'instruction a seul le pouvoir de procéder à cette saisie, de constater l'identité des effets et de prendre les précautions nécessaires pour en prévenir l'altération.

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1785. Dans quels cas le juge d'instruction est-il autorisé par la loi à se transporter sur les lieux? L'ordonnance de 1670, titre IV, article 1o, ne prescrivait formellement cette mesure qu'en cas de blessures ou de meurtre, et lui donnait pour but principal la reconnaissance de l'existence et de l'état du cadavre; mais il ne suit pas de là qu'elle ne fût employée que dans ce seul cas. La jurisprudence distinguait les délits qui laissaient des traces saisissables et ceux qui n'en laissaient aucune, delicta facti permanentis et facti transeuntis,; l'inspection judiciaire était un moyen de preuve nécessaire à l'égard des premiers. « Dans ces sortes de délits, dit Jousse, le juge doit toujours par lui-même se transporter sur le lieu pour constater l'état des choses et dresser à cet effet son procès-verbal1. » Muyart de Vouglans dit également : « Le procès-verbal du juge a lieu généralement dans tous les cas qui sont susceptibles de vérification*. » Il n'excepte que ceux « où le crime est absolument notoire et ceux où il est si léger de sa nature, qu'il ne peut donner lieu à une instruction extraordinaire ».

Cette jurisprudence a évidemment dicté les dispositions de notre Code. Si l'article 32 limite le transport du procureur impérial, en matière de flagrant délit, au cas où le fait est de nature à entraîner une peine afflictive ou infamante, cette restriction, plus nominale d'ailleurs que réelle, puisque le caractère du fait ne peut être que difficilement précisé au début d'une procédure, ne s'applique pas au transport du juge d'instruction. L'article 47 dispose que, hors les cas de flagrant délit, « le procureur impérial instruit, soit par une dénonciation, soit par toute autre voie, qu'il a été commis dans son arrondissement un crime ou un délit, ou qu'une personne qui en est prévenue se trouve dans son arrondissement, sera tenu de requérir le juge d'instruction d'ordonner qu'il en soit informé, même de se transporter, s'il est besoin, sur les lieux, à l'effet d'y dresser tous les procès-verbaux nécessaires ». Les articles 62, 87 et 88 ajoutent que le juge d'instruction se transportera lorsqu'il en est requis, et même d'office, sur les lieux, pour faire toutes les perquisitions qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité.

1 Tom. II, p. 29. 2 Institutes, p. 224.

Il résulte de ces textes que les cas où le juge d'instruction doit se transporter sont laissés à la libre appréciation soit du ministère public, soit du juge lui-même. La loi a posé le droit et ne lui a apporté aucune limite. Il ne pouvait en être autrement : définir les circonstances où la vérification personnelle du juge aurait été autorisée, eût été une tâche difficile et dangereuse; car comment prévoir tous les cas où la justice peut éprouver le besoin d'une inspection? Et comment la priver, lorsqu'elle ressent un doute, d'un moyen certain de l'éclaircir? Le pouvoir de la loi, en ce qui concerne l'instruction, ne peut consister qu'à indiquer les moyens d'investigation du juge; l'usage qui doit être fait de ces moyens n'appartient qu'an juge lui-même. En général, le juge d'instruction doit se transporter sur les lieux toutes les fois qu'il espère pouvoir arriver par cette mesure à la découverte d'un fait important pour la manifestation de la vérité matérielle et pour l'appréciation morale du fait incriminé 1.

1786. Cette règle n'a jamais été contestée; mais les instructions ministérielles ont souvent tendu à la restreindre, en vue de l'économie des frais de justice. Ces instructions portent que ce n'est que dans des cas très-graves et lorsque la présence des magistrats du chef-lieu est nécessaire, soit pour recueillir les preuves, soit

Mittermaïer, p. 181.

2 Circ. minist, de la justice des 30 sept. 1826, 20 nov. 1829, 16 août 1842, 26 déc. 1845.

pour rétablir l'ordre, que le transport doit avoir lieu; qu'en principe c'est au juge de paix, dont la translation est moins onéreuse, que doit être confié le soin de visiter les lieux et d'apprécier les premiers éléments de l'information ".

Nous avons souvent combattu cet avis. Et d'abord, quelque désirable que soit l'économie en matière de frais de justice, elle ne doit jamais aller jusqu'à désarmer le juge de ses moyens nécessaires d'action et de preuve. On peut recommander au ministère public d'employer autant que possible la voie de la citation directe au lieu de l'instruction préalable, de ne faire citer que les témoins indispensables à la preuve des faits incriminės, de supprimer les expéditions inutiles de pièces, de surveiller les taxes et les salaires des huissiers; on peut encore lui prescrire de n'accompagner le juge d'instruction que lorsque sa présence serait indispensable, et faire assister ce magistrat par le greffier de la justice de paix ou le secrétaire de la mairie, pour éviter les doubles et triples transports, presque toujours inutiles; mais là doivent s'arrêter les précautions économiques. Elles ne doivent pas faire ce que la loi, dans l'intérêt le plus élevé de la justice, n'a pas osé essayer: poser une limite entre les cas graves et ceux qui le sont moins, autoriser le transport dans les premiers, l'interdire dans les autres. C'est en réalité contester au juge les moyens de connaître la vérité, les moyens d'apprécier les faits, les moyens de juger. Comment savoir, en effet, s'il a besoin de telle investigation pour éclaircir les doutes qu'il a conçus? Est-ce que ces doutes dépendent de la gravité du fait? Est-ce que le jugement ne doit pas être l'expression de la vérité aussi bien à l'égard des crimes moindres qu'à l'égard des plus grands? L'application des moyens de preuve ne relève que de la conscience du juge; aucune règle ne peut les lui enlever; car il a le devoir de juger, et pour juger il doit vérifier les faits par toutes les voies de droit qu'il juge nécessaires.

Mais ne peut-il pas du moins confier au juge de paix la vérification qui est l'objet du transport? Nous examinerons plus loin dans quels cas le juge d'instruction peut procéder par voie de commission rogatoire; mais n'est-il pas dès à présent évident que cette voie ne peut être employée quand il s'agit non pas d'un

1 Conf. M. de Molènes, tom. I, p. 295. 2 Voy. infrà chap. XII.

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