l'une et l'autre soient reconnues constantes et entraînent l'application légale de la peine prononcée par la loi1. » Et non-seulement les juges correctionnels et de police sont soumis aux mêmes règles que les jurés, quant à la preuve des faits dont ils sont saisis, mais il leur est interdit d'en invoquer d'autres et de faire revivre notamment des maximes qui supposeraient un système légal de la preuve. Un arrêt de la Cour de Nimes, jugeant correctionnellement, avait jugé, conformément à une règle de notre ancien droit, que « l'aveu ne suffit pas par lui seul pour entraîner condamnation, lorsqu'il n'existe pas ailleurs une constatation du corps du délit ». Cet arrêt a été cassé, « attendu que les articles 154 et 189 n'interdisent pas aux tribunaux de chercher les éléments de leur conviction dans tous les modes de preuve admis par l'ensemble de la législation, et notamment dans les déclarations faites en justice par les prévenus eux-mêmes lorsqu'ils proposent leur défense; que sans doute le juge reste le maître d'apprécier la force probante de l'aveu que peut faire le prévenu, eu égard aux circonstances dans lesquelles il intervient, mais qu'il ne peut se refuser d'en faire la base d'une condamnation, par le seul motif qu'aucun procès-verbal régulier n'a constaté le fait matériel du délit ou de la contravention, puisque ce serait exiger pour ce fait, contre le vœu des dispositions ci-dessus rappelées, une preuve légale incompatible avec les principes de notre droit criminel*. » 1778. Néanmoins la loi, après avoir posé le principe que le juge doit apprécier toutes les preuves pour y puiser les éléments de sa conviction, a formulé quelques conditions à l'application de certaines preuves, et tracé quelques limites au droit du juge. Ainsi, la preuve testimoniale est soumise à des formalités qui ont pour objet d'en rendre les éléments plus purs et plus assurés : tels sont le serment des témoins, la forme orale de leurs dépositions, les reproches qui peuvent les écarter, les incapacités qui peuvent les atteindre. Ainsi, la loi a restreint dans certains cas le droit du juge d'employer tous les moyens de preuve qui pourraient être utiles à la manifestation de la vérité. En matière d'adultère, par exemple, les seules preuves, aux termes de l'article 338 du Code pénal, qui peuvent être admises contre le prévenu de complicité, sont, outre le flagrant délit, celles résultant de lettres ou autres pièces écrites par ce prévenu. En matière de délits qui sont liés à l'existence d'une convention civile, la preuve testimoniale ne peut être admise pour constater cette convention que dans les cas où elle est autorisée par les articles 1341 et 1347 du Code civil. 1 Arr. cass. 13 nov. 1834 (J. P., tom. XXVI, p. 1008); et conf. Arr. cass. 9 vend. an VII, 3 oct. 1807, 22 mai 1812, 4 sept. 1813, 20 oct. 1814, 4 oct. 1816, 9 mars 1820, 4 août 1820, 4 mars 1825, 16 oct. 1825, 23 déc. 1825, etc. 2 Arr. cass. 29 juin 1848 (Bull., no 193). Ainsi, à l'égard de certaines incriminations, la loi a établi des présomptions légales qui, déduites d'un fait connu à un fait inconnu, ont force de preuve relativement à ce dernier fait. Ce sont des présomptions de cette nature qui fondent soit l'incrimination de la tentative, du recelé de malfaiteurs, et même du recelé d'effets volés, dans le cas prévu par l'article 62 du Code pénal, soit la distinction qui sépare l'accusé de moins de seize ans de celui qui a cet âge, ou l'auteur d'un attentat à la pudeur sur un enfant de quinze ans accomplis ou sur un enfant de moins de quinze ans. Les articles 100, 213, 355, 357, 390, 391 du Code pénal s'appuient en partie ou en totalité sur une présomption de la loi. Enfin, une dérogation formelle au principe de la preuve morale est consacrée par les articles 154 et 189 du Code d'instruction criminelle, relativement aux matières correctionnelles et de police. Il résulte de ces deux articles que les rapports et procèsverbaux qui constituent l'une des preuves ordinairement produites à l'appui des poursuites, mais qui peuvent être suppléées par la preuve testimoniale, sont, dans certaines matières, une base nécessaire de l'action, et qui ne peut être suppléée par aucune autre preuve. Il en résulte encore que, parmi les procès-verbaux, les uns n'ont l'effet que d'un simple renseignement et ne font aucune foi en justice; les autres font foi des faits qu'ils constatent, mais peuvent être débattus par la preuve contraire; les autres enfin font foi des mêmes faits jusqu'à inscription de faux. Nous avons examiné précédemment le système de notre législation sur les formes et l'autorité des procès-verbaux 1. Toutes ces dispositions, toutes ces mesures qui circonscrivent 1 Voy. notre tome III, chap. X, XI et XII. le domaine de la preuve morale ou soumettent ses éléments à des conditions légales, doivent-elles être considérées comme constituant un système de réglementation de la preuve en général? Évidemment non. Ce sont des précautions qui ont pour but, les unes d'assurer à la preuve testimoniale son autorité, les autres de garantir à des faits civils l'application des règles de la loi civile, les autres enfin de faciliter la répression des délits et contraventions qui se rattachent à la perception des impôts. Ce sont, à quelques égards, et dans quelques cas particuliers, des restrictions au principe qui laisse au juge toute latitude dans les éléments de sa conviction; mais ce principe n'en reçoit en lui-même aucune atteinte; il constitue le droit commun des matières criminelles ; il s'applique d'une manière absolue à toutes les incriminations où il ne rencontre pas une limite formellement exprimée, et ce n'est que dans quelques incriminations spéciales que cette limite existe. 1779. En constatant que notre législation n'a nullement réglementé la preuve, et que, sauf quelques mesures restrictives, elle a voulu que le juge en appréciât librement tous les éléments, est-ce une critique, est-ce un éloge que nous exprimons? Faut-il regretter qu'à défaut des règles qui liaient, dans le système de la preuve légale, la conviction du juge, le législateur n'ait pas formulė du moins quelques préceptes sur l'emploi et les conditions des différents moyens de preuve? Il nous paraît que notre Code a suivi la méthode la plus sûre pour arriver dans les procédures criminelles à la connaissance de la vérité; il nous paraît que ce n'est point sans quelque péril que la loi essaie de formuler des maximes sur les conditions de la preuve, même en ne leur attribuant que l'autorité de préceptes non obligatoires ou de conseils. Les règles légales, même dénuées d'une sanction directe, par cela seul qu'elles révèlent l'esprit de la loi et la pensée qui l'anime, impriment nécessairement au juge la direction qu'il doit suivre; il y prend son point d'appui, ses motifs de décision, et il est en général plus disposé à les généraliser qu'à les restreindre. Or, toute règle en matière de preuve, quelque prudente qu'elle soit, peut, dans un cas donné, enchaîner la conviction du juge et conduire à froisser la vérité des faits. Admettons, par exemple, cette règle, l'une des plus judicieuses de notre ancien droit, que la confession du prévenu ne peut faire preuve contre lui, que lorsque le corps du délit est constaté1. Quelle en serait la conséquence? C'est que toutes les fois que le fait matériel du délit ou de la contravention ne serait pas constaté par un procès-verbal régulier, l'aveu du prévenu, bien qu'il entraînât la conviction, ne pourrait servir de base à une condamnation. Admettons encore ces maximes, en elles-mêmes incontestables, que le juge doit préférer les preuves particulières aux preuves générales, les preuves affirmatives aux preuves négatives: ne peut-il arriver que ce soit d'un fait général, par exemple, de la vie habituellement pure de l'inculpé, et d'un fait négatif, de la présence de cet inculpé dans un autre lieu, que jaillisse la vérité? et n'est-il pas dangereux de subordonner les preuves d'un certain ordre aux preuves d'un autre ordre? Ne vaut-il pas mieux les livrer toutes, et sans distinction, au juge qui les apprécie dans sa conscience? Que les jurisconsultes élaborent scientifiquement ces dogmes de la conscience juridique; que la jurisprudence, comme la common law anglaise, les recueille dans sa pratique habituelle, il n'y a sans doute à cela nul inconvénient; car les préceptes des légistes et les usages de la pratique peuvent éclairer, mais ne contiennent en eux-mêmes aucun lien obligatoire. Mais, dès que ces préceptes prennent place dans la loi, ils revêtent un caractère absolu, ils s'étendent du cas prévu au cas imprévu, ils s'emparent de l'opinion du juge et l'égarent par une direction qui devient erronée dès qu'elle devient générale. 1780. Il reste maintenant à indiquer les moyens de preuve mis par la loi à la disposition du juge, et qui sont les éléments de sa conviction. En thèse générale, tout moyen de produire la certitude est un moyen de preuve. La loi n'a point classé méthodiquement les preuves; elle n'a point prescrit au juge de n'employer que telles ou telles preuves; elle en a spécifié quelques-unes, elle n'en a exclu aucune. Fidèle à son principe, en imposant au juge le devoir d'instruire, c'est-à-dire de chercher la vérité d'un fait, elle le laisse libre des éléments de sa conviction. 1 L. 16, Cod., De pænis, et l. 10, Cod., De episcopis; Paul., Sentent. lib. V, tit. XVI, § 13: Boerius, Déc. 164, n. 10; Gui-Pape, Quæst., 339, n. 1; Julius Clarus, quæst. 65, n. 1; Farinacius, quæst. 81, n. 1 et 4; Ayrault, liv. III, part. 3, n. 27. 2 Philipps, Treatise of the law of evidence, tom. I, p. 374. 1 Il serait donc inutile de reproduire aujourd'hui les divisions faites par la doctrine entre les preuves affirmatives ou négatives, directes ou conjecturales, parfaites ou imparfaites, naturelles ou artificielles. Toutes les preuves, quelle que soit leur nature, sont purement morales, en ce sens qu'elles ne produisent aucun effet nécessaire, qu'elles sont simplement offertes à l'appréciation du juge, qui est libre de puiser son opinion aussi bien dans une preuve négative, conjecturale ou imparfaite, que dans une preuve affirmative, directe et complète. Mais on ne doit pas confondre les faits probants et les moyens de preuve. Les faits probants sont tous les faits qui peuvent faire preuve, c'est-à-dire les indices, les présomptions, les déclarations, les rapports, les circonstances indicatives, les renseignements, enfin tous les documents et les révélations propres à établir la vérité du fait incriminé. Les moyens de preuve sont les organes par lesquels ces faits parviennent au juge, les instruments de sa vérification, les mesures qu'il peut ordonner pour arriver à la constatation judiciaire. Le Code d'instruction criminelle a prévu et autorisé les moyens de preuve qui suivent : L'inspection personnelle du juge, qui comprend son transport sur les lieux, les visites au domicile du prévenu et au domicile des tiers, la saisie des pièces de conviction; L'audition des témoins, soit dans l'information, soit à l'audience, et par conséquent la confrontation de ces témoins, soit entre eux, soit avec l'inculpė; La vérification par experts; L'interrogatoire de l'inculpé et par suite toutes les révélations et tous les aveux qui peuvent en émaner; L'examen des titres, écrits et pièces de conviction. Nous allons examiner ces moyens de preuve, les conditions de leur application, et les cas où ils peuvent être employés, dans les chapitres suivants. Nous avons dû poser d'abord dans celui-ci le principe qui domine toute la preuve; il faut maintenant mettre en œuvre toutes les mesures qui ont pour but de découvrir et de rassembler les éléments de cette preuve. Ces mesures font partie de l'information; c'est donc en exposant les actes de cette information que nous les examinerons successivement. |