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gnant puisse, par sa seule volonté, enlever au prévenu le jugement d'une juridiction et reproduire ensuite la même action lorsqu'il trouvera des chances plus favorables à sa demande. Mais cette considération ne suffirait pas pour ôter à cette partie un droit que la loi lui aurait accordé; ce qu'il faut donc examiner, c'est si ce droit survit au désistement.

En matière civile, le désistement a pour effet d'anéantir l'instance, mais il laisse subsister l'action; il remet les choses de part et d'autre dans le même état où elles étaient avant la demande; il n'opère donc aucune fin de non-recevoir contre une demande nouvelle; le droit d'agir en justice subsiste toujours. Mais ce désistement est l'œuvre des deux parties; c'est un contrat judiciaire qui se forme entre elles; il faut, aux termes des articles 402 et 403 du Code de procédure civile, qu'il soit formellement accepté par le défendeur, ou qu'il soit sanctionné par la justice. Est-ce là le caractère du désistement en matière criminelle? Est-il soumis à l'acceptation du prévenu? Celui-ci a-t-il le droit de s'y opposer? Le désistement de la partie civile est l'œuvre de sa seule volonté; il ne constitue point, comme le dit par erreur M. Mangin', un contrat judiciaire entre cette partie et le prévenu; la loi ne demande aucun concours, aucune adhésion de ce dernier; l'acte est régulier, par cela seul qu'il émane du plaignant et qu'il a été régulièrement signifié. Or, comment admettre que deux actes aussi dissemblables puissent produire le même effet, que le désistement que le défendeur peut discuter, auquel il peut s'opposer ou adhérer, amène exactement le même résultat que le désistement qu'une partie fait à l'insu de l'autre, peut-être contre son gré et contre ses intérêts? Si la loi n'a pas voulu qu'en matière civile une des parties put être surprise par un désistement qui lui enlèverait le bénéfice de la juridiction saisie, comment autoriserait-elle ce désistement en matière criminelle, sans que le prévenu pût le débattre et défendre ses intérêts, s'il n'avait pas des conséquences différentes? Il importe peu que l'article 67 ait déclaré que le plaignant peut intervenir en tout état de cause jusqu'à la clôture du débat; car cet article, qui n'a pour objet que de fixer le terme de cette intervention, n'a nullement prévu que le plaignant pût ressaisir la juridiction qu'il a dessaisie, et, dans le même débat, abdiquer ou reprendre la qualité de partie 1 De l'instr. écrite, tom. 1, 112.

civile suivant les phases de la discussion orale. Il faut évidemment ou que le prévenu ait le même droit que le défendeur au civil, ce que la loi lui refuse, ou que le désistement ait un autre effet. Or, cet effet, c'est que cet acte n'emporte pas seulement, comme au civil, l'abandon de l'instance, mais aussi l'abandon de la juridiction saisie; c'est que le plaignant renonce à poursuivre ses intérêts civils devant la juridiction criminelle. C'est parce que telle est la conséquence du désistement, qu'il est inutile qu'il soit accepté par le prévenu ou confirmé par le juge; car l'intérêt de la défense ne peut, en général, être froissé par cela seul que la partie lésée se réfugierait devant la juridiction civile, et nous avons vu précédemment que la maxime und via electâ, non datur recursus ad alteram n'est point applicable à l'abandon de la voie criminelle pour la voie civile (voy. no* 616-621; 1716 et 1717).

Faut-il, comme le propose M. Boitard, aller plus loin et considérer le désistement en matière criminelle comme une renonciation à l'action elle-même, au droit de demander une réparation civile? Les articles 66 et 67 du Code d'instruction criminelle ne font porter le désistement que sur la qualité même de la partie civile, par conséquent sur l'action qu'elle avait intentée devant la juridiction criminelle; le plaignant cesse d'être partie civile; il retire l'action civile qu'il avait jointe à l'action publique. Mais suit-il de là que cette action soit éteinte? Le désistement pur et simple est-il, en droit, une cause d'extinction des droits des parties? L'article 3 du Code d'instruction criminelle ne donne-t-il pas au plaignant la faculté de porter sa demande devant les juges civils? Comment déclarer une déchéance que l'acte en lui-même ne fait pas présumer et que la loi n'a pas prononcée?

Faut-il, comme le propose Jousse, et comme l'ont répété la plupart des auteurs1, régler les effets du désistement sur les termes employés dans l'acte et donner ou refuser au plaignant le droit de reproduire son action civile, suivant que cet acte aura ou n'aura pas inséré des réserves à cet effet? Les réserves de la partie civile peuvent assurément servir à expliquer la teneur de son désistement; mais il paraîtrait difficile de leur accorder la puissance de modifier les règles qui s'appliquent à la juridiction même. Si la partie civile ne peut ressaisir la juridiction qu'elle a

1 Merlin, Rép., vo Partie civile, n. 3; Legraverend, tom. I, p. 201; Bourguignon, Jurispr. des Cod. crim., liv. I, p. 78.

dessaisie, c'est que son désistement a créé un droit au prévenu, c'est que celui-ci, qui n'a pu le contester, ne peut, suivant la volonté capricieuse de cette partie, être soumis ou soustrait, quant à l'action civile, au jugement des juges devant lesquels il se trouve; c'est qu'il ne peut dépendre d'une seule partie de clore ou de rouvrir une instance, suivant les chances qu'elle peut y rencontrer. Or, les réserves ne sauraient donner un droit que la loi ne donne pas; elles peuvent maintenir, elles ne peuvent étendre les privilèges de la personne qui les formule. Ou ces réserves ont pour objet de ressaisir la juridiction criminelle, et le dėsistement ne le permet pas, ou elles ont pour objet de porter l'action devant la juridiction civile, et elles sont superflues, puisque ce droit appartient incontestablement à la partie lésée, même après son désistement.

Jousse, dans une autre espèce, revient sur la même question. « Le plaignant, dit-il, qui s'est désisté en conséquence d'une transaction qu'il a passée avec l'accusé, peut reprendre l'accusation, faute d'avoir payé la peine et les dommages-intérêts promis par cette transaction1. » M. Legraverend reproduit cette solution et ajoute: « Mais il est évident que, pour user de cette faculté, il faut que le désistement soit motivé et conditionnel; car, s'il était pur et simple, le plaignant, suivant la règle générale, ne pourrait plus être reconnu comme partie civile. » Nous venons de voir que la distinction entre le désistement pur et simple et le désistement conditionnel n'a aucune base solide, et que, dans l'un et l'autre cas, le plaignant ne peut, après s'être désisté, se reconstituer partie civile. Dans l'hypothèse actuelle, cette solution est plus puissante encore, puisque le plaignant qui a transigé ne peut demander, en cas que ses dommages-intérêts ne lui soient pas payés, que l'exécution de la transaction, et que l'action qui naît de l'inexécution d'un contrat doit être portée devant la juridiction civile.

§ VII. De l'effet des dénonciations et des plaintes.

1745. Les dénonciations et les plaintes produisent un double effet: elles provoquent l'exercice de l'action publique, elles engagent la responsabilité de leurs auteurs.

1 Tom. III, p. 79.

2 Tom. I, p. 201.

Elles provoquent l'exercice de l'action publique. En dénonçant, en effet, un fait punissable, elles mettent le ministère public en demeure de le poursuivre, elles l'incitent à commencer la poursuite, elles sont la cause impulsive de son action. Mais l'obligentelles à l'exercer? Ont-elles pour conséquence nécessaire de la mettre en mouvement? Nous avons déjà fait de cette question l'objet d'un examen approfondi, et nous nous bornons en conséquence à rappeler les deux règles que nous avons essayé de poser.

La première est que le ministère public a le droit d'apprécier les dénonciations et les plaintes, et qu'il peut s'abstenir de requérir une information, soit lorsqu'elles lui paraissent dénuées de preuves, soit lorsqu'elles ont pour objet des faits dont la répression n'intéresse pas l'ordre général (no 514). La deuxième est que ce droit d'appréciation cesse lorsque le plaignant s'est constitué partie civile, parce que cette constitution est une garantie que la plainte est sérieuse et qu'il y a lieu, dès lors, de la soumettre à un examen judiciaire, sauf à la chambre du conseil à déclarer qu'il n'y a lieu à suivre (no 523). Ainsi, les dénonciations et les plaintes non suivies d'une constitution de partie civile provoquent l'action publique, mais ne la mettent pas en mouvement; les plaintes suivies de constitution de partie civile la mettent, au contraire, nécessairement en mouvement, puisque le ministère public doit les renvoyer au juge d'instruction, lors même que ses conclusions sont qu'il n'y a lieu d'informer.

Or, dans l'une et l'autre hypothèse, les dénonciateurs et les plaignants affirment l'existence d'un fait que les lois punissent, imputent ce fait à des tiers, et appellent pour le réprimer l'intervention de la justice. A la vérité, lorsque les plaignants se portent parties au procès, ils exercent sur la poursuite une influence plus grande, ils la mettent en mouvement, ils y prennent une part active, ils donnent à leurs déclarations une autorité plus efficace. Mais il ne suit pas de là que les plaintes, même privées de cette puissance que leur imprime la qualité de partie civile, soient dénuées de toute influence; elles ne lient pas l'action publique, mais elles l'excitent à se mouvoir; elles laissent la poursuite facultative, mais elles signalent les faits qu'elle doit saisir et fournissent les moyens de la commencer : denunciatio aperit viam judici ad inquirendum ex officio contra aliquem 1. Telle est la 1 Julius Clarus, quæst. 7, n. 1.

source de la responsabilité qui pèse, en général, sur tous les dénonciateurs, quelle que soit la qualité qu'ils aient prise. Nous avons déjà posé ce principe (no 623, 624, 625); il faut maintenant le suivre dans son application.

Nous allons examiner successivement : 1o quel est le caractère de cette responsabilité; 2o dans quelles limites elle doit être appliquée; 3o quelles sont les dénonciations et les plaintes qui peuvent la motiver.

1746. La législation romaine, dont nous avons précédemment exposé les dispositions sur cette matière (n° 55), tendait, en général, à restreindre la responsabilité des accusateurs. L'intérêt de l'État, qui était de favoriser l'exercice du droit d'accusation, pour arriver à la répression des crimes, demandait que les citoyens n'en fussent pas détournés par des conditions trop rigoureuses. Aussi, tandis que la loi frappait de peines sévères l'accusateur coupable de prévarication ou de tergiversation (no 55), elle n'arrivait qu'à travers plusieurs distinctions à punir l'accusateur qui avait porté une fausse accusation, et ne le punissait que lorsqu'il avait calomnié. L'accusateur qui ne pouvait fournir de preuves suffisantes à l'appui de ses allégations n'était passible d'aucune peine 1. Il en était de même lorsque son accusation était erronée, s'il avait eu quelque juste cause d'erreur, si quidem justum ejus errorem repererit, et lorsqu'elle était téméraire, pourvu qu'elle ne fût pas inspirée par la calomnie, Papinianus temeritatem facilitatis veniam continere et inconsultum calorem calumniæ vitio carere. En général, toute accusation, même dénuée de tout fondement, était excusable si elle était le résultat de l'entraînement de la douleur ou de la passion. La calomnie seule, la calomnie évidente était

1 Imp. Alexand. 1. 3, Cod., De calumn.: - Qui non probasset crimen quod intendit, pronunciatur; si calumniæ non damnetur, detrimentum existimationis non patitur. Non enim si reus absolutus est, ex eo solo etiam accusator, qui potest justum habuisse veniendi ad crimen rationem, calumniator credendus est.

2 Marcian., 1. 1, § 3, Dig. ad S. C. Turpill. : Non utiquè qui non probat quod intendit, protinus calumniari videtur... Et si quidem justum ejus errorem repererit, absolvit eum.

3 Marcian., 1. 1, § 5, Dig., eod. tit.

4 Imp. Constant., 1. 2, Cod., De abolition. : - Per errorem seu temeritatem seu calorem...

5 Marcian., 1. 1, § 3, Dig., eod. S. C. Turpill. : Si verò in evidente calumniâ eum deprehenderit, legitimam pœnam ei irrogat.

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