1737. Après avoir parcouru toutes ces formalités, on doit se demander si elles sont nécessaires à la validité des dénonciations et des plaintes, et quel peut être l'effet de leur omission. Il ne faut pas méconnaître l'importance des formes dont la loi a voulu entourer ces actes. Les dénonciations et les plaintes ont pour objet de mettre en mouvement l'action publique, et de placer un citoyen sous la prévention d'un crime ou d'un délit; on est donc fondé à exiger des personnes qui les portent volontairement quelques garanties qui, sans contrôler la vérité de leurs allégations, attestent du moins que ces allégations sont sérieuses et réfléchies; ces garanties sont les formes qui les revêtent d'une sorte d'authenticité. La loi a confié l'application de ces formes aux officiers qu'elle a délégués pour les recevoir: ils doivent tenir la main à ce que toutes les prescriptions légales soient observées; s'ils les rédigent eux-mêmes sur la déclaration verbale des parties, il ne peut exister aucune difficulté à cet égard; leur négligence dans la rédaction de leurs procès-verbaux donnerait lieu à l'application de l'article 280; s'ils reçoivent une plainte ou une dénonciation écrite, ils suppléent en quelque sorte à l'irrégularité de l'acte par le procès-verbal qu'ils dressent pour constater sa réception. Mais, ces précautions prises, faut-il aller plus loin et déclarer que les plaintes qui ne seraient pas revêtues des formalités légales doivent être considérées comme non avenues? Cette question doit être examinée à un double point de vue. L'inobservation des formes prescrites par la loi ne peut, en général, avoir aucune influence sur la procédure. En effet, lorsque les plaintes ne forment pas, comme en matière de diffamation ou d'adultère, la base légale de la poursuite, ou lorsqu'elles ne sont pas suivies de l'exercice de l'action civile, elles n'enchaînent pas l'action publique et ne la mettent pas nécessairement en mouvement; elles ne font que lui fournir des indications que leurs irrégularités ne détruisent pas; ces irrégularités sont couvertes par le réquisitoire du ministère public qui donne à la poursuite sa base légale, quels que soient les vices de l'acte qui l'a provoquée. La nullité de la plainte, fût-elle encourue à raison de l'omission de quelque forme, n'aurait donc aucun effet sur l'action publique qui en est indépendante, et dès lors il n'y aurait pas d'intérêt à la faire prononcer. 1738. Mais la plainte, en même temps qu'elle provoque sans la contraindre l'action publique, peut devenir, à raison des faits qu'elle impute, la source d'une action en responsabilité de la part du prévenu, et sous ce nouveau rapport, il importe qu'elle puisse donner ouverture à cette action. C'est surtout à raison de cette responsabilité que ses formes lui ont été imposées, parce que, d'une part, le plaignant a intérêt à ce que les termes de sa plainte soient authentiquement constatés, et que, d'un autre côté, le prévenu a également intérêt à trouver une base incontestée du dédommagement auquel il peut avoir droit. Il est donc nécessaire que la plainte ou la dénonciation puisse devenir la base d'une réparation civile. Toutes les formes prescrites par l'article 31 sont-elles indispensables à cet effet? Nous ne le croyons pas. La question, à ce point de vue, en effet, n'est plus de savoir si la plainte, à raison de telle formalité omise, est ou non irrégulière, mais si elle constitue ou non une dénonciation ou une plainte. Or, quelles sont les conditions essentielles d'un tel acte? Il faut : 1o qu'il constate quel est le dénonciateur ou le plaignant dont il émane; 2° qu'il formule le fait imputé à un tiers, et que ce fait ait les caractères d'un crime, d'un délit ou d'une contravention; 3o enfin, qu'il ait été remis à un officier de police. Il faut qu'il constate quelle est la personne dont il émane; de là la conséquence que la plainte doit être écrite et signée par le plaignant, à moins que le procès-verbal de l'officier qui la reçoit ne supplée à la signature. Il faut que cette plainte précise le fait et que ce fait soit punissable; car c'est dans l'imputation d'un fait punissable qu'elle consiste, et c'est cette imputation seule qui est la source de la réparation. Enfin, il faut qu'elle soit remise à un officier de police, lors même que cet officier serait incompétent pour la recevoir; car c'est cette remise qui révèle le véritable caractère de l'acte et la suite que la partie a voulu lui assigner. Ce sont là les conditions qui constituent l'acte lui-même. Les autres formes, sans être assurément inutiles, sont cependant secondaires; leur omission peut affecter la solennité de la dénonciation, mais non son existence. Mais supprimez la constatation du nom du dénonciateur, l'imputation d'un fait punissable ou la remise de la dénonciation à un officier public, quel qu'il soit, il ne reste qu'un acte informe, qui peut servir de renseignement, mais qui ne peut plus devenir la base d'une action. La dénonciation dénuée de l'un de ces trois éléments n'est plus une dénonciation; elle doit être considérée comme non avenue. Il est facile, au reste, de dégager cette doctrine de la jurisprudence, quoique les arrêts qui l'ont consacrée, intervenus en matière de dénonciation calomnieuse, aient été peut-être motivés par la pensée d'atteindre la calomnie sous quelque forme qu'elle se voile. Un premier arrêt déclare : « En droit, que les formes prescrites par l'article 31 ne sont qu'accessoires à la dénonciation et non ses éléments constitutifs; que, dans l'absence d'une disposition expresse qui attache à leur inobservation la peine de nullité, on doit s'en tenir au principe général qui n'admet, comme viciant un acte, que ce qui l'affecte dans sa substance, et qu'aux termes de l'article 373 du Code pénal, il suffit, pour donner à un écrit le caractère de dénonciation, qu'il soit spontanément adressé à des officiers de justice ou de police administrative 1. » Un autre arrêt décide dans le même sens : « Qu'il n'est pas exact de dire qu'une plainte, pour n'être pas signée à toutes les pages et pour n'avoir pas été présentée par un procureur fondé qui n'y a pas annexé sa procuration, doive être considérée comme non avenue*. » Mais un troisième énonce une première réserve en déclarant : « Que s'il n'est pas absolument nécessaire que la dénonciation soit revêtue de toutes les formes exigées par l'article 31, il faut au moins qu'elle soit de nature à donner ouverture contre son auteur, dans le cas où il aurait agi de mauvaise foi, à une action en dénonciation calomnieuse et à l'application des peines établies pour ce dernier délit, c'est-à-dire, d'après l'article 373 du Code pénal, qu'elle soit faite par écrit3. » Enfin, un quatrième arrêt formule une autre condition non moins importante, en disposant : « Que les formalités prescrites par l'article 31 ne sont pas substantielles et qu'elles n'ont pour objet que d'offrir à la justice et à celui-là même qui porte une dénonciation la garantie que cette dénonciation exprimera les faits tels que veut les articuler le dénonciateur, afin qu'ils ne présentent pas d'équivoque; que c'est dans cette vue que cet article ordonne que la dénonciation sera rédigée par le dénonciateur ou par son fondé de procuration spéciale, ou par le procureur du roi, s'il en est requis; 1 Cass. 8 août 1835 (J. P., tom. XXVII, p. 540). 2 Cass. 12 janv. 1809 (J. P., tom. VII, p. 311). 3 Cass. 8 déc. 1837 (Dev. et Carr,, 1838, 1, 382). que la condition substantielle et nécessaire pour caractériser la dénonciation, c'est que, conformément au prescrit de l'article 373 du Code pénal, elle soit faite aux officiers de justice ou de police administrative ou judiciaire, parce que ces officiers, une fois saisis de la dénonciation, sont dans l'obligation d'y donner suite et de provoquer une instruction sur les faits qui en sont l'objet 1. » Ces arrèts ne font que reconnaître et consacrer les éléments essentiels de la dénonciation; il faut une base certaine à l'application du principe de la responsabilité. Que si, dans un autre arrêt, la Cour de cassation a considéré comme une dénonciation une simple note non signée révélant un fait punissable et remise à un officier de gendarmerie, cet arrêt, quoiqu'il soit allé peutêtre un peu loin, ne contrarie nullement néanmoins les règles qui viennent d'être posées; il est motivé sur ce « qu'aucune forme n'a été prescrite pour qu'une dénonciation écrite pût être réputée faite par écrit; qu'il suffit donc que, de quelque manière que ce soit, la dénonciation ait été présentée ou transmise par écrit à l'officier de justice ou de police * ». Il faut ajouter au reste «que l'article 31 ne s'applique qu'à la forme des dénonciations faites au procureur du roi, et que cette forme ne concerne nullement celles qui sont adressées aux autorités administratives 3». 3 1739. Nous avons examiné précédemment l'effet de l'omission des formes légales dans les plaintes qui, comme en matière de diffamation ou d'adultère, sont la base nécessaire de la poursuite. (Voy. no 751 et 752.) Quant à celles qui contiennent constitution de la partie civile, il y a lieu d'exiger plus rigoureusement l'observation des formes légales, puisque la loi y a attaché des conséquences plus étendues. Nous avons établi qu'en se constituant partie civile, le plaignant met nécessairement l'action publique en mouvement (no 523); il faut ajouter qu'il devient partie au procès, fournit les preuves ou les discute, prend des conclusions et assume la double responsabilité des frais et des dommagesintérêts. Ces droits et ces obligations veulent une base régulière; cette base est la plainte ou l'acte subsequent qui déclare la qualité de partie civile; il faut donc que cette plainte ou cet acte 1 Cass. 29 juin 1838 (Dev. et Carr., 1839, 1, 697). 2 Cass. 10 oct. 1816 (J. P., tom. XIII, p. 643). 3 Cass. 2 sept. 1825, non imprimé. revête les formes prescrites par la loi, qu'il ait un caractère authentique, qu'il justifie des conditions nécessaires à l'exercice de la double action dont il peut être la source. A la vérité, les formes de la plainte et de l'acte subsequent ne sont pas les mêmes: la loi a prévu les formes de la plainte, elle n'a pas imposé de formes spéciales à l'acte d'intervention de la partie civile; et la raison de cette distinction, en ce qui concerne la partie civile, est sensible: lorsque sa plainte met en mouvement l'action publique, il est nécessaire qu'elle présente la garantie d'un acte authentique ; mais lorsqu'elle ne fait qu'intervenir dans une poursuite déjà commencée, il suffit qu'elle justifie des conditions essentielles à l'exercice de son action. De là cette double conséquence, que le ministère public ou le juge d'instruction, saisi d'une plainte portant constitution de partie civile, ne doit lui donner suite qu'autant que cette plainte est régulière, ét qué le juge devant lequel une instance est pendante ne doit admettre l'intervention de la partie civile qu'autant qu'elle justifie, non plus d'une plainte régulière, mais des conditions qui fondent son action et lui permettent de l'exercer. L'irrégularité de la plainte ou le défaut de justification des conditions de l'action civile peuvent, d'ailleurs, être opposés à la partie, soit par le ministère public, soit par le prévenu (no 756). § VI. Du désistement des parties. 1740. Le droit des parties de se désister de l'action civile qu'elles ont intentée a été précédemment établi (no 610 et 611). Il nous reste à examiner 1o à quels actes s'applique ce désistement; 2o quelles sont ses formes et dans quels délais il doit intervenir; 3o quels sont ses effets. Le droit de désistement ne s'applique ni aux dénonciations ni aux plaintes, il ne s'applique qu'aux actes constitutifs de l'action civile; il ne peut être exercé ni par les dénonciateurs ni par les plaignants; il ne peut l'être que par les parties civiles. Sous la loi du 16-29 septembre 1791 et sous le Code du 3 brumaire an IV, toute personne qui avait porté une dénonciation ou une plainte avait 24 heures pour s'en désister. « Un premier mouvement, disait l'instruction du 29 septembre 1791, peut porter à rendre une plainte inconsidérée. Il est juste de laisser place aux regrets |