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seconde juridiction est saisie. La maxime unâ viâ electâ n'a d'autre but que de régler la marche de l'action civile, telle qu'elle est définie par les articles 2 et 3 du Code d'instruction criminelle; cette action, lorsqu'elle est exercée séparément de l'action publique, et qu'elle a été portée devant les tribunaux civils, ne peut plus revenir devant les tribunaux criminels, mais à condition toutefois qu'elle ait été réellement portée devant la première juridiction, c'est-à-dire qu'elle ait été présentée comme prenant sa source dans un délit, qu'elle ait eu pour objet la réparation du dommage causé par ce délit, et qu'elle ait été dirigée contre l'auteur ou les personnes responsables de ce délit. En un mot, il faut que l'action civile résultant du délit ait été exercée par la voie civile, pour que la voie criminelle lui soit ultérieurement fermée '.

§ IV. Quels sont les officiers compétents pour recevoir les dénonciations et les plaintes ?

1718. Les plaintes, dans l'ancien droit, ne pouvaient être reçues que par le juge. Comme elles étaient en général la base de la procédure, et que le plaignant y figurait comme partie principale, il était naturel de faire arriver directement entre les mains du juge l'acte qui donnait lieu à l'information. Les dénonciations, au contraire, étaient reçues par les procureurs du roi ou des seigneurs, parce que, la poursuite ne se faisant point au nom des dénonciateurs, mais au nom du ministère public, il avait paru nécessaire de les adresser au magistrat qui devait y donner suite.

Le Code d'instruction criminelle a reproduit cette distinction. Aux termes de l'article 63, toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut en rendre plainte devant le juge d'instruction. Aux termes des articles 48 et 50, les juges de paix, les officiers de gendarmerie, les maires, adjoints de maire et commissaires de police, recevront les dénonciations de crimes ou délits commis dans les lieux ils exercent leurs fonctions habituelles. L'article 275 étend le même droit au procureur général.

1 Conf. Cass. 10 janv. 1863 (Bull., no 14); 24 juillet 1863 (n° 207); 27 août 1863 (n° 232); 26 déc. 1863 (no 310); 14 janv. 1864 (no 12).

2 Art. 1 et 2, tit. VI, ord. de 1670.

3 Art. 6, tit. VI, ord. de 1670.

4 L'art. 7 de la loi du 26 mai 1819 applique la même règle aux plaintes pour délits commis par voie de publication.

Mais, après avoir ainsi séparé les officiers qui ont mission de recevoir soit les plaintes, soit les dénonciations, notre Code les confond dans son article 64, ainsi conçu : « Les plaintes qui auraient été adressées au procureur impérial seront par lui transmises au juge d'instruction, avec son réquisitoire; celles qui auraient été présentées aux officiers auxiliaires de police seront par cux envoyées au procureur impérial et transmises par lui au juge d'instruction avec son réquisitoire 1. » Ainsi, le procureur impérial et ses auxiliaires ont le droit, nonobstant les termes restrictifs des articles 48 et 50, de recevoir non-seulement les dénonciations, mais aussi les plaintes. C'est là, en quelque sorte, une exception à la règle posée par l'article 63, et M. Treilhard la jugeait ainsi en l'expliquant : « Ce n'est, disait-il, que pour donner plus de facilité aux parties qu'on leur permet d'adresser leurs plaintes au procureur impérial; mais il faut qu'ensuite cet officier rentre dans ses fonctions et qu'il renvoie la plainte au juge, en y joignant son réquisitoire. » Cette exception, du reste, est parfaitement justifiée dans un système qui n'accorde pas aux plaintes non suivies de constitution d'autres effets qu'aux dénonciations.

Lorsque les plaintes et les dénonciations ont pour objet des contraventions de police, les officiers qui sont compétents pour les recevoir sont indiqués par l'article 11 du Code d'instruction criminelle, qui porte : « Les commissaires de police, et dans les communes où il n'y en a point, les maires, au défaut de ceux-ci, les adjoints de maire... recevront les rapports, dénonciations et plaintes qui seront relatifs aux contraventions de police. » Les articles 49 et 50, qui restreignent cette compétence aux lieux où ils exercent leurs fonctions habituelles, ne s'appliquent qu'aux dénonciations des crimes et délits, et non à celles qui concernent les simples contraventions *.

1719. Les plaintes et les dénonciations sont-elles nulles par cela seul qu'elles ont été adressées à des officiers incompétents pour les recevoir? Il faut répondre négativement, puisque, en général, ces plaintes et ces dénonciations ne sont point une base nécessaire des procédures criminelles; il importe donc peu qu'elles soient régulières ou irrégulières, puisque les poursuites peuvent être exercées lors même qu'elles n'existent pas, pourvu d'ailleurs que ces poursuites aient été dirigées par les magistrats compétents. La Cour de cassation a jugé dans ce sens, sous l'empire de la loi du 7 pluviose an IX : « qu'aucune disposition de la loi ne prononce la nullité d'une plainte, à défaut par les plaignants de l'avoir adressée, comme il est indiqué par l'article 3 de la loi du 7 pluviose an IX, soit à un substitut du commissaire près le tribunal criminel, soit à un juge de paix, soit à un officier de gendarmerie, et n'autorise dans ce cas à priver le plaignant du droit de suivre son action personnelle devant le tribunal saisi de l'action publique 1. »

1 Locré, tom. XXV, p. 176.

2 Cass. 4 nov. 1853 (Bull., no 528).

Mais la solution doit-elle être la même dans les cas où l'exercice de l'action est subordonné à la plainte de la partie lésée? Nous avons précédemment examiné cette question (no 752).

1720. Les plaintes et dénonciations des vagabonds, gens sans aveu, et des personnes insolvables, doivent-elles être reçues? Les anciens auteurs avaient posé à cet égard la règle suivante : « On doit rejeter les dénonciations des personnes viles, surtout quand elles se font contre des personnes illustres et élevées en dignité. Pareillement les vagabonds, ainsi que les gens sans aveu et mal famés, ne doivent point être écoutés dans leurs dénonciations, parce que ceux qui seraient calomnieusement accusés par ces personnes ne pourraient exercer contre elles leur recours en dommages-intérêts *. » Dans notre législation actuelle, il ne doit plus en être ainsi. Les officiers délégués par la loi pour recevoir les plaintes et les dénonciations doivent recevoir toutes celles qui leur sont présentées ; ils n'ont point à apprécier le degré de confiance que mérite le plaignant et les garanties qu'il apporte à l'appui de sa plainte. Il serait étrange que le droit de plainte, assurément le plus incontestable de tous les droits, pût être arbitrairement dénié à certains individus, sous le prétexte de leur indignité, comme si cette indignité les plaçait en dehors de la

1 Arr. cass. 8 prair. an XI (Dev. et Car., tom. I, p. 807); 4 nov. 1853 (Bull., no 528). 2 Jousse, tom. II, p. 57.

protection de la justice et les condamnait à toutes les injures sans pouvoir en obtenir de réparations. Refuser de recevoir une plainte et de la rédiger conformément aux réquisitions des parties, ce serait un véritable déni de justice; car ce serait fermer aux plaignants, qu'ils soient ou non fondés dans leurs griefs, l'accès même de la justice. Et, d'ailleurs, lors même que les plaintes et dénonciations seraient dénuées de fondement, serait-ce donc une raison de les rejeter? Si elles provoquent l'action du ministère public, elles ne la mettent pas nécessairement en mouvement (no 514), et l'examen préalable auquel elles sont soumises en prévient les inconvénients. Enfin, puisque les parties sont libres, en matière correctionnelle du moins, de saisir directement la justice par une citation, il est clair que la loi n'a pu avoir la pensée de soumettre la plainte à une condition qui n'eût pas pesé sur la citation. La disposition de l'article 63, qui porte que « toute personne qui se prétendra lésée par un crime ou un délit pourra en rendre plainte » est donc une règle absolue qui n'admet point de restriction.

Telle est au surplus la doctrine généralement suivie dans la pratique. L'instruction de M. Jacquinot-Pampelune à ses auxiliaires porte : « Je n'ai pas besoin de vous rappeler quelle est sous ce rapport l'importance de vos fonctions; elles vous constituent intermédiaires entre le particulier qui se plaint et la justice qui doit statuer sur ses plaintes; car vous devez regarder l'obligation de les recevoir comme une de celles qui sont plus rigoureusement imposées. » Et l'instruction ajoute : « Hors le cas où très-évidemment la dénonciation ou la plainte n'énoncerait aucun fait réputé par la loi crime, délit ou contravention, l'officier de police est tenu de la recevoir; refuser serait un véritable déni de justice. S'il est douteux que les faits articulés constituent une infraction quelconque, c'est à la justice seule qu'il appartient de lever le doute. L'officier de police ne peut donc refuser de recevoir la plainte ou la dénonciation sous le prétexte que le caractère du fait est douteux: il le peut encore moins sous le prétexte que la preuve serait impossible. » Ainsi, la seule limite que cette instruction indique à l'obligation de recevoir les plaintes est le cas où le fait dénoncé ne constitue très-évidemment ni crime, ni délit, ni contravention; dans ce cas, en effet, ce n'est plus une plainte qui est portée, puisque c'est le caractère punissable du fait dommageable qui fait la plainte, et la compétence des officiers de police cesse d'exister. Mais dès qu'il peut s'élever un doute, il faut l'interpréter en faveur du droit de plainte, en faveur des parties lésées, et la plainte doit être reçue, sauf à être ultérieurement appréciée.

1721. Cette règle s'applique même aux cas où la plainte semblerait blesser certaines convenances ou soulever quelque scandale. Dans notre ancien droit, la jurisprudence, se fondant sur quelques distinctions de la loi romaine relatives au droit d'accusation', déniait le droit de plainte, dans certaines circonstances, au fils contre le père, à la femme contre le mari, aux frères et sœurs les uns contre les autres. Ces restrictions, justes au point de vue de la morale, ne le sont point au point de vue du droit. Le délit ne perd pas son caractère, sauf le cas prévu par l'article 380 Code pénal, parce qu'il a été commis par un parent envers un parent, et, par conséquent, la personne qu'il a lésée ne peut être privée, à raison du lien qui l'attache au prévenu, de son droit à une réparation. Que s'il est préférable que la plainte ne vienne pas produire au dehors les plaies secrètes de la famille, ce n'est point à l'officier de police à se constituer juge de sa convenance. La loi est générale, elle n'écarte personne.

1722. Quel serait le recours du plaignant contre l'officier qui refuserait de recevoir sa plainte? L'article 147 du Code du 3 brumaire an IV portait : « Toute personne qui a porté sa plainte ou dénonciation à un juge de paix peut, sur son refus constaté de délivrer un mandat soit d'amener, soit d'arrêt, soit de comparution, se présenter au directeur du jury. Dans ce cas, et dans tous ceux où le directeur du jury trouve que le juge de paix a mal à propos refusé de délivrer l'un ou l'autre mandat, il est tenu de le délivrer lui-même. » Dans notre législation, le plaignant peut soit se constituer partie au procès, soit porter sa plainte jusqu'au procureur général. Dans le premier cas, par la voie de la citation directe, aux termes de l'article 182, si le fait dommageable n'est qu'un simple délit, ou par sa constitution comme partie civile devant le juge d'instruction, aux termes de l'article 63, soit qu'il s'agisse d'un délit ou d'un crime, il peut mettre en mouvement

1 L. 13 et 18, Cod. de his qui accus. non possunt.

2 Jousse, tom. II, p. 57.

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