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num, sed innocentiâ reus purgatur1. Mais d'abord cette règle a quelques exceptions en matière de diffamation et de dénonciation calomnieuse; la défense du prévenu peut consister quelquefois dans la preuve du délit qu'il impute au plaignant. Ensuite il ne s'agit point ici d'une exception récriminatoire, ni de compenser un délit par un délit; il s'agit de les saisir l'un et l'autre; il s'agit uniquement de savoir si l'individu sur lequel pèse une prévention peut en élever une autre contre le plaignant lui-même. Or, s'il n'est pas devenu incapable d'ester en justice (n° 547), pourquoi ne le pourrait-il pas? pourquoi la poursuite exercée contre lui le mettrait-elle en dehors du droit commun? Sans doute il importe que l'accusé ne puisse, en abusant du droit de plainte, jeter sur la partie qui l'accuse un reflet défavorable; mais il ne faut pas exagérer les effets d'une plainte qu'il est toujours facile d'apprécier, avant même qu'elle ait été l'objet d'un examen judiciaire; et s'il était vrai ensuite que l'accusé pût y trouver un moyen de défense, si les imputations étaient réelles, si elles enlevaient aux déclarations de la partie civile leur impor. tance, serait-il juste de le priver d'un tel moyen? Supposez deux délits connexes dont l'un ait été la suite et la conséquence de l'autre, faudra-t-il que la partie la plus diligente puisse, en hâtant le dépôt de sa plainte, intervertir les rôles et frapper d'impuissance la plainte qui la menace? « Chacune des parties, dit Jousse, ayant été offensée dans la même action et à l'occasion du même fait, l'une et l'autre est également fondée à accuser l'autre partie 3. » Et quel est le péril de ces plaintes successives? Si la justice accueille toutes les dénonciations, n'est-elle pas appelée à les apprécier ensuite? Le juge n'est-il pas libre de joindre ou de ne pas joindre la nouvelle plainte à la première poursuite, suivant qu'il le croit utile à la bonne administration de la justice? A la vérité, l'accusé peut toujours alléguer pour sa défense les reproches qu'il dirige contre la partie civile; mais quand ces reproches deviennent des imputations graves, la seule voie légale de les produire n'est-elle pas la voie de la plainte ? Et pourquoi le droit fléchirait-il à l'égard d'un prévenu qui n'est encore atteint d'aucune incapacité?

1 L. 5, Dig., De publ. jud.

2 C. pén., art. 373, et 1. 26 mai 1819, art. 20.

* Jousse, tom. III, p. 37.

1716. La partie lésée est-elle recevable à se porter partie civile à raison d'un délit, lorsqu'elle a déjà saisi la juridiction civile à raison du même fait? Nous avons précédemment établi l'autorité et les effets de la maxime : una via electa, non datur recursus ad alteram (n* 616-621), et nous avons posé le principe général que, lorsque la partie lésée a porté son action devant la juridiction civile, il y a lieu de présumer qu'elle a renoncé à employer la voie criminelle. Cette présomption, toutefois, ne peut pas être opposée au plaignant d'une manière absolue, et par cela seul qu'il a pris la voie civile, et il importe, pour appliquer sainement le principe, de poser une distinction que la jurisprudence a récemment consacrée.

Il faut remarquer en premier lieu que la règle una viâ electa, qui apporte une sorte de dérogation au droit général qu'ont les parties de porter leurs demandes devant tous les juges compétents, ne doit être appliquée qu'avec une certaine réserve. Il importe sans doute que, suivant l'expression de M. le président Barris, un prévenu ne soit pas traîné d'une juridiction à une autre suivant l'intérêt ou le caprice d'une partie; mais il importe aussi que le droit de cette partie de porter son action civile devant la juridiction répressive ne lui soit dénié que lorsqu'il est certain qu'elle a déjà porté la même action devant la juridiction civile. La raison de décider est dans les articles 171 du Code de procédure civile et 1351 du Code civil. L'article 171 veut que le renvoi soit ordonné par le tribunal saisi de la demande, s'il a été formé précédemment, en un autre tribunal, une demande pour le même objet. Il faut donc, pour que la plainte puisse être écartée, que la demande formée devant la juridiction civile ait le même objet; c'est là la première condition de la fin de non-recevoir; et en effet, si la demande n'a pas la même cause, si elle ne prend pas sa source dans le même fait, il est clair que ce n'est plus la même demande, et alors pourquoi ne serait-elle pas recevable? La seconde condition est que les deux demandes soient formées, comme l'exige l'article 1351, non-seulement pour la même cause, mais entre les mêmes parties; car on ne saurait opposer à une partie un contrat judiciaire qui ne peut la lier, si ce n'est pas elle qui l'a formě. Ainsi, en thèse générale, la maxime und viâ electâ ne peut être opposée par le prévenu que dans le cas où la plainte est formée par la même partie et a le même objet que la demande civile antérieurement formée. Mais dans quelles circonstances cette double condition est-elle réputée exister? Dans quels cas la demande a-t-elle le même objet? La jurisprudence va nous donner la solution de cette difficulté.

1717. Dans une première espèce, un mari, après avoir formé une demande en séparation de corps, pour cause d'adultère, avait saisi la juridiction correctionnelle à raison du même fait. Cette seconde action était-elle recevable? La question n'était pas sans difficulté; car le tribunal civil saisi d'une demande en séparation pour cause d'adultère peut, aux termes de l'article 308 du Code civil, prononcer une peine contre la femme. Sous quels rapports différaient donc les deux actions? La Cour de cassation les a expliqués dans un arrêt qui rejette l'application de la maxime : « Attendu que l'exception de litispendance et la maxime una vià electâ, non datur recursus ad alteram ne peuvent être invoquées qu'autant qu'il y a identité dans l'objet des deux actions et identité des parties qu'elles mettent en cause; que la demande reconventionnelle formée par de Vilieu, devant le tribunal correctionnel de Trévoux, avait pour objet la séparation de corps et la révocation des avantages matrimoniaux stipulés en faveur de sa femme par son contrat de mariage; que la dénonciation qu'il a faite ultérieurement devant le tribunal correctionnel de Bourges du délit d'adultère qui fait l'objet de cette dénonciation et la demande en dommages-intérêts qu'il a formée en même temps contre sa femme et son prétendu complice ont eu pour but de provoquer contre les prévenus l'application de la loi pénale et une condamnation à des dommages-intérêts; que ces deux actions n'avaient pas le même objet et qu'elles ne mettaient pas les mêmes parties en cause; que, par conséquent, il n'y a eu dans l'espèce de violation ni de l'exception de litispendance, ni de la maxime invoquée'. »

Dans une deuxième espèce, un créancier avait opéré une saisiearrêt sur des valeurs appartenant à son débiteur, et, en demandant la validité de la saisie, conclu au payement d'une somme à titre de restitution de valeurs que ce débiteur avait reçu mandat de toucher pour lui. Il forma ultérieurement une plainte en abus 1 Cass. 22 juin 1850 (Bull., no 203).

de confiance pour détournement des mêmes valeurs. Cette plainte était-elle recevable? Cette double demande n'avait-elle pas le même objet, la restitution des sommes reçues à titre de mandat ? La Cour de cassation a décidé : « que la maxime unâ viâ electâ ne peut être invoquée que quand les deux demandes formées par la même personne, entre les mêmes parties, ont à la fois la même cause et le même objet; qu'en fait, l'instance portée par Silburn, cessionnaire de Chardin, devant le tribunal de première instance de la Seine, a pour point de départ une saisie-arrêt opérée sur les débiteurs de Delacourtie, mesure essentiellement conservatoire, à laquelle est attachée une procédure spéciale civile de sa nature; que si, dans la demande en validité de cette saisie, Silburn a conclu à la condamnation de Delacourtie au payement de la somme de 23,000 francs, cette condamnation était alors réclamée à titre d'inexécution des conventions originairement intervenues entre Chardin et Delacourtie, et à titre de restitution des valeurs que ce dernier avait reçu mandat de toucher pour Chardin, tandis que l'instance correctionnelle introduite plus tard par Silburn est basée sur un fait nouveau, sur le détournement que Delacourtie aurait frauduleusement opéré de cette somme après sa réception, ce qui rentrerait dans l'application de l'article 408 du Code pénal; qu'elle tend d'abord au payement, même par corps, des 23,000 francs à titre de réparation du délit, puis en outre à tels dommages-intérêts qu'il plaira au tribunal de fixer; qu'il n'y a donc pas identité de demandes1.

Dans une troisième espèce, un individu s'était engagé avec clause pénale à ne plus contrefaire certains moulages et les avait néanmoins contrefaits. De là deux actions, action en payement de la clause pénale, action en contrefaçon. Ces deux actions avaient leur source dans le même fait, elles avaient la même cause, mais elles n'avaient pas le même objet: l'une ne demandait que le payement de la clause stipulée, l'autre exigeait des dommagesintérêts à raison de la contrefaçon; le fait de cette contrefaçon n'était que l'événement de la convention, tandis qu'il était la cause principale de l'action correctionnelle. La Cour de cassation a jugé en conséquence « qu'il n'y avait pas lieu dans l'espèce à l'application de la maxime una viâ electâ, et qu'en rejetant la plainte en contrefaçon, par le seul motif que la même demande 1 Cass. 13 août 1851 (Bull, no 341).

avait été portée devant le tribunal de commerce, l'arrêt attaqué avait méconnu les règles de la compétence de la juridiction cor

rectionnelle1».

Enfin, dans une dernière espèce analogue à celle de l'arrêt du 16 août 1851, une même somme était réclamée à deux titres différents : à titre de compte de gestion, à titre de détournement frauduleux; là comme restitution, ici comme réparation d'un délit qui avait causé une lésion. La Cour de cassation a décidé qu'il n'y avait pas identité entre les deux demandes, « attendu que la maxime una via electa ne peut être opposée à la partie civile qui demande à la juridiction correctionnelle la réparation d'un délit que dans le seul cas où l'action portée d'abord par cette partie devant la juridiction civile avait pour objet la réparation du même délit; que cette maxime, en effet, qui n'est qu'une application du principe que consacrent les articles 2 et 3 du Code d'instruction criminelle, qui permet la séparation de l'action publique et de l'action civile, ne peut être invoquée en matière criminelle que lorsqu'elle a pour but de régler la marche de l'action civile à laquelle s'appliquent ces articles; que ce n'est aussi que dans ce seul cas que les deux demandes doivent être considérées comme ayant la même cause et le même objet, et qu'il y a lieu par conséquent d'appliquer le principe d'équité qui défend à une partie civile de trainer le prévenu d'une juridiction à une autre

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Ces différents arrêts se résument dans cette règle que les deux demandes ne sont réputées avoir le même objet que lorsqu'elles réclament l'une et l'autre la réparation du même délit, que ce n'est que lorsque l'action civile a été portée dans les mêmes termes et avec le même but devant la juridiction civile qu'elle ne peut plus être accueillie par la juridiction criminelle. Et, en effet, par quel motif la partie lésée serait-elle privée de son droit, par cela seul qu'elle a saisi la juridiction civile, si elle ne l'a pas saisie de la même demande, si ses réclamations portaient sur un point différent, si aux restitutions qu'elle réclamait elle a joint des dommages-intérêts? La même action ne doit pas sans doute être portée devant deux juridictions; mais la question n'est plus la même quand c'est d'une action différente et nouvelle que la

1 Cass. 7 mai 1852 (Bull., no 149).

8 Cass. 6 août 1852 (Bull., no 267).

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