voir de renvoyer la connaissance d'une affaire d'un juge d'instruction à un autre juge d'instruction, pour cause de sûreté publique ou de suspicion légitime. Le même droit appartenait aux cours de parlement dans notre ancienne législation, en vertu de l'article 3 de l'édit de février 1684 et de l'article 90 du titre Ier de l'ordonnance d'août 1737. Les causes de ces renvois, définies par la loi, et les formes suivant lesquelles ils doivent être ordonnés, sont une garantie que le législateur n'a pas voulu qu'il fût permis, suivant l'expression de M. Treilhard, « de distraire arbitrairement les citoyens de leurs juges naturels1». C'est dans l'intérêt de la justice, c'est pour assurer l'impartialité de ses jugements, que la loi a dû remettre à la Cour de cassation la haute attribution de dépouiller, dans de certaines circonstances, les juges du lieu au profit des juges qu'elle désigne. Mais, quelque légitime que soit cette sorte d'évocation, elle n'en constitue pas moins un trouble dans la règle ordinaire des compétences, une interversion dans l'ordre des juridictions. Ce n'est plus le lieu de la perpétration du délit, de la résidence du prévenu ou de sa capture, qui fait la compétence du juge; c'est la désignation de la Cour de cassation: le juge saisi par le renvoi devient le seul juge compétent pour instruire. Nous examinerons ultérieurement les causes et les règles de ces renvois. 1691, Une quatrième exception est puisée dans la nature spé cialę de certaines instructions. Il est, en effet, quelques faits qui, à raison des circonstances dans lesquelles ils interviennent, à raison de la difficulté de la preuve et de la spécialité de leur caractère, ont été attribués par la loi à un autre juge que celui du lieu de la perpétration, de la résidence ou de la capture. Nous nous bornerons à les énumérer. 1o La reconnaissance de l'identité des individus condamnés, évadés et repris, ou qui ont enfreint leur ban. L'article 518 du Code d'instruction criminelle est ainsi conçu : « La reconnaissance de l'identité d'un individu condamné, évadé et repris, sera faite par la cour qui aura prononcé la condamnation. Il en sera de même de l'identité d'un individu condamné à la déportation ou au bannissement qui aura enfreint son ban et sera repris, » Ainsi, au juge du lieu de l'évasion, de la résidence ou de la cap1 Locré, tom. XXIV, p. 408. ture, la loi substitue le juge qui a prononcé la première condamnation; la raison en est que ce dernier juge a paru le plus propre à constater l'identité. 2o Les délits commis par la voie de la presse. L'article 12 de la loi du 26 mai 1819 est ainsi conçu : « Dans les cas où les formalités prescrites par les lois et règlements concernant le dépôt auront été remplies, les poursuites à la requête du ministère public ne pourront être faites que devant les juges du lieu où le dépôt aura été opéré, ou de celui de la résidence du prévenu. En cas de contravention aux dispositions ci-dessus rappelées concernant le dépôt, les poursuites pourront être faites soit devant le juge de la résidence du prévenu, soit dans les lieux où les écrits et autres instruments de publication auront été saisis. Dans tous les cas, la poursuite à la requête de la partie plaignante pourra être portée devant les juges de son domicile, lorsque la publication y aura été effectuée. » Cet article consacre plusieurs exceptions au principe de la compétence territoriale. En premier lieu, la poursuite, dans l'hypothèse du premier paragraphe, ne peut être faite que devant les juges du lieu où le dépòt aura été opéré ou de celui de la résidence du prévenu; d'où il suit : 1o que le juge du lieu où le prévenu est trouvé cesse d'être compétent en cette matière; 2o que la loi, en assimilant le lieu du dépôt au lieu de la publication, substitue une publication fictive à la publication réelle et déclare attributif de compétence un fait qui ne constitue pas la perpétration même du délit. Ensuite, et si, dans l'hypothèse du deuxième paragraphe, il fallait s'attacher servilement aux termes de la loi, on serait conduit à décider que la saisie des instruments de publication, et par conséquent des presses, suffirait pour attribuer compétence au juge du lieu de la saisie. Cette interprétation est tellement contraire aux règles du droit commun qu'elle doit être écartée : le lieu où la saisie des écrits et autres instruments de publication a été faite est le lieu où la publication a été opérée. Enfin, le troisième paragraphe ajoute aux lieux qui, suivant la loi commune, sont attributiss de compétence le lieu du domicile de la partie plaignante, pourvu que la publication y ait été effectuée. L'addition de cette condition indique que la dérogation n'est pas aussi grave qu'elle le paraît d'abord, puisque le lieu où la publication s'est effectuée est, après tout, le lieu où le délit s'est accompli; mais il y a lieu de remarquer néanmoins que le lieu du domicile du plaignant attire nécessairement le prévenu, bien que la publication ait été faite en d'autres lieux, et que, le délit étant consommé par le premier fait de publication, ce n'est que par une sorte de fiction que le même délit est considéré comme s'accomplissant encore dans tous les lieux où d'autres faits de publication suivent le premier, où l'écrit déjà publié est successivement connu. Au reste, ces modifications au principe de la compétence ne s'étendent ni aux délits de la parole, ni aux délits commis par une voie de publication qui ne donne pas lieu au dépôt légal. 3o Les contraventions relatives aux dépôts de tissus prohibés. L'article 65 de la loi du 28 avril 1816 porte que, dans le cas de saisie de marchandises prohibées, les pièces seront remises « au procureur du roi près le tribunal correctionnel dans le ressort duquel le dépôt des marchandises aura été effectué ». Le véritable lieu du délit est le lieu de l'introduction de ces marchandises, mais la loi, en incriminant la seule détention, le seul dépôt, a transporté le lieu du délit au lieu de ce dépôt. 4° Les faits relatifs aux ateliers et manufactures. L'article 21 de la loi du 22 germinal an II porte : « En quelque licu que réside l'ouvrier, la juridiction sera déterminée par le lieu de la situation des manufactures ou ateliers dans lesquels l'ouvrier aura pris du travail. » Mais cette disposition, applicable encore quant aux mesures de police dont cette loi rend les ouvriers passibles, a cessé de l'être quant à la juridiction criminelle. En effet, les délits qu'elle avait prévus ont fait depuis l'objet des articles 142, 414 et 415 du Code pénal, et se trouvent dès lors soumis, quant à leur poursuite, aux règles posées par le Code d'instruction criminelle. 5o Le délit d'insoumission des jeunes soldats appelés sous les drapeaux. L'article 39 de la loi du 21 mars 1832 porte que « l'insoumis sera jugé par le conseil de guerre de la division militaire dans laquelle il aura été arrêté ». Ce qui exclut le lieu de la résidence habituelle et celui où la désobéissance s'est manifestée. Mais cette disposition, que nous ne citons que comme une nouvelle application de l'esprit général de la législation, ne touche sous aucun rapport au juge d'instruction, qui est incompétent ratione materiæ et persona. Ces exemples suffisent pour faire voir que, dans quelques cas 1 très-peu nombreux du reste 1, la loi a cru devoir, dans un intérêt d'administration de la justice et pour rendre son action plus facile, s'écarter des règles qu'elle a posées: c'est, en général, le caractère spécial du délit et la nécessité de le saisir là où il peut être prouvé qui motivent ces différentes dérogations au droit commun. 1692. Une dernière exception, qui prend sa source dans les règles mêmes de la procédure, est la conséquence nécessaire de l'annulation des arrêts et jugements que prononce la Cour de cassation: aux termes des articles 427 et 429 du Code d'instruction criminelle, cette Cour, après avoir déclaré la nullité, ordonne le renvoi des procès devant un autre juge. Ainsi, le juge dont la procédure est annulée et qui était le juge du lieu devient incompétent pour en connaître une seconde fois; et ses attributions passent tout entières entre les mains du juge que la Cour de cassation désigne. Cette désignation, qui est laissée à la souveraine appréciation de cette Cour, opère done une interversion dans l'ordre des compétences; elle substitue au juge du lieu le juge ordinairement le plus voisin de ce lieu, qui paraît le plus propre à continuer la mission commencée par le premier. Les principes qui régissent les renvois après cassation seront ultérieurement expliqués; on doit seulement faire remarquer ici avec quel soin la loi a voulu préserver le juge d'instruction saisi par le renvoi de toute influence qui pût gêner son impartialité. L'article 429 porte : « Si l'arrêt et la procédure sont annulés pour cause d'incompétence, la Cour de cassation renverra le procès devant les juges qui doivent en connaître et les désignera; toutefois, si la compétence se trouvait appartenir au tribunal de première instance où siége le juge qui aurait fait la première instruction, le renvoi sera fait à un autre tribunal de première instance. » Ainsi, l'incompétence ratione suspicionis adversùs judicem, qui frappe le juge qui a instruit la procédure annulée, enveloppe tout le tribunal où il siége. L'article 431 ajoute : « Les nouveaux juges d'instruction auxquels il pourrait être fait des délégations pour compléter l'instruction des affaires renvoyées ne pourront être pris parmi les juges d'instruction établis dans le ressort de la cour dont l'arrêt aura été annulé. » Ici la loi étend 1 Voy. encore la loi du 2 floréal an II, art. 1er. sa prévoyance plus loin encore: pour garantir l'indépendance du juge saisi par le renvoi, elle le place à l'abri de l'influence de tous les magistrats qui ont participé à la première procédure. Au reste, cette cause d'incompétence, quoiqu'elle produise un trouble dans l'ordre des juridictions, n'est que le résultat nécessaire d'une loi supérieure à la loi de la compétence territoriale, et qui est l'application même de toutes les garanties de la procédure. C'est à raison de la violation des règles légales que l'œuvre du premier juge est brisée, et c'est pour assurer leur exécution qu'un nouveau juge est momentanément investi d'une compétence qui ne devait pas lui appartenir. Mais ce droit de dessaisir le juge naturel ne peut être exercé que par la Cour de cassation. Ainsi, lorsque, dans le cas prévu par l'article 214 du Code d'instruction criminelle, la Cour ou le tribunal d'appel en matière correctionnelle, en reconnaissant au délit les caractères d'un crime, renvoie le prévenu devant un juge autre que celui qui aura rendu le jugement ou fait l'instruction, la dérogation que ce renvoi fait subir aux règles générales de la compétence est limitée à ce qui concerne l'instruction; et, cette instruction faite, l'accusé doit être renvoyé devant la cour d'assises compétente, aux termes de la loi, pour le juger. Ce point a été reconnu par un arrêt portant « que le renvoi (prononcé en vertu de l'article 214) ne pouvait enlever le prévenu à ses juges naturels, qui ne sont autres que ceux désignés par l'article 23 Code instruction criminelle, c'est-à-dire ceux de son domicile, du lieu où le crime a été commis, et du lieu où le prévenu à été arrêté; que dès lors la compétence ordinaire pour le jugement de l'accusé n'a pas pu être changée par cette circonstance que l'affaire a été instruite par un tribunal situé hors du département; que les renvois d'une juridiction à une autre, dans les cas prévus par l'article 214, ne font pas cesser les règles générales de compétence établies par les articles 23 et 63, et ne dérogent pas au principe général établi par l'article 53 de la charte, qui veut que hul ne puisse être distrait de ses juges naturels1». § VIII. La compétence est d'ordre public. 1693. Les règles de compétence établies par la loi pour la poursuite des crimes et délits sont fondées sur un intérêt gé1 Arr. cass. 10 févr. 1842 (Bull., no 24). |