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juridiction. Nous ne ferons que mentionner sommairement ces différentes exceptions, attendu qu'elles se rattachent à des règles qui seront ultérieurement développées.

1685. La première exception est relative aux crimes commis sur le territoire étranger, et qui, aux termes des articles 5 et 7 du Code d'instruction criminelle, peuvent être poursuivis en France. Nous avons précédemment indiqué dans quels cas et sous quelles conditions cette poursuite peut avoir lieu (voy. no 653 et suiv.). Devant quel juge doit-elle être portée? A défaut du lieu de la perpétration du délit, le prévenu ne doit-il pas du moins être traduit soit devant le juge du lieu de sa résidence, soit devant celui du lieu où il est saisi? La loi est muette à cet égard; elle énonce les conditions de l'action, elle n'énonce point le lieu où elle doit être intentée; et ce qui pourrait faire naître quelque hésitation, c'est que si le crime a été commis dans quelque lieu voisin des frontières, il serait utile, dans l'intérêt de la découverte de la vérité, de saisir le juge le plus proche de ce lieu. Mais, en matière de compétence, il ne doit point exister de règle arbitraire. La loi a posé trois règles pour diriger la juridiction du juge d'instruction; si l'une de ces règles ne peut être appliquée, à raison de la situation hors du territoire du lieu du délit, ce n'est pas une raison pour que les deux autres soient enfreintes. C'est donc au lieu de la résidence du prévenu, ou du moins au lieu où il est trouvé, que l'instruction doit être faite '.

1686. Une deuxième exception a pour fondement l'indivisihilité et la connexité des faits. Le principe de l'indivisibilité de la procédure et de la jonction des procédures connexes, aussi ancien que la procédure elle-même, résulte, non de la loi, mais de la nécessité des choses, qui veut que toute action humaine, pour être sainement appréciée, soit examinée dans son ensemble, et non divisément et dans chacune de ses parties. La loi romaine l'avait formellement consacré : nulli audientia præbeatur qui causæ continentiam dividet. L'ordonnance de 1670 en avait fait une application restreinte dans l'article 5 du titre Ier, et l'article 23 du titre II, qui ordonnaient la jonction, dans les mains du juge devant lequel l'accusé était traduit, des informations commencées par d'autres juges contre le même accusé. « Ce n'est pas, disait M. Pussort, qu'il n'en puisse résulter quelques inconvénients; mais il s'en trouvera de plus grands dans la séparation des accusations. Les choses unies sont plus fortes que celles qui sont divisées. Chaque crime en particulier ne saurait être puni avec la même sévérité que si toutes les accusations étaient jointes. On connaît mieux l'état de la vie d'un accusé et quelles peines il mérite en examinant d'une même vue tous ses crimes'. » La jurisprudence avait étendu cette disposition : « Le juge qui connaît du crime d'un accusé, dit Jousse, peut aussi connaître incidemment des autres crimes de cet accusé, quoique commis hors de son ressort et quoique cet accusé ait son domicile dans une autre juridiction...; le juge qui connaît du crime d'un accusé connaît aussi de ses complices, participes, fauteurs et adhérents. Ainsi le juge qui connaît d'un vol connaît de ceux qui ont conseillé de le faire qu qui ont recélé les effets volés, quoique ce recel ait été commis hors son ressort et que le recéleur n'y soit point domicilié. »

1 L'art. 6 de la loi du 27 juin 1866 porte : « La poursuite est intentée à la requête du ministère public du lieu où réside le prévenu ou du lieu où il peut être trouvé. Néanmoins, la cour de cassation peut, sur la demande du ministère public ou des parties, renvoyer l'affaire à un tribunal plus voisin du lieu du crime, 2 L. 10, Cod., De judiciis.

Ces règles dominent encore notre législation moderne. La loi du 30 septembre-19 octobre 1791 renvoie devant le même juge toutes les préventions qui s'élèvent contre le même individu et tous les prévenus d'un même délit (art. 5 et 6 du titre Ir). La loi du 18 germinal an IV déclare « qu'il importe de ne point diviser les lumières qui peuvent établir la preuve de l'innocence d'un accusé ou la conviction d'un crime", La loi du 24 messidor an IV proclame « que l'intérêt public et l'intérêt particulier de chaque accusé ont également consacré cette maxime inviolable que tous les accusés d'un même délit doivent être jugés par le même tribunal ». Les articles 226, 227, 307, 365, 501 et 526 du Code d'instruction criminelle n'ont fait que formuler, dans quelques hypothèses, l'application de cette doctrine. Lorsque plusieurs individus sont prévenus du même crime, la procédure est indivisible, parce que le crime n'est pas divisible de sa nature *. Cette loi de l'instruction criminelle, que la loi écrite essayerait vainement de briser, est fondée sur cette vérité que pour juger un fait moral il faut le connaître tout entier, il faut en examiner tous les éléments. Diviser la procédure, isoler les prévenus, ce serait substituer le doute à la lumière, ce serait multiplier les chances d'erreur, ce serait enlever à chacun des prévenus ses moyens de défense, à la justice la seule voie d'arriver à la vẻrité1. Lorsque plusieurs délits sont connexes, la nécessité de la jonction des procédures est moins impérieuse; mais elle est néanmoins la plupart du temps réclamée par l'intérêt véritable de la justice. Le lien qui a enchaîné les délits les uns aux autres, comme les diverses parties d'une même action, doit les réunir dans la même instruction.

1 Procès-verbal des conférences, p. 11.

2 Tom. I, p. 506 et 518.

3 M. Nicod, séance de la chambre des députés du 1er mars 1837.

1687. Ces principes reconnus, il est facile d'apercevoir que leur application doit modifier les règles de la compétence territoriale dans toutes les hypothèses où ils substituent l'unité à la division de l'instruction. Ces hypothèses peuvent se résumer dans les suivantes : 1o Lorsqu'un seul agent est à la fois inculpé de plusieurs délits; 2o lorsqu'un même délit a été commis par plusieurs personnes; 3o lorsque plusieurs délits connexes sont commis par différents agents.

La première hypothèse n'est qu'une conséquence secondaire du principe de l'indivisibilité des procédures. Il est utile, mais il n'est pas indispensable, pour la saine appréciation de la criminalité d'un agent, que le juge saisi de l'instruction d'un délit joigne à cette instruction celle de tous les délits dont le même agent est en même temps inculpé. Il est certain que la jonction de tous ces faits ne peut qu'éclairer le véritable caractère de chacun d'eux. L'article 234 du Code du 3 brumaire an IV l'avait prescrite en ce qui concerne les accusations : « Le directeur du jury ne peut, à peine de nullité, diviser en plusieurs actes d'accusation, à l'égard d'un seul et même individu, soit les différentes branches et circonstances d'un même délit, soit les délits connexes dont les pièces se trouvent en même temps produites devant lui. » L'article 308 du Code d'instruction criminelle distingue si les délits sont connexes ou ne le sont pas: il ne prescrit for

1 M Merlin, Quest. de droit, vo Incompétence, § 2.

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mellement la jonction des procédures que dans le premier cas1. « Lorsque l'acte d'accusation contiendra plusieurs délits non connexes, le procureur général pourra requérir que les accusés ne soient mis en jugement quant à présent que sur l'un ou quelques-uns de ces délits. » Or, si l'instruction doit en général s'étendre aux différents délits commis par le même individu, il s'ensuit que la compétence du juge saisi du délit le plus grave enveloppe naturellement les autres délits, lors même qu'ils ont été commis sur un autre territoire : le principe de la compétence ratione loci se trouve donc indirectement modifié; la jonction des procédures dessaisit les juges du lieu. Mais il faut immédiatement ajouter que si la première instruction est reconnue mal fondée, le juge devient aussitôt incompétent pour suivre les instructions qui n'étaient venues dans ses mains que par voie d'accession. Ce dernier point a été consacré par un arrêt qui déclare « que ce n'est que par l'usage criminel qui aurait été fait de la pièce prétendue fausse, dans le ressort de la cour de Paris, que cette cour serait devenue compétente pour connaître de ce faux contre ceux prévenus d'en être les auteurs, qui n'étaient pas soumis à sa juridiction, soit à raison de leur domicile, soit à raison du lieu de la fabrication de la pièce fausse; qu'ayant été jugé que les prévenus d'avoir fait usage de la pièce fausse n'avaient pas agi criminellement, et qu'en conséquence il n'y avait lieu de suivre à leur égard, la cour de Paris, n'ayant plus à connaître du seul fait qui aurait déterminé sa compétence, a fait une juste application des principes de la loi, en se déclarant, dans l'espèce, incompétente à l'égard des auteurs du faux 3

".

1688. La deuxième hypothèse est l'application nécessaire et directe du principe de l'indivisibilité. Le juge compétent à l'égard de l'auteur principal d'un crime ou délit est compétent à l'égard de tous les fauteurs ou complices du même fait, lors même qu'il n'est ni le juge du lieu du crime ni celui de la résidence de ces complices. Une circulaire du ministre de la justice avait reconnu cette application en ces termes : « Il s'est élevé des difficultés sur la question de savoir si l'indivisibilité du délit en

1 Arr. cass. 14 mai 1829 (Dall., tom. II, p. 347).

2 Arr. 18 janv. 1849 (Dall., 1849, p. 279).

3 Arr. cass. 26 nov. 1812; Rép., vo Faux, sect. 1, § 2, n. 3.

traîne l'indivisibilité de la procédure, ou, en d'autres termes, si un tribunal saisi de la connaissance d'un erime doit attirer à lui la connaissance de tout ce qui est connexe à ce crime; si, en instruisant le procès d'un accusé soumis à sa juridiction, il peut étendre cette juridiction sur tout individu que l'instruction lui indique comme complice. L'affirmative n'a jamais souffert de doute aux yeux du législateur1. » Elle est écrite, en effet, dans la loi du 22 messidor an IV, dans l'article 501 du Code d'instruction criminelle, dans l'article 19 de la loi du 10 avril 1825, etc. On ne parle point ici du cas où la qualité de l'un des prévenus entraîne ses coprévenus devant un autre juge; c'est là une autre question, qui sera examinée ailleurs; on suppose que tous les prévenus du même délit, domiciliés sur différents points du territoire, et ayant commis en différents lieux leurs actes de parti. cipation, sont justiciables de la juridiction ordinaire: la même instruction doit les comprendre, parce que le délit est indivisible, parce qu'il n'est pas possible d'en séparer les éléments sans altérer la vérité du fait, parce qu'en dispersant les agents, on rend incertaine la part de chacun d'eux dans l'action.

1689. La troisième hypothèse a pour objet les délits connexes. Ce n'est point ici le lieu de définir la connexité et d'établir les règles qui s'y appliquent. Mais, en général, la conséquence de la connexité est que les prévenus des délits connexes doivent être compris dans la même instruction, bien que ces délits aient été commis dans différents ressorts et que les prévenus n'aient pas la même résidence. Les articles 526 et 527 du Code d'instruction criminelle veulent que, lorsque plusieurs juges d'instruction sont saisis de ces délits, il soit procédé par voie de règlement de juges. L'utilité de soumettre à un même jugement des faits qui ont entre eux une certaine relation fait donc fléchir les règles communes de la compétence.

1690. Une troisième exception au principe de la compétence territoriale résulte évidemment de la disposition de l'article 542 du Code d'instruction criminelle, qui, en matière criminelle, correctionnelle et de police, délègue à la Cour de cassation le pou

1 Circ. du 23 frim. an V, rapp. par Dalloz, tom. II, p. 355. 2 Voy. art. 226 et 227 du C. d'instr. crim.

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