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aucun délit; ce sont les faits de fraude que la loi incrimine; dès lors c'est au lieu où ces faits se sont accomplis que le juge peut et doit les saisir.

Enfin, en matière de faux, la même règle doit également être appliquée. La Cour de cassation a déclaré « que les dispositions des articles 23 et 63 du Code d'instruction criminelle sont générales, et qu'aucune loi n'y déroge en matière de faux 1 ". Mais il importe de remarquer que le crime de faux se constitue nonseulement par la fabrication ou la falsification de l'acte incriminé, mais encore par l'usage qui en est fait; le lieu du délit est donc le lieu de la fabrication et le lieu de l'usage de la pièce fausse. C'est ce que la Cour de cassation a reconnu par un arrêt ainsi conçu : « Sur le moyen d'incompétence tiré de la violation des articles 23, 63 et 69 du Code d'instruction criminelle, en ce qu'aucun des crimes imputés à l'accusé n'aurait été commis dans l'étendue du ressort de la cour d'assises de la Seine, et que d'ailleurs ce département n'est pas celui de la résidence dudit accusé, ni du lieu où son arrestation a eu lieu; d'où il suit, d'après le demandeur, que la cour d'assises de la Seine était incompétente pour connaître de l'accusation portée contre lui;

attendu qu'il résulte des 3o, 4o et 5o questions posées au jury, et des réponses affirmatives par lui faites à ces questions, que le préjudice résultant des crimes de faux et d'usage fait sciemment desdits faux a été perpétré et consommé à Paris, par l'effet de la négociation qui a été faite dans cette ville des douze coupons de rente que Conort avait adressés à Vandermacq, agent de change, qui avait été trompé à l'aide desdits faux; que, en outre, la 14o question, résolue affirmativement par le jury, a pour objet une lettre missive datée de Paris et portant la fausse signature Lévy; qu'il résulte de ces faits que la cour d'assises du département de la Seine était compétente pour prononcer sur l'accusation de crimes perpétrés dans l'étendue de son ressort *. »

§ V. Compétence du juge du lieu de la résidence du prévenu.

1678. Le juge du lieu du domicile du prévenu est véritable

ment son juge naturel. C'est là qu'il est connu, que sa vie extérieure est exempte d'obscurité, que ses ressources et sa position sont appréciées; c'est là qu'il peut invoquer son caractère, ses habitudes, les témoignages du voisinage; c'est là qu'il trouve ses pairs. On lit dans Ayrault : « Nous appelons communément juge naturel celui qui est juge du domicile. C'est priver l'accusé de sa deffense que de lui dénier son renvoi devant son juge; car le contraindre de se justifier en lieu où il ne congnoist et n'est connu de personne, où ne sont les tesmoings ni de l'innocence ni de la charge, n'est-ce pas lui oster les plus propres moyens de se deffendre? Qui prendra la cause pour lui contre son concitoyen? Tous juges, tous tesmoings, parce qu'il n'en congnoist un seul, lui seront-ils entiers? Qu'y a-t-il si à main, pour circonvenir l'innocence, que de distraire les accusés de leur demeure 1? >>>

1 Arr. cass. 27 août 1847 (Bull., no 200).

2 Arr. cass. 28 déc. 1848 (Bull., no 332).

C'est donc avec raison que la loi a placé la compétence au lieu du domicile. Si les intérêts de l'ordre social ont dû établir à côté de cette compétence, et sans doute avant elle, celle du lieu du délit, il est certain que lorsque le juge du lieu du délit n'est pas ou ne peut être saisi, c'est le juge du domicile qui présente à la justice les plus sûres garanties. Non-seulement la défense de l'inculpé y trouve plus d'éléments et peut s'y faire entendre avec plus de force, mais il est certaines preuves, et ce ne sont pas les moins puissantes, qui ne se trouvent que là. Il n'est pas probable qu'un homme ait commis un crime ou un délit, même hors du lieu de son domicile, sans qu'on puisse en retrouver des traces sur sa personne ou au lieu où il réside habituellement; ce sont les actes préparatoires, les instruments du délit, les vêtements qu'il portait, les heures de son départ et de son retour, les pièces de conviction, enfin les fruits mêmes de son attentat. Tous ces indices, toutes ces preuves ne peuvent être saisis qu'au lieu du domicile ou de la résidence actuelle; ce lieu est donc éminemment propre à la poursuite.

1679. Ce n'est pas au domicile que la compétence est attachée, mais seulement à la résidence. Il n'y a donc pas lieu de faire application des règles du droit civil qui ont établi les conditions du domicile. La résidence n'est qu'un fait; elle consiste dans le licu d'habitation habituelle du prévenu au moment où la 1 Instr. jud., liv. I, 4e part., n. 11.

poursuite est exercée. Elle diffère du domicile en ce qu'elle ne suppoše point l'intention d'un établissement définitif; elle diffère également du lieu où le prévénu est trouvé, en ce qu'elle n'est point instantanée et qu'elle indique le lieu de la demeure habituelle. Si le prévenu a deux résidences, il peut être poursuivi dans l'une et dans l'autre, pourvu que le fait de l'habitation ordinaire soit certain. Il ne suffirait pas, comme parait le penser un auteur1, qué les pièces de conviction fussent trouvées dans un lieu que le prévenu n'aurait fait que traverser, pour ouvrir la compétence: la condition de celte compétence est la résidence personnelle; il est donc nécessaire qué cette condition soit nettement constatée.

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1680. La résidence cesse-t-elle par l'effet d'un voyage, même à l'étranger? Cette question a été résolue négativement par un arrêt de rejet qui est ainsi conçu : « Sur le premier moyen de nullité, tiré de l'incompétence du juge d'instruction du tribunal de la Seine, qui a procédé à l'instruction, incompétence résultant de ce que Vincent d'Ecquevilley n'avait pas sa résidence à Paris, mais bien en Espagne; que, par conséquent, il y avait eu å son égard fausse application et violation de l'article 23 du Code d'instruction criminelle; attendu qu'il résulte de tous les éléments de la procédure que, depuis le mois d'août 1844 jusques et y compris les prémiers jours du mois de juin 1846, Vincent d'Ecquevilley a eu sa résidence à Paris, successivement dans différentes demeures; que les voyages qu'il a pu faire en Espagne ou ailleurs à divers intervalles, pendant cet espace de temps, n'ont pas eu pour effet d'opérer le changement de sa résidence, qui était encore établie à Paris au mois de juin 1846, époque à laquelle ont été commencées la poursuite et l'instruction en faux témoignage dirigées contre lui; que dès lors ladite instruction et les décisions judiciaires qui en ont été la suite sont conformes aux règles de la compétence tracées par les articles 23 et 63 du Code d'instruction criminelle 2. »

A quelle époque la résidence doit-elle être constatée? Est-ce au temps de la perpétration du délit? est-ce au moment où commence la poursuite? « Le juge du domicile dont il s'agit ici, dit Jousse, est celui où l'accusé a son domicile au temps de la plainte ou demande, quand même cet accusé aurait eu un autre domicile au temps du délit par lui commis1. » Cette solution doit encore être suivie. Ce que la loi a voulu, en multipliant les lieux de compétence, c'est multiplier les moyens d'assurer la répression des délits. Or, s'il fallait que la résidence remontât à l'époque de la perpétration pour devenir attributive de compétence, il suffirait au prévenu de changer le lieu de sa demeure pour échapper à l'une des trois juridictions compétentes pour instruire. Ce qui fait la compétence du juge, c'est la présence habituelle du prévenu sur son territoire à l'époque où il commence l'instruction. Congruit bono et gravi præsidi curare ut pacata atque quieta provincia sit quam regit: quod non difficilè obtinebit, si sollicitè agat ut malis hominibus provincia careat, eosque conquirat.

1 Mangin, Instr. écrite, no 39.

2 Cass. 22 avril (Instr. crim., tom. XIX, p. 215).

§ VI. Compétence du juge du lieu le prévenu peut être trouvé.

1681. La compétence du lieu où le prévenu peut être trouvé est née des nécessités de la pratique. C'est l'usage qui l'introduisit d'abord dans la loi romaine, ensuite dans notre ancienne jurisprudence. Les poursuites demeureraient souvent vaines et sans effet si le juge du lieu où se trouve accidentellement le prévenu n'était pas armé des pouvoirs nécessaires pour ordonner son arrestation, pour saisir les pièces de conviction dont il est porteur, pour l'interroger et pour prescrire les mesures urgentes que peut réclamer l'instruction.

Mais peut-être la compétence de ce troisième juge aurait-elle pu être limitée à ces premiers actes. La loi a placé ces trois attributions de juridiction, sinon sur la même ligne, au moins dans les mêmes conditions d'action; et la Cour de cassation a dû juger « que, d'après les articles 23 et 63 du Code d'instruction criminelle, le juge du lieu où le prévenu peut être trouvé est tout aussi compétent que celui du lieu du délit *». Sous ce rapport, la loi nous paraît avoir exagéré la portée de la règle qu'elle posait. Si la compétence du juge du lieu où le prévenu est trouvé est nécessaire pour les premières opérations de l'instruction, elle n'a plus la même utilité en ce qui concerne le jugement. On ne peut invoquer, en effet, pour la fonder, ni la présence des preuves, puisque ce n'est pas là qu'elles existent, ni la résidence des témoins, puisqu'ils résident au lieu du délit, ni l'exemplarité du jugement, puisque le délit a été commis ailleurs, ni l'intérêt même de la défense, puisque le prévenu, étranger à ce lieu, n'y trouve pas ses juges naturels. Tout ce que la justice demandait, c'est que ce prévenu pût être mis sous sa main dans tous les lieux où il était trouvé, c'est qu'elle pût saisir les effets qu'il avait en sa possession, c'est qu'elle pût l'interroger. Ces premiers actes accomplis, pourquoi le juge que ce fait accidentel de la présence de cet agent sur son territoire a saisi ne renverrait-il pas l'affaire devant le juge du lieu du délit ou de la résidence habituelle du prévenu? Est-ce que ce n'est pas là seulement que sont réunies toutes les conditions nécessaires à la manifestation de la vérité? Est-ce que toute la procédure n'a pas pour but unique cette manifestation? Ce n'est que dans le cas où le domicile n'est pas connu, où le lieu du délit est indéterminé, où enfin le délit successif par sa nature se prolonge, comme le vagabondage, par exemple, dans tous les lieux que le prévenu parcourt, que le juge du lieu où il se trouve devrait juger le fond.

1 Tom. 4, p. 416.

2 Ulpian, 1. 13, Dig. De off. præs.

3 Arr. cass. 27 août 1847 (Bull., no 200).

1682. Le juge du licu le prévenu pourra être trouvé, suivant les termes précis des articles 23, 63 et 69 du Code d'instruction criminelle, est investi de la même compétence que le juge du lieu du délit ou celui de la résidence. La loi n'a établi aucun droit de prévention, aucune cause de préférence. Ainsi la Cour de cassation a déclaré à plusieurs reprises qu'il suffit qu'un prévenu ait été trouvé et arrêté dans un lieu pour qu'il ait pu être compétemment jugé par la juridiction répressive de ce lieu, quoique le fait incriminé eût été commis dans un autre ressort'.

Que faut-il entendre par le lieu où le prévenu pourra être trouvé? Il faut entendre le lieu où le prévenu peut être saisi et mis sous la main de la justice. C'est là le sens que M. Treilhard donnait à la loi dans l'exposé des motifs : « La loi déclare également compétents le procureur impérial du lieu du délit, celui de la ré

1 Arr. cass. 27 août 1847, cité suprà, no 1671; 25 janv. 1847 (J. du droit crim., 1850, p. 17).

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