privés d'une partie importante de la garantie due à leur caractère public, si le juge d'instruction conservait à leur égard le même pouvoir qu'à l'égard de simples particuliers, s'il pouvait mettre ceux-là comme ceux-ci dans les liens d'un mandat d'amener, si l'instruction n'était confiée à des magistrats d'un ordre supérieur qu'après que les fonctionnaires dont il s'agit seraient déjà dénoncés à l'opinion publique comme prévenus d'un crime et mis comme tels sous la main de la justice; que le droit du juge d'instruction de décerner le mandat d'amener, dans le cas de l'article 484, est donc loin d'être une conséquence de son droit de constater, dans le même cas, le corps du délit1 Enfin, si le magistrat inculpė appartient à la catégorie énumérée dans l'article 485, le crime est dénoncé soit au ministre de la justice, qui donne, s'il y a lieu, ordre au procureur général près la Cour de cassation de le poursuivre, soit directement à la Cour de cassation elle-même. Dans cette dernière hypothèse, l'instruction est suivie jusqu'à l'arrêt de non-lieu ou de mise en accusation, suivant les formes réglées par les articles 487 et suivants. Mais, même dans ce cas, la question relative au droit du juge d'instruction doit se poser encore: doit-il, plus que dans les hypothèses précédentes, s'abstenir de tout acte d'information? On ne le pense pas. Il est vrai que la réserve de son droit, formulée par les articles 481 et 484, n'a pas été répétée ici; mais cette réserve, on l'a déjà dit, doit être considérée comme une règle générale qui s'applique à tous les cas où la qualité de la personne suspend ou change le cours de l'instruction; car, si l'inculpé, à raison de sa qualité, a droit à un privilége quelconque, la justice a, nonobstant ce privilége, le droit de saisir surle-champ les traces du crime et d'en constater l'existence. La loi, au reste, suppose elle-même, dans le cas dont il s'agit, que le juge d'instruction n'est pas resté inactif. L'article 487 dispose que si le procureur général près la Cour de cassation ne trouve pas dans les pièces à lui transmises par le ministre de la justice ou produites par les parties tous les renseignements qu'il jugera nécessaires, il sera désigné un des membres de la cour pour l'audition des témoins et tous autres actes d'instruction, et l'article 490 ajoute que, sur le vu soit des pièces qui auront été transmises par le ministre de la justice ou produites par les par1 Arr. cass. 18 avril 1816 (J. P., tom. XIII, p. 484). ties, soit des renseignements ultérieurs qu'il se sera procurés, le premier président décernera, s'il y a lieu, le mandat de dépôt. Or, quelles sont ces pièces que le ministre transmet et qui peuvent suppléer à une instruction ultérieure? Ce sont évidemment les pièces de l'information commencée par le juge d'instruction, et qui doivent mettre le ministre à même d'apprécier, suivant les termes de l'article 486, s'il y a lieu de donner ordre de poursuivre, et le premier président à même de décider, aux termes de l'article 490, s'il y a lieu de décerner le mandat de dépôt. 1665. Les droits du juge d'instruction relativement aux militaires des armées de terre et de mer sont plus restreints. Ce n'est point ici le lieu d'établir les principes de compétence qui régissent la juridiction ordinaire et la juridiction militaire; nous les exposerons ultérieurement, lorsque nous nous occuperons de l'organisation et de la compétence des tribunaux criminels '. Un seul point doit être examiné ici: que doit faire le juge lorsqu'il reconnaît dans l'inculpé la qualité de militaire? Il est clair, en premier lieu, qu'il doit porter immédiatement cette exception d'incompétence devant la chambre du conseil à laquelle il appartient d'y statuer; mais, en attendant qu'il soit régulièrement dessaisi, ne peut-il pas au moins constater le corps du délit? Il le peut sans aucun doute, mais ses actes n'auront que la force d'un simple renseignement; car, s'il n'est pas compétent, il n'a aucun pouvoir pour y procéder, et dès lors sa constatation ne peut produire aucun effet légal. Néanmoins l'intérêt de la justice peut demander, pour éclairer une instruction ultérieure, que, si le délit a des traces instantanées et saisissables, ou s'il est urgent d'en constater les preuves, ces renseignements soient immédiatement recueillis, et dès lors il appartient au juge de procéder sommairement à cette constatation provisoire. § III. De la compétence ratione loci. 1666. Ce n'est pas assez que le procureur impérial et le juge d'instruction soient compétents ratione materiæ et ratione personæ, il faut encore qu'ils le soient ratione loci. Cette cause de compétence est la plus importante, car elle est la condition fon1 Voy. notre tome VI, chap. VIII, damentale de l'exercice de la juridiction; les deux autres peuvent admettre des modifications, elles peuvent s'étendre ou se resserrer; celle-ci est immuable en ce sens que le juge ne peut agir que parce qu'il est le juge du territoire. Mais la compétence territoriale peut être envisagée sous plusieurs aspects: le juge compétent, est-ce le juge du lieu où le délit a été commis, ou celui du lieu de la résidence de l'inculpé, ou celui du lieu où cet inculpé a été arrêté? Cette question, heureusement résolue par notre Code, avait soulevé de longues controverses dans les siècles antérieurs. 1667. La loi romaine avait établi, comme la règle commune, la compétence du juge du lieu où le délit avait été commis: Quicumque in aliquâ culpa seu crimine fuerit deprehensus, intrà provinciam in quâ facinus perpetravit publicis legibus subjugetur1. Et la raison de cette règle est donnée dans plusieurs textes: c'est que c'est dans le lieu du délit que se trouvent les preuves: In quo et instructio sufficiens et nova testimonia et verissima possunt testimonia præstari; c'est que c'est là où le crime a éclaté que l'exemple de la punition est plus utile : Ut et conspectu deterreantur alii ab iisdem facinoribus, et solatio sit cognatis et adfinibus interemptorum eodem loco pæna reddita in quo latrones homicidia fecissent. Cependant cette législation admettait également la compétence du juge du lieu où l'inculpé avait été trouvé, ubi commissa vel inchoata sunt vel ubi reperiuntur. Enfin elle admettait encore dans certains cas la compétence du juge du lieu du domicile: in criminali negotio, rei forum accusator sequatur. Ces règles ne furent point admises dans notre ancienne législalion. Le régime féodal avait établi, comme règle générale, la compétence du juge du domicile; le seigneur suivait ses vassaux en dehors de son territoire, et revendiquait, comme une conséquence de sa suzeraineté, le droit de les juger. Nous avons précédemment raconté la lutte de ce principe contre les juges du 1 Lib. 1, Cod., Ubi senatores; et l. 7, § 5, Dig., De accusat.; 1. 7, Dig., De cust. reorum; nov. 69, cap. 1. 2 L. 2, Cod., Ubi de ratiociniis. 3 L. 28, § 15, Dig., De pœnis. 4 L. 1, Cod., Ubi de crimine agi oporteat. 5 L. 5, Cod., De jurisdictione; et 1. 2, eod. tit. lieu (no 311, 312 et 313): après des débats qui se prolongèrent pendant plusieurs siècles, le pouvoir royal, saisissant cette occasion d'affaiblir la juridiction seigneuriale, fit prévaloir le juge du lieu du délit sur le juge du domicile du prévenu. L'article 19 de l'ordonnance de Roussillon de janvier 1563 exigeait le concours de deux conditions pour établir la compétence du juge du lieu, savoir, que le crime y eût été commis et que l'accusé y eût été arrêté : : « Si le délinquant est pris au licu du délit, son procès sera fait et jugé en la juridiction où le délit aura été commis, sans que le juge soit tenu le renvoyer en autre juridiction dont l'accusé se prétendra domicilié. » Cette restriction fut abrogée par l'article 55 de l'ordonnance de Moulins de février 1566 : « Voulons que la connaissance des délits appartienne aux juges des lieux où ils auront été commis, nonobstant que le prisonnier ne soit surpris en flagrant délit; et sera tenu le juge du domicile de renvoyer le délinquant au lieu du délit, s'il en est requis. » Cette disposition fut recueillie par l'ordonnance de 1670, titre Ir, article 1er, portant : « La connaissance des crimes appartiendra aux juges des lieux où ils auront été commis, et l'accusé y sera renvoyé, si le renvoi en est requis. » Tel était le dernier état de notre ancienne législation sur ce point. Il y a lieu de remarquer que cette compétence n'était point attribuée au juge du lieu du délit, par exclusion de tout autre juge, mais seulement par prévention'. L'effet de cette prévention était de donner au juge du lieu du délit le droit de requérir que l'affaire lui fùt renvoyée, de la revendiquer des mains d'un juge qui, sans cette réquisition, eût été compétent pour en connaître. Ainsi, cette attribution principale laissait subsister 1o la compétence du juge du domicile de l'accusé, à raison de faits commis hors de sa juridiction*; 2o la compétence du juge du lieu de la capture, à raison de faits commis hors de son ressort par des gens qui n'avaient aucun domicile. Mais cette double compétence n'avait lieu qu'à la charge du renvoi devant le juge du licu du délit, s'il en était requis par le juge. Tel était le sens de l'article 1oo du titre Ier (art. 63) de l'ordonnance de 1670. 1 Jousse, tom. I, p. 412. 2 Jousse, tom. I, p. 416, et Decianus, Tract. crim., lib. IV, cap. 16; Julius Clarus, quæst. 39, n. 3; Farinacius, quæst. 7, n. 1 et seq. 3 Jousse, tom. I, p. 240. Ord. 1670, tit. I, art. 1. 1668. Le Code d'instruction criminelle a fait disparaître cette prééminence établie par notre ancienne législation, d'abord en faveur du juge du domicile, ensuite en faveur du juge du lieu du délit. Elle a substitué au principe de la prévention celui de la concurrence; elle a déclaré également compétents le juge du lieu du délit, du lieu du domicile et du lieu de la capture. M. Treilhard disait, dans l'exposé des motifs : « Un article très-précis lève toute incertitude sur la compétence: la loi déclare également compétents le procureur impérial du lieu du délit, celui de la résidence du prévenu et celui du lieu où le prévenu peut être saisi; cette heureuse concurrence nous autorise à croire que le crime ne restera jamais sans poursuite'. » Ce nouveau principe est établi par les articles 23, 63 et 69 du Code d'instruction criminelle. Le Code, après avoir dit, article 22, que les procureurs impériaux sont chargés de la recherche et de la poursuite de tous les délits, ajoute: « Article 22. Sont également compétents, pour remplir les fonctions déléguées par l'article précédent, le procureur impérial du lieu du crime ou du délit, celui de la résidence du prévenu et celui du lieu où le prévenu pourra être trouvé. » Les articles 63 et 69 ont étendu cette disposition aux juges d'instruction; ils portent : « Article 63. Toute personne qui se prétendra lésée pour un crime ou un délit pourra en rendre plainte et se constituer partie civile devant le juge d'instruction soit du lieu du crime ou du délit, soit du lieu de la résidence du prévenu, soit du lieu où il pourra être trouvé. Art. 69: Dans le cas où le juge d'instruction ne serait ni celui du lieu du crime ou délit, ni celui de la résidence du prévenu, ni celui du lieu où il pourra être trouvé, il renverra la plainte devant le juge d'instruction qui pourrait en connaître. » 1669. Il faut toutefois reconnaitre que les mêmes motifs ne militent pas pour ces trois ordres de compétence. La compétence du lieu où le délit a été commis est celle qui est le plus en rapport avec la mission de la justice pénale. C'est dans ce lieu, en effet, que les indices peuvent être recueillis, que les témoignages peuvent être entendus, que les preuves peuvent prendre tout leur développement, que la vérité, en un mot, se manifeste le plus clairement; c'est dans ce lieu, où le dommage a été causé, où le 1 Locré, tom. XXV, p. 241. |