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rondissement, qui seul est compétent pour apprécier cette fausseté et prendre les mesures qu'elle peut entrainer '.

1646. La juridiction pénale du juge d'instruction peut, dans certains cas, s'étendre au delà des limites prescrites par les articles 36, 80 et 86. La protection légale, qui couvre toutes les juridictions, lui donne, toutes les fois qu'il a besoin de l'invoquer, un tutélaire appui. Les articles 504, 505 et 506 du Code d'instruction criminelle, qui prévoient les infractions au respect dù aux tribunaux, s'appliquent à ce magistrat, lorsqu'il procéde publiquement à une instruction judiciaire. Si les assistants donnent des signes publics soit d'approbation, soit d'improbation, ou excitent du tumulte, il peut les faire expulser; s'ils résistent à ses ordres, il peut les faire arrêter et donner ordre de les détenir pendant vingt-quatre heures dans la maison d'arrét. Si le tumulte est accompagné d'injures ou de voies de fait, il peut prononcer, suivant le caractère des faits, soit une peine de police, sans appel, ou une peine correctionnelle, à la charge de l'appel. Enfin, si le fait avait les caractères d'un crime, il fait arrêter l'inculpé, dresse procès-verbal et envoié les pièces au juge compétent. Nous ne faisons qu'indiquer ici ces dispositions, qui seront examinées plus loin, lorsque nous traiterons de l'organisation des tribunaux criminels.

Telles sont les limites où s'arrête le droit de répression du juge d'instruction. Il ne peut dans aucun cas aller au delà; il ne peut prononcer une peine quelconque, si minime qu'elle soit, que dans les seules circonstances où la loi lui en a formellement délégué le pouvoir; car il s'agit d'un pouvoir exceptionnel, qui n'est pas accompagné des garanties dont les juridictions répressives sont entourées, et qui par conséquent doit être circonscrit dans les termes de la loi. Nous nous bornons d'ailleurs à tracer ici le cercle de cette attribution; nous renvoyons au chapitre de l'Information l'examen des questions qu'elle peut soulever relativement aux témoins.

1 Bourguignon, tom. I, p. 194; Legraverend, tom. I, p. 300; Carnot; tom. I, p. 371; Duverger, tom. 1, p. 437.

VII. Attributions du juge d'instruction relatives aux maisons d'arrêt et de justice.

1647. Une dernière attribution du juge d'instruction est le droit de visiter les maisons d'arrêt et de justice, et d'y donner les ordres qu'il croit nécessaires pour l'instruction.

Dans notre ancienne législation, l'administration des prisons appartenait au pouvoir judiciaire. Elles étaient placées sous l'autorité des lieutenants généraux des bailliages et sénéchaussées ou des juges des seigneurs hauts justiciers, chacun en ce qui concernait les prisons de son ressort'. Ils étaient chargés de l'administration et de la police de ces maisons. Les procureurs du roi ou des seigneurs devaient les visiter une fois chaque semaine, entendre les prisonniers, recevoir leurs plaintes, veiller à l'exécution des règlements et à la tenue des registres d'écrou, vérifier les dépenses et faire toutes les vérifications qu'ils jugeaient convenables 3. Elles ne relevaient donc que de l'autorité judiciaire; les maires et échevins des villes, les gouverneurs et intendants des provinces demeuraient entièrement étrangers à leur gestion; c'était une affaire de justice, et la justice seule avait le droit de s'en mêler 4.

Sous ce régime, le lieutenant criminel avait à peu près les mêmes attributions que notre juge d'instruction. C'était au lieutenant général, c'est-à-dire au premier juge de la juridiction, qu'appartenait la police de la prison: le lieutenant criminel n'avait que la visite des prisonniers et le droit de donner des ordres dans l'intérêt des instructions qu'il dirigeait. Toutefois cette distinction n'avait été établie qu'à la suite d'un conflit d'attributions qui s'était longtemps prolongé et que l'autorité souveraine dut régler. La déclaration du roi du 6 février 1753 portait: « Nous avons été informés qu'il s'est élevé des conflits entre les lieutenants généraux et les lieutenants criminels des sièges royaux sur la question de savoir auquel de ces officiers devait appartenir

1 Ord. 1670, tit. XIII; arr. du cons. 16 mars 1705; arr. règl. parl. Paris 1er sept. 1717, art. 31; décl. 6 févr. 1753.

2 Ord. 1670, tit. XIII, art. 34.

3 Ord. 1670, tit. XIII, art. 25; arr. règl. 1er sept. 1717, art. 20.

+ Voy. nos Observ. sur la part faite à l'autorité judiciaire dans l'administration

des prisons, Revue de législation, 1827, tom. I, p. 257.

la police des prisons dans les villes de leur résidence. Par le compte qui nous en a été rendu, nous avons reconnu que l'usage où les lieutenants criminels de quelques-uns desdits sièges se sont maintenus de connaître de la police des prisons n'était fondé que sur les termes de l'article 34, titre XIII, de l'ordonnance de 1670, qui, en chargeant les juges royaux de l'exécution des règlements, désigne les lieutenants criminels avant les autres officiers. D'un autre côté, nous avons considéré que les offices de lieutenants généraux, ayant été créés avant ceux des lieutenants criminels, et la police des prisons faisant ordinairement partie des fonctions attribuées aux lieutenants généraux, ils n'avaient pu en être dépouillés que par une loi expresse; que d'ailleurs les prisons servant à renfermer non-seulement ceux qui ont été décrétés par les lieutenants criminels, mais encore ceux qui sont détenus pour des condamnations civiles dont la connaissance appartient aux lieutenants généraux, il ne convenait pas que des officiers qui ne sont établis que pour instruire et juger les affaires criminelles eussent inspection sur des prisonniers dont les causes et les procès ne sont pas soumis à leur juridiction. Ces considérations nous ont porté à ordonner... que la police générale des prisons appartient aux lieutenants généraux des sénéchaussées et bailliages royaux et autres premiers juges des autres juridictions ordinaires, chacun en ce qui concerne les prisons dépendantes de leur juridiction... N'entendons néanmoins interdire aux lieutenants criminels la visite particulière des prisonniers, dont les causes ou procès sont résidents par-devant eux, ni pareillement le droit d'empêcher la communication desdits prisonniers avec d'autres personnes, ou de leur donner un conseil, ou de statuer sur leur liberté provisoire ou définitive. »

Voilà la source des articles 611 et 613 du Code d'instruction criminelle. L'Assemblée constituante a transporté la police des prisons de l'autorité judiciaire à l'autorité administrative 1. Mais le juge d'instruction a hérité des attributions du lieutenant criminel. La législation actuelle a divisé, en effet, en trois parts l'administration des maisons d'arrêt et de justice: aux préfets appartiennent la direction des bâtiments, leur surveillance et la nomination des concierges; aux maires, la police intérieure et

1 Loi du 23 déc. 1789, et rapport de M. Duport. 2 C. instr. crim., art. 605 et 606.

les soins qui concernent la nourriture des détenus'; aux magistrats, toutes les mesures qui, soit pour l'instruction, soit pour le jugement, s'appliquent à la personne même de ces détenus*. Ainsi, la prison elle-même, son état matériel, son régime, tel est le domaine de l'administration; la condition des détenus dans la prison, les dispositions qui peuvent être prises à leur égard, tel est le domaine de la justice. Et, en effet, l'emprisonnentent préalable, ainsi que nous le dirons plus loin, n'a qu'un but, c'est de placer le détenu sous la main de la justice. Il doit donc être laissé à la disposition exclusive du juge chargé de l'instruction. C'est à ce magistrat qu'il appartient de régler ses relations et de veiller sur sa vie morale, pendant que l'administration règle son régime et veille sur sa vie matérielle.

1648. La loi a réglé les attributions du juge d'instruction par deux dispositions distinctes. L'article 611 du Code d'instruction criminelle porte en premier lieu : a Le juge d'instruction est tenu de visiter, au moins une fois par mois, les personnes retenues dans la maison d'arrèt de cet arrondissement. » Quel est le but de cette visite? quels sont les droits du juge? Le but principal de cette inspection mensuelle est de vérifier la cause de toutes les détentions, de s'assurer que nul n'est détenu qu'en vertu d'un mandat ou d'une ordonnance de justice, et de prévenir les emprisonnements arbitraires. Le juge doit donc se faire représenter, comme l'article 618 lui en donne le droit, le registre des écrous, qu'il a déjà parafé à toutes les pages, aux termes de l'article 607; rechercher la cause légale de détention de chaque détenu, et si la détention est arbitraire, faire mettre sur le-champ en liberté, conformément à l'article 616, la personne détenue. Mais il ne doit pas borner sa tache à cette première vérification. En prescrivant cette visite, il est évident que la loi a voulu qu'elle pût produire, dans l'intérêt de l'administration de la maison d'arrêt, tous les résultats possibles. Ainsi, s'il ne lui appartient pas de faire cesser les abus qu'il aperçoit dans le service administratif de la maison, il lui appartient de les signaler à l'autorité compétente. Si, ce qui est d'ailleurs régrettable sous plus d'un rapport, l'ordonnance du 9 avril 1819 n'a pas placé ce magistrat parmi les membres supplémentaires des commissions des prisons départementales, c'est parce qu'il semblait investi dėja, en vertu des articles 611 et 613, des principales attributions de ces membres. Il doit, comme eux, surveiller la discipline des détenus, constater la conduite envers ceux-ci des concierges et des gardiens, et mettre sous les yeux du préfet tous les renseignements et documents relatifs à l'état et au régime de chaque prison. C'est là le véritable rôle de la magistrature dans l'œuvre des prisons: la surveillance éclairée et impartiale de tous les détails du régime que dirige l'administration.

1 Art. 611 et 613.

2 Art. 612 et 613.

3 Voy. nos Observ. sur ce point, Revue de législation, 1847, tom. I, p. 276.

L'article 613 ajoute à cette première attribution du juge d'instruction une fonction plus grave: « Le juge d'instruction et le président des assises pourront donner respectivement tous les ordres qui devront être exécutés dans les maisons d'arrêt et de justice, et qu'ils croiront nécessaires soit pour l'instruction, soit pour le jugement. » Ainsi le juge peut donner tous les ordres qu'il croit nécessaires pour l'instruction: c'est une sorte de pouvoir discrétionnaire, qui n'est limité que par le but que lui assigne la loi. Nous nous bornons à le constater ici, en nous réservant d'examiner plus loin les conditions de son application, lorsque nous arriverons au plus grave de ses actes, à la mise au secret.

§ VIII. Règles générales des fonctions du juge d'instruction.

1649. Nous avons énuméré toutes les fonctions du juge d'instruction. Nous l'avons vu, comme officier de police judiciaire, comme inquisiteur, comme juge, armé du droit de perquisition, du droit de contrainte et du droit d'arresta.ion, investi du pouvoir d'ordonner toutes les mesures qu'il juge nécessaires à l'instruction, et constatant les actes et les résultats de ses opérations dans des procès-verbaux qui sont les pièces de la procédure. En présence de ces graves attributions, une question s'élève : la loi, en les désignant au juge, a-t-elle voulu constituer une autorité purement arbitraire? N'a-t-elle stipulé aucune règle pour la diriger, aucune limite pour la contenir, aucune condition pour l'appliquer? Est-ce un pouvoir discrétionnaire qu'elle a fondé, pouvoir qui n'aurait d'autres bornes que la conscience du juge et sa modération? Est ce un pouvoir réglé, qui, tout en laissant l'action du juge libre, lui indiquerait au moins la direction qu'elle doit suivre?

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