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sous un régime où, d'après la maxime tout juge est procureur général, les juges, investis de plein droit de l'action publique, pouvaient poursuivre d'office, la jurisprudence exigeait, aussitôt que les faits découverts étaient autres que ceux énoncés dans la plainte, une nouvelle plainte et des conclusions nouvelles de la partie publique. Et, en effet, il n'est plus possible de dire, comme dans l'hypothèse précédente, que le juge d'instruction saisi de l'action publique à raison d'un crime ou d'un délit doit nécessairement envelopper dans la procédure tous les individus auteurs ou complices présumés de ce crime ou de ce délit; car il ne s'agit plus du même fait, mais d'un fait distinct, constituant un autre crime ou délit. Or, à quel titre le juge d'instruction pourrait-il informer sur ce nouveau fait, si cette information n'a point été requise par le ministère public, s'il n'y a point flagrant délit et s'il n'a d'ailleurs été saisi d'aucune plainte à ce sujet? Étendre l'instruction à d'autres faits que ceux que le réquisitoire a dénoncés, c'est étendre l'exercice de l'action publique, c'est en usurper la direction; or, le juge, sauf les cas de flagrant délit et de constitution de partie civile, prévus par les articles 59 et 63, ne peut mettre l'action publique en mouvement; il en suit l'impulsion, il ne la provoque pas; il ne saurait exercer un droit que l'article 235 n'a conféré qu'à la chambre d'accusation.

Néanmoins, cette règle, quelque absolue qu'elle soit en théorie, ne doit pas être appliquée dans la pratique avec une rigidité trop grande. On ne doit pas, par exemple, considérer comme des faits nouveaux les faits qui ne seraient que des circonstances aggravantes des premiers; mais les faits connexes, étant distincts malgré leur connexité, devraient être appréciés comme nouveaux. Le juge doit instruire sur le fait principal et sur toutes les circonstances, mais non sur des faits qui, bien qu'accessoires ou concomitants, ne peuvent en modifier le caractère. Son droit d'instruction est circonscrit par le titre de la poursuite. Mais il importe de distinguer les actes d'instruction et les actes d'investigation. Il ne peut instruire, mais il peut consigner dans ses procès-verbaux tous les renseignements qui lui parviennent sur d'autres faits que ceux qui font l'objet de l'information. Il peut recevoir la partie des déclarations des témoins qui s'y applique,

1 Voy. l'explication de cette maxime, no 430, 2 Conf. Mangin, tom. I, p. 23.

il peut recueillir tous les indices, toutes les révélations qui y seraient relatifs. Ce n'est lå en quelque sorte que l'application de la règle posée par l'article 29 du Code d'instruction criminelle, qui oblige tout fonctionnaire public qui acquiert dans l'exercice de ses fonctions la connaissance d'un crime ou d'un délit, å en donner avis au procureur impérial et à lui transmettre tous les renseignements et procès-verbaux qui s'y rattaclient. Le juge ne fait alors, au surplus, que recevoir les déclarations que l'information à laquelle il est requis de procéder l'autorise à constater. Il ne fait qu'exercer strictement son droit, tant qu'il ne procède directement à aucune audition de témoins, à aucune arrestation qui ait pour objet spécial et exclusif les faits qui lui ont été révélés1.

§ IV. Le juge d'instruction exerce une véritable juridiction.

1623. Le juge d'instruction exerce une véritable juridiction. Il statue, en effet, comme un tribunal, sur les réquisitions du ministère public, sur les demandés de la partie civile, sur les exceptions du prévenu; il ordonné ou rejette les mesures d'instruction; il décerné les mandats d'arrestation: Or, en procédant ä tous ces actes, il n'agit point comme délégué du tribunal dont il fait partie, il agit en vertu d'un pouvoir qui lui est propre et qu'il tient directement de la loi, le pouvoir de faire ou d'ordonner des actes d'instruction. Ce pouvoir est indépendant de celui qu'il tient de la loi du 17 juillet 1856; il a le droit qu'avait auparavant la chambre du conseil, aux termes des articles 128, 129 et suivants, de prononcer sur la mise en prévention et de régler la coupétence; mais cette chambre ne pouvait ni prescrire un acte d'information, ni diriger une procédure: c'est en cela que réside la compétence spéciale du juge pour l'instruction; c'est dans le cercle de cette compétence qu'il a toute l'autorité d'une juridiction. Cette règle est formellement écrite dans les articles 526, 539, 540 et 542 du Code: les articles 526 et 540 portent què, lorsqu'un conflit d'attribution s'élève entre deux jugés d'instruction, il y a lieu de procéder comme si le conflit s'élevait entre deux tribunaux. L'article 539 dispose que, si l'exception d'incompétence est pro posée devant le juge d'instruction, il doit statuer en premier res1 Conf. Mangin, tom. I, p. 23

sort, et que le recours doit être porté, comme celui qui est formé contre les décisions de la chambre du conseil, devant la chambre d'accusation. Enfin, l'article 542 déclare que les demandes en renvoi d'un juge d'instruction à un autre, pour cause de sûreté publique ou de suspicion légitime, doivent être instruites et jugées comme les demandes en renvoi d'un tribunal à un autre.

Les décisions que prend le juge d'instruction dans l'exercice de ses fonctions prennent, dans le langage de la loi1, le nom d'ordonnances; c'était aussi la qualification que leur donnait l'ancienne jurisprudence. La Cour de cassation a déclaré à que le mot ordonnances, dont se sert l'article 28 du Code d'instruction criminelle, comprend tous les actes du juge d'instruction qui sont susceptibles d'envoi, de notification et d'exécution 3 ». Il faut donc ranger dans cette classe les mandats, la décision du jugë portant qu'il n'y a pas lieu de prononcer une amende contre un témoin, l'exécutoire contenant allocation d'honoraires à un expert, et enfin tous les actes pour lesquels le juge ordonne ou rejette une mesure quelconque d'instruction.

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1624. Ces ordonnances sont-elles susceptibles d'appel? Un principe de notre ancien droit était que toutes les sentences préparatoires, c'est-à-dire toutes celles qui tendent a l'instruction comme les ordonnances portant permission d'informer, les décrets et le réglement à l'extraordinaire, pouvaient être attaqués pár là voie de l'appel. a Dans la règle générale, dit Muyart de Vouglans, il paraît d'abord qu'on ne devrait être reçu à appeler que des seules sentences définitiveš, par la raison que celles-ci ne peuvent être réparées autrement que par la voie de l'appel, et qu'elles peuvent, au contraire, réparer toutes celles qui ne sont rendues que par provision. Mais comme, d'un autre côté, parmi les sentences provisoires, il y en a, telles que le décret et le réglement à l'extraordinaire, dont l'effet flétrit en quelque sorte ceux contre qui elles sont rendues, soit par le poids de l'interdiction dont elles les chargent, soit par la force des présomptions qu'elles élèvent contre eux, il faut convenir qu'il n'y aurait pas moins de dureté et d'injustice à les priver de la ressource de l'appel, dans l'un et l'autre de ces cas, qu'il y aurait d'absurdité à regarder toujours ces sortes de sentences comme l'effet d'une impartialité inaltérable de la part du juge qui les a rendues. On n'a donc pas cru devoir rejeter les réclamations de l'accusé contre les sentences rendues dans le cours de l'instruction1. » En effet, les articles 1 et 2 du titre 26 de l'ordonnance de 1670, qui ne faisaient d'ailleurs que confirmer un usage pratiqué dès l'origine de la procédure inquisitoriale, étaient ainsi conçus : « Toutes appellations de sentences préparatoires, interlocutoires et définitives, de quelque qualité qu'elles soient, seront directement portées en nos cours..... Les appellations de permission d'informer, des décrets et de toutes autres instructions, seront portées à l'audience. »

1 C. instr. crim., art. 28, 47, 123, etc.

2 Muyart de Vouglans, Instit., p. 369.

3 Arr. cass. 29 avril 1826 (J. P., tom. XX, p. 439).

4 Même arrêt.

5 Arr. cass. 19 févr. 1836 (Bull., no 54).

6 Arr. Douai 5 janv. 1836 (J. du droit crim., tom. VIII, p. 17).

Cette règle a-t-elle été maintenue par notre Code? Aucun de ses textes ne l'a rejetée, et de cela seul on pourrait induire qu'elle existe. En effet, l'appel est de droit commun dans notre organisation judiciaire; il suffit donc que la loi ne l'ait pas interdit par une disposition formelle, pour que cette voie de recours soit ouverte contre des décisions judiciaires qui réunissent tous les caractères d'un jugement. Si la règle des deux degrés de juridiction, qui a été quelquefois attaquée avec une grande puissance de raisonnement, est réellement utile, c'est surtout lorsque la première sentence émane d'un seul juge, et lorsque ce juge, investi d'un pouvoir discrétionnaire, peut prendre des mesures qui frappent les parties dans leurs intérêts les plus chers. Comment admettre que la loi, lorsqu'elle accordait à ce magistrat le droit non-seulement de décréter d'arrestation les prévenus et de faire des perquisitions au domicile de tous les citoyens, mais en même temps de rejeter les réquisitions du ministère public tendantes à ces mesures, ait voulu placer ses décisions au-dessus de toute atteinte et les déclarer souveraines? Comment supposer qu'elle se soit fiée à lui à ce point que, lorsqu'il statue sur des questions qui intéressent au plus haut degré la sûreté générale, elle n'ait con

1 Inst. au Droit crim., p. 369.

2 Ord. août 1539, art. 163.

3 M. le président Bérenger, Mém. de l'Académie des sciençes morales et politiques, tom. I, 2a sér.

servé aucun moyen de redresser ses erreurs? Et comment expliquer cette imprévoyance du législateur, en face d'une législation qui avait prévu toutes les fautes du juge et tous les moyens d'y remédier, législation dont il copiait presque servilement les autres dispositions'?

Mais notre Code est-il donc resté muet? Lorsque l'article 61 veut que le juge d'instruction donne communication de la procédure au procureur impérial, et que celui-ci fasse les réquisitions qu'il juge convenables, ne confère-t-il au ministère public qu'un droit qui est purement illusoire s'il n'est accompagné de la faculté d'attaquer les décisions qui seraient contraires à ces réquisitions? Si les ordonnances du juge sont à l'abri de tout recours, pourquoi les articles 34 et 80 déclarent-ils expressément que les condamnations qu'il prononce contre les témoins défaillants ou les individus qui enfreignent ses défenses dans les cas de visites de lieux ne seront susceptibles ni d'opposition ni d'appel? Ces termes n'indiquent-ils pas qu'il s'agit ici d'une exception á une règle générale, exception qui se justifie d'elle-même, puisqu'elle n'a pour objet que l'application d'une peine légère infligée à une infraction toute matérielle? Enfin l'article 539 ne consacre-t-il pas cette règle générale lorsqu'il déclare que l'ordonnance par laquelle le juge d'instruction admet ou rejette l'exception d'incompétence peut être attaquée devant la chambre d'accusation par voie d'appel?

C'est en se fondant sur ces textes que la Cour de cassation a sans cesse décidé qu'en principe général les ordonnances du juge d'instruction sont soumises à un recours. Un arrêt du 4 août 1820, le premier qui soit intervenu sur cette question, déclare : « Que des dispositions des articles 34 et 80 il résulte qu'en thèse générale les ordonnances des juges d'instruction ne sont point affranchies du recours par la voie d'appel*. » Un second arrêt du 1" août 1822, répète : « que les actes faits dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge d'instruction ne sont point affranchis par la loi de tout recours par voie d'opposition ou d'appel *. » Un troisième, du 23 décembre 1831, décide encore : « Que si le juge d'instruction peut, en vertu de l'article 61, délivrer des mandats d'amener et même des mandats de dépôt, sans qu'ils

1 Conf. Mangin, Instr. écrite, tom. I, p. 57.

2 Voy. cet arrêt à sa date dans Devill. et Car. et le Journ. du Palais. 3 Journ. du Pal., tom. XVII, p. 550.

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