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1618. Le juge, en second lieu, est-il tenu d'entendre tous les témoins que désigne le réquisitoire? Et doit-il n'entendre que ceux qui y sont désignés? Ces deux points ne soulèvent aucun doute. L'article 71 porte : « Le juge d'instruction fera citer devant lui les personnes qui auront été indiquées par la dénonciation, par la plainte, par le procureur impérial ou autrement, comme ayant connaissance soit du crime ou délit, soit de ses circonstances. » Il résulte d'abord de ces termes qu'il peut faire citer tous les témoins qui lui sont indiqués autrement que par le réquisitoire, et par conséquent tous ceux que ses recherches lui font découvrir; il peut les faire citer d'office et sans avoir besoin d'aucune réquisition à cet égard. Quant aux témoins que le réquisitoire a désignés ou qui sont dénommés dans la plainte, il lui appartient également d'apprécier l'utilité de leur comparution et de ne les entendre que s'il croit que leurs dépositions importent à la manifestation de la vérité. La règle générale, il faut le répéter, est que le juge a la direction de la procédure et que la loi s'est fiée à son discernement et à sa conscience du soin de réunir avec exactitude tous les éléments de preuve des faits incriminės. Aucune disposition ne restreint cette attribution, en ce qui touche l'audition des témoins désignés, car l'article 71 n'a pour objet que de conférer au juge le droit de faire citer ces témoins. Son devoir est de ne rien négliger de ce qui peut éclairer les faits et toutes leurs circonstances, la criminalité des agents et leur moralité. Mais il doit veiller en même temps à ce que l'instruction ne s'égare point dans des développements inutiles, à ce qu'elle ne dégénère point en enquêtes au profit, non de l'ordre public, mais des parties seulement, à ce qu'elle ne soit pas la cause de dépenses frustratoires '.

1619. Une autre question s'est présentée. Le juge d'instruction peut-il, hors le cas de flagrant délit, se transporter sur les lieux sans en être requis par le procureur impérial, sans être accompagné de celui-ci, et surtout au cas d'un refus formel de sa part? Il est certain d'abord que le juge peut, s'il le croit nécessaire, ordonner son transport d'office et sans être saisi d'aucune réquisition à cet égard. L'article 62, en disposant que, « lorsque le juge d'instruction se transportera sur les lieux, il sera toujours 1 Voy. conf. Mangin, tom. I, p. 17.

accompagné du procureur impérial et du greffier du tribunal », règle la forme du transport et non le droit mème de l'effectuer ; il reconnaît même ce droit, puisqu'il ne le soumet à aucune condition. L'article 61 exige, à la vérité, que cet acte d'instruction soit précédé de la communication de la procédure; mais, en admettant que cette prescription dût être en ce cas rigoureusement exécutée, il n'en résulterait pas que la mesure fût subordonnée à la réquisition. Enfin l'article 37, en autorisant explicitement le juge à se transporter d'office et sans réquisition dans le domicile même du prévenu, lui a nécessairement reconnu le même droit pour la visite des lieux, puisque cette visite n'a ni la même gravité, ni les mêmes effets que la première.

Mais, s'il peut se transporter d'office, ne doit-il pas du moins se faire accompagner, comme l'exige l'article 62, du procureur impérial? Il n'est pas douteux que, pour obéir aux termes de cet article, il doit, après avoir ordonné son transport, communiquer cette ordonnance au procureur impérial et le requérir de l'accompagner. Et dès que l'on admet le droit du juge d'apprécier l'utilité du transport et de l'ordonner d'office, il faut admettre en même temps que le procureur impérial, qu'il approuve ou non cette démarche, doit nécessairement l'accompagner. En effet, l'article 62 lui trace à cet égard une règle absolue : s'il n'a pas requis le transport, dès qu'il est régulièrement prescrit, il doit être présent à son exécution pour faire toutes les réquisitions que les circonstances peuvent rendre nécessaires. C'est un acte de justice dont il doit assurer l'exécution et auquel il doit concourir dans le cercle de ses pouvoirs, sauf son droit, ainsi qu'on le verra tout à l'heure, d'y former opposition.

1620. Cependant, s'il refuse formellement de s'associer à cette mesure, que doit faire le juge d'instruction? Quelques auteurs ont examiné cette question. M. Carnot1 et M. Bourguignon pensent qu'au cas de refus du chef du parquet, le juge doit adresser une réquisition au substitut et subsidiairement faire suppléer le ministère public par un juge, conformément à l'article 20 du décret du 18 août 1810. M. Carnot ajoute néanmoins que si le juge n'a pas fait suppléer le procureur impérial, il peut procéder régulièrement en son absence : « Lui refuser ce droit, dit cet auteur, serait peut-être suivre plus littéralement le texte de la loi; mais ce serait contrarier l'intention du législateur, qui n'a pu vouloir qué le défaut de présence du procureur impérial pût mettre obstacle aux opérations du jugé d'instruction, lorsque le retard apporté aux recherches et aux poursuites serait irréparable '. » La proposition de suppléer le procureur impérial par l'un de ses substituts ou par un juge est inadmissible; car son refus ne peut être assimilé à un cas d'empêchement, et l'indivisibilité du mihistère püblic ne permet pas de prendre l'un après l'autre les membres du parquet. Mais, ce point écarté, la solution proposéé en définitive par M. Carnot nous semble devoir être adoptée. Le juge d'instruction, quand il ordonne un transport et qu'il l'opère, agit dans le cercle de ses attributions; comment donc pourrait-il dépendre de la volonté du ministère public, en refusant de l'accompagner, d'empêcher l'exécution d'une ordonnance parfaitement régulière? Est-ce qu'il peut suspendre une procédure qui a été valablement commencée? Et ne serait-ce pas lui reconnaître le droit d'en arrêter le cours que de subordonner à sa volonté les mesures d'instruction que le juge déclare nécessaires à la manifestation de la vérité?

1 Instr. crim., tom. I, p. 298.

2 Jurispr. des Cod, crim., tom. I, p. 170.

Cette dernière question a été résolue dans ce sens par la chambre d'accusation de la cour de Montpellier. Le juge d'instruction du tribunal de Saint-Pons avait rendu une ordonnance pour requérir le ministère public de se transporter avec lui au domicile d'une personne blessée, pour y procéder à une confrontation. L'officier du ministère public, par un acte écrit au pied de la réquisition, déclara que le transport lui paraissait inutile et qu'il se refusait à le requérir. Nouvelle ordonnance du juge qui fixe le jour et l'heure de son transport, et ordonne la communication. L'opposition du ministère public à cette ordonnance a été rejetée par un arrêt qui porte : « qu'il ne peut dépendre du procureur du roi, en refusant de s'associer aux actes de l'instruction pour lesquels son assistance est nécessaire, de paralyser entre les mains du juge d'instruction les pouvoirs qu'il tient de la loi, et d'entraver ou de suspendre ainsi la marche de l'instruction; que dès lors le juge d'instruction a été suffisamment autorisé à déclarer par son ordonnance qu'il effectuerait son transport assisté seulement de son greffier 1. »

1 Instr. crim., tom. I, p. 299.

2 Voy. sur ce point nos 591 et suiv.; Conf. obs. du J. du Pal. 1846, 2, p. 129. 3 Mangin, tom. 1, p. 22.

1621. Une question plus grave est de savoir si le juge d'instruction peut décerner des mandats d'amener ou de dépôt contre des individus qui ne sont pas désignés dans le réquisitoire. Il est généralement reconnu que lorsque le procureur impérial requiert d'informer contre les auteurs ou complices d'un délit, ou contre tels individus et leurs complices, le juge a le droit de saisir ces auteurs ou ces complices à mesure qu'il les découvre. Mais si le réquisitoire se borne å signaler un ou deux inculpes, le juge pourra-t-il, sans communiquer la procedure, en comprendre d'autres dans l'instruction? On objecte qu'impliquer un individu dans une poursuite, c'est nécessairement diriger contre lui l'action publique, et que ce droit n'appartient pas au juge d'instruction. Mais l'action publique n'a-t-elle pas été mise en mouvement par le réquisitoire qui a introduit l'instance? Cette action, en provoquant l'instruction sur tel fait, ne l'a-t-elle pas implicitement provoquée sur tous les auteurs et complices de ce fait? car quel est le but de cette action, sinon la répression du délit, c'est-a-dire l'application de la peine à ses auteurs? Le droit que le juge puise dans le premier réquisitoire est donc un droit général d'informer, et par conséquent de procéder contre tous les auteurs du fait dénoncé. Il n'exerce point l'action publique, il est saisi de cette action et il l'instruit. Le deuxième § de l'article 61 fie lui conserve-t-il pas d'ailleurs le droit de délivrer, s'il y a lieu, le mandat d'amener et même le mandat de dépôt, sans que ces mandats soient précédés des conclusions du procureur impérial? On dit que cette disposition ne fait que régler le cas où le ministère public ayant requis une information contre les auteurs d'un délit, le juge trouve qu'il a réuni assez d'indices pour les mettre sous la main de la justice, et que la loi a voulu qu'il pût y procéder alors sans prendre préalablement les conclusions du ministère public. Mais le deuxième § de l'article 61 est-il donc limité à cette seule hypothèse? M. Treilhard n'a-t-il pas expliqué que la faculté de décerner les mandats sans conclusions préala

1 Arr. Montpellier, 25 juin 1846 (J. P., tom. II, p. 151).

2 Mangin, tom. I, p. xxiv; Jousse, tom. III, p. 85.

bles avait été donnée au juge dans tous les cas d'urgence? Or, supposez que ce magistrat découvre que le témoin qu'il interroge est un complice, que le prévenu a des coauteurs qui se disposent à prendre la fuite, n'est-il pas urgent de mettre en arrestation ces coauteurs ou ces complices? et l'instruction ne serait-elle pas paralysée s'il devait se dessaisir des pièces, les communiquer au procureur impérial, et attendre pendant trois jours les réquisitions qui lui permettraient d'agir? Il serait préférable peut-être, dans l'intérêt de la liberté civile, qu'aucune arrestation ne pût être opérée que par le concours de ces deux magistrats; la délivrance du mandat, faite avec plus de lenteur, le serait aussi avec plus de circonspection. Mais ce n'est point là le point qu'il s'agit d'examiner. La question est de savoir si la loi a voulu nécessairement ce concours à l'égard des prévenus que les réquisitoires n'ont pas désignés, et si l'instruction permet les retards qu'il apporterait à la procédure. Or, la loi attribue au juge le droit de délivrer sans réquisitions les mandats d'amener et de dépôt, et l'instruction exige impérieusement que ce droit puisse être exercé dans tous les cas, soit que les premières réquisitions aient ou n'aient pas désigné les individus auxquels il s'applique 1.

1622. La difficulté n'est plus la même lorsque l'information révèle au juge, non plus seulement des prévenus que le réquisitoire ne désigne pas, mais des faits nouveaux, autres que ceux qui font l'objet de la poursuite. Comment doit-il procéder en face de ces faits? Dans notre ancienne jurisprudence, la marche qu'il devait suivre était nettement indiquée : « Il arrive assez souvent, dit Jousse, que la partie publique ou civile ayant rendu plainte pour raison d'un crime contre un accusé, le juge vient à découvrir, dans le cours de l'instruction, par la déposition de quelques témoins, que cet accusé a encore commis d'autres crimes que ceux portés par la plainte. Alors le juge doit informer de ces autres crimes, et, à cet effet, en donner avis au procureur du roi ou fiscal, lequel doit rendre plainte et demander qu'il en soit informé par addition, ce que le juge doit permettre, et ensuite procéder sans délai à cette nouvelle information *. » Ainsi, même

1 Voy., dans ce sens, Duverger, tom. I, p. 396; M. Vilneau, Droit du 21 sept. 1836; et, dans le sens contr., Mangin, tom. I, p. 20.

2 Tom. III, p. 82; et conf. arr. parl. Paris 22 déc. 1731,

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