Les visites domiciliaires et les saisies; Les expertises et les principes qui dirigent leurs opérations; Les commissions rogatoires; La vérification des écritures et des pièces de conviction; Les interrogatoires des inculpés; La délivrance des mandats de comparution, d'amener, de dépôt et d'arrêt ; La mise en liberté provisoire avec ou sans caution; Les mesures prises dans les maisons d'arrêt à l'égard des pré venus; Enfin, la clôture de la procédure écrite. Nous allons successivement traiter de chacune de ces matières, en suivant l'ordre qui vient d'être indiqué. Mais il nous paraît utile de faire précéder notre travail d'une étude qui devra nécessairement y jeter quelque lumière : c'est un aperçu historique de notre matière, c'est l'exposé des principes qui en forment la théorie. Tel est l'objet du chapitre suivant. CHAPITRE DEUXIÈME. DU SYSTÈME GÉNÉRAL DE L'INSTRUCTION PRÉALABLE. 1540. L'objet de ce chapitre est l'examen du système du Code sur l'instruction préalable. 1541. Cette information préliminaire se retrouve, avec des formes diverses, dans toutes les législations. Ce qu'elle était dans la législation romaine au septième siècle. 1542. Son caractère nouveau sous l'empire. 1543. Premiers vestiges de l'inquisition faits d'office par le juge et précédant l'accusation. 1544. Formes de l'instruction préalable à l'époque mérovingienne. 1545. Formes de l'instruction préalable au treizième siècle. 1546. Formes de l'instruction préalable au quinzième siècle. 1547. Système de l'ordonnance de 1539. 1548. Institution des juges enquêteurs. 1549. Formes de l'information sous l'ordonnance de 1670. 1550. Formes de l'instruction préalable dans la législation de 1791. 1551. Formes de l'instruction préalable dans le Code du 3 brumaire an IV. 1552. Formes de l'instruction préalable suivant la loi du 7 pluviose an IX. 1553. Formes de l'instruction préalable dans le Code d'instruction criminelle. 1554. Examen des différents systèmes: deux formes principales: la forme accusatoire et la forme inquisitoriale. 1555. Différences qui séparent ces deux formes d'instruction. 1556. Leur impuissance quand elles sont complétement isolées l'une de l'autre. Nécessit d'établir une procédure mixte. 1557. Examen des objections qui ont été proposées contre cette combinaison des deux formes. 1558. La forme inquisitoriale est éminemment propre aux recherches et à la vérification des faits, la forme accusatoire au débat de l'accusation. 1559. Examen de l'objection tirée du rapport de la procédure avec l'ordre politique. 1560. Notre Code a consacré le système mixte. 1561. Examen des dispositions du Code. 1562. Si le pouvoir discrétionnaire qu'il a conféré au juge d'instruction peut admettre quelques limites. 1563. Si la liberté civile y trouve toutes les garanties nécessaires. 1540. L'instruction préalable, qui n'est, comme on vient de le voir, que la première phase de l'instruction criminelle, doit être soumise, comme toute l'instruction judiciaire, à des règles qui la dirigent, à des conditions qui modérent son action. Ces règles doivent dériver de la nature même de sa mission et du double caractère des intérêts qu'elle est appelée à protéger. Chargée de fournir à la justice les éléments de ses actes, il faut qu'elle soit armée des moyens les plus puissants d'investigation. Exposée à froisser des intérêts privés, il faut que son action soit entourée de garanties qui les protégent. Quel est le mode d'instruction qui peut réunir cette double condition? C'est ce que nous nous proposons de rechercher dans ce chapitre. 1541. Le droit d'information, élément essentiel de la justice pénale, se retrouve, avec des formes diverses et des degrés différents de puissance, dans toutes les législations. Il importe d'étudier en premier lieu les principaux systèmes successivement mis en pratique. La législation romaine avait institué dans les premiers siècles des magistrats, les quæsitores parricidii, les decemviri ou les consuls eux-mêmes, qui procédaient aux actes de l'information, in causis capitalibus1. La pratique des quæstiones perpetuæ plaça ce pouvoir entre les mains des parties elles-mêmes. Le citoyen qui prenait la charge d'une accusation devait nécessairement rechercher les preuves des crimes qu'il avait dénoncés; le droit d'enquête était donc arrivé, comme un corollaire du droit d'accusation, à l'accusateur lui-même; il s'y développa peu à peu dans la pratique et prit en définitive les formes d'une procédure préliminaire qui eut ses règles spéciales. 1 Pomponius, 1. II, p. 16 et 23. Dig. de orig. juris.; Livius, I, 26; Ramos, De pœna parricidii, p. 42. Aussitôt après l'inscription de l'accusation, première garantie de sa validité, l'accusateur recevait du magistrat une commission (legem) portant pouvoir d'informer1, et la fixation d'un délai, calculé par jour, dies inquirendi, pour procéder à cette information *. Cette commission, véritable délégation du pouvoir judiciaire, lui communiquait l'autorité nécessaire pour accomplir tous les actes de l'enquête'; il pouvait, ce mandement à la main, se livrer à toutes les perquisitions qu'il jugeait utiles à la cause qu'il avait embrassée; il se transportait sur les lieux, recueillait les indices, visitait les témoins, choisissait ceux dont l'audition lui paraissait nécessaire, et leur donnait assignation de comparaître au jour fixé; il compulsait toutes les pièces, examinait tous les objets qui pouvaient servir à conviction et déclarait la saisie de ceux qu'il voulait produire aux débats *. Si ces pièces étaient insaisissables, comme les registres publics, il en prenait des copies authentiques. Enfin, il avait le droit de pénétrer dans la maison de l'accusé et même dans celle des amis de celui-ci, pour y faire des investigations et des saisies: s'il éprouvait de la résistance, il avait recours à l'autorité du magistrat du lieu de la perquisition". Cette inquisitio, comme l'appellent les jurisconsultes romains, était contradictoire: elle était faite par l'accusateur en présence 1 Cic. in Verrem, IV, 66: Ego legem recitare omnium mihi tabularum et litterarum fieri potestatem oportere. - Cie. eod. loc. : Non Metelli sed Glabrionis litteris ut lege pugnassem. - Plin., Epist.: Bithyni Rufum Varinum reum detulerunt, in senatum inducto inquisitionem petierunt. 2 Cic. in Verrem, 1, 2: Quùm ego diem in Siciliam inquirendi perexiguam postulavissem. ... Cic. in Verrem, II, 6: Vim quam ei in inquirendo lex dat. - Et 3: ut omnium populorum, privatorumque litteras, injuriasve cognoscerem... publicis auctoritatibus ac testimoniis... 4 Cic. in Verrem, II, 3: Ego Siciliam totam quinquaginta diebus sic obii, ut omnium populorum, privatorumque litteras, injuriasve, cognoscerem. - Eod. loc., IV: Scrutatus sum quæ potui, et quæsivi omnia, inveni duos solos libellos, itaque obsignavi statim. - Asconius, in or. in Verrem : in colligendis litteris et denunciandis testimoniis inquisitio versabatur. Cic. in Verrem, V: Argentarii non tenebantur rationes edere, nisi ubi argentarium exercuissent. 6 Cic., eod. loc.: Hæc epistola est quam nos Syracusis in ædibus Apronii cum litteras conquireremus, invenimus. Et Asconius, eod. loc. mori erat ut accusator obsignaret domum et clausa omnia ejus quem accusaturus erat aut amicorum ejus... 7 Cic., eod. loc.: In jus ad Metellum voco. de l'accusé. C'était en face l'une de l'autre que les deux parties préparaient les armes qui devaient être employées au combat de l'audience. Cependant l'une et l'autre pouvaient déléguer des amis, comites ou custodes, soit pour les représenter, soit pour surveiller mutuellement leurs démarches1. Ces amis formaient une sorte de cortège, comitatus, que la loi donnait à toutes les investigations de l'enquête, et qui avait pour effet d'ajouter à la solennité de ses formes et d'en écarter les fraudes et les embûches. Leur nombre néanmoins fut limité à raison des frais considérables que leur concours occasionnait 3. Il paraît, au reste, que toutes les formes de cette information préliminaire, quoiqu'elle eût été abandonnée aux parties ellesmêmes, étaient réglées avec soin. Cicéron en effet, en décrivant, dans ses discours contre Verrès, les recherches et les saisies des pièces de conviction qui fixent la base de son accusation, nous initie aux prévoyantes et minutieuses précautions dont la jurisprudence avait entouré ces opérations. C'est ainsi qu'on vérifie qu'aucun acte ne pouvait être fait par l'une des parties, si ce n'est contradictoirement; que les saisies devaient être accompagnées de certaines formalités et consacrées par des procès-verbaux ; que les choses saisies demeuraient entre les mains de l'inquisiteur qui les plaçait sous des scellés et en était responsable; que l'accusé de son côté pouvait procéder à une contreinformation pour réunir les éléments de sa défense; enfin, que l'accusateur pouvait encourir le rejet de son action, s'il avait excédé les termes de la commission qui lui avait été donnée ou les limites du délai qui lui avait été fixé". 1542. Cette enquête, sans changer d'objet, ne tarda pas à changer de forme. Lorsque, sous les empereurs, le droit d'accu1 Cic. pro Flacco. 2 Cic., eod. loc.: Qui comitatus in exquirendo? Comitatum dico : imò verò quantus exercitus? Memineritis quarum rerum invidia lege hâc recenti ac novà certus est inquisitioni comitum numerus constitutus. 3 Cic. in Verrem, II, III et V. 4 et 5 Cic. in Verrem, VII, 77: Tabulas in foro, summâ hominum frequentiâ, exscribo; adhibentur in exscribendo de conventu viri primarii, litteræ lituræque omnes assimulatæ, expressæ, de tabulis in libros transferuntur. Hæc omnia summâ curâ et diligentiâ recognita et collata et ab hominibus honestissimis obsignata sunt. 6 L. 18, Dig. de accus.: 1. 1, Cod. ut intrà certum tempus; 1. 7, Cod. de his qui accusare non possunt. sation, qui avait perdu son principal appui, le patriotisme des citoyens, ne fut plus exercé qu'avec mollesse et tiédeur, la poursuite d'office dut y suppléer1; or cette poursuite modifia toutes les formes de l'enquête. Les parties néanmoins ne furent pas destituées de leur droit, mais à leur défaut, soit qu'il n'y eût pas d'accusation inscrite, soit que l'accusateur fùt négligent, il était procédé à l'information par un officier public. Cette information qui, suivant le sort de l'accusation, passait des mains des parties dans celles du juge, ne s'appliquait d'abord qu'aux coupables surpris en flagrant délit ou malfaiteurs de profession (voy. no 78); elle s'étendit peu à peu à tous les citoyens accusés de crimes. Les irenarchæ, les curiosi, les stationarii, agents de la police impériale, furent chargés de parcourir incessamment toutes les parties du territoire, avec la mission spéciale de rechercher les crimes; ils furent investis du pouvoir formidable d'arrêter les inculpés, de les interroger, de mettre la main sur leurs complices et associés, de recueillir tous les renseignements qui se rattachaient aux crimes et de dresser de ces interrogatoires et de ces renseignements des procès-verbaux qu'ils transmettaient, en même temps que les individus mis en accusation, à l'autorité judiciaire*. Était-ce là seulement un droit de police judiciaire? Il est évident qu'ils procédaient à la fois à des actes de police et à des actes d'instruction. Le juge, saisi par cette première procédure, la continuait, et si nul accusateur ne se constituait, il ordonnait à l'officier qui avait procédé aux recherches et rédigé les rapports de venir luimême poursuivre les faits et les individus qu'il avait dénoncés : cum quis quæstionem seu inquisitionem faceret, juberi oportet venire irenarchem et quod scripserit exsequis. Ainsi, le juge, après avoir fait l'inquisition, ordonnait d'office la poursuite et 1 Mandatis cavetur de sacrilegis ut præsides sacrilegos, latrones, plagiarios conquirant. Marcian., 1. IV, § 2, Dig. ad leg. Jul. pecul.; Ulpian, 1. XIII, Dig., De off. præs. 2 Marcian., 1. VI, § 1, Dig., De cust. reorum; - Divius Pius sub edicto proposuit ut irenarchæ, cum apprehenderint latrones, interrogant eos de sociis et receptatoribus et interrogationes litteris inclusas atque obsignatas ad cognitionem magistratus mittant. 3 L. VI, § 1, Dig., De cust., reorum; 1. 1, § 25, Dig. ad 5, C. Sillan. 1. XXII, Cod. ad leg. corn. de falsis. ... 4 Mathæus, De crim., p. 622: Sed et si accusator nullus sit, tùm irenarchæ venire debent quodque scripserint exsequi. 5 L. VI, Dig., De custodia reorum; 1. XXXVIII, Cod. Theod., De naviculariis. |