cela pourrait s'étendre trop loin; et peut-être convient-il ou de restreindre cette règle aux actes les plus importants, ou d'employer une rédaction telle que l'on ne puisse en conclure que le juge d'iustruction ne saurait faire le moindre acte d'instruction sans communication préalable à la partie publique1. » L'article et les observations furent renvoyés à la commission, qui, soit parce que ce texte ne lui parut pas avoir le sens qu'on lui attribuait, soit parce qu'il lui sembla être suffisamment expliqué par les dispositions suivantes, en maintint les termes. La pensée du conseil d'État apparait, en effet, dès que l'on confère l'article 61 avec les textes qui l'environnent. En premier lieu, l'article 59, on l'a déjà vu, permet au juge d'instruction de faire, au cas de flagrant délit, tous les actes de l'information sans réquisitions préalables. Voilà donc un premier cas où les réquisitions ne sont pas nécessaires. Ensuite, mème hors du flagrant délit, et si l'urgence d'ailleurs, suivant l'expression de M. Treilhard, est présumée, le 2o paragraphe de l'article 61 dispose que : « le juge d'instruction délivrera, s'il y a lieu, le mandat d'amener et même le mandat de dépôt, sans que ces mandats doivent être précédés des conclusions du procureur impérial. » Or, n'est-il pas extraordinaire, si le juge ne peut faire aucun acte sans conclusions, qu'il puisse s'en passer quand il s'agit de décerner le mandat d'amener et surtout le mandat de dépôt, qui constitue le prévenu en état de détention? Ce n'est pas tout. L'article 87 déelare encore que le juge d'instruction pourra se transporter d'office au domicile du prévenu pour y faire des perquisitions. De sorte que les actes les plus importants de l'instruction, l'arrestation et les visites domiciliaires, seraient abandonnés à l'initiative du juge, tandis qu'il ne pourrait procéder à aucun des actes secondaires, tels que l'audition d'un témoin ou la délégation d'un expert, sans être provoqué par des conclusions expresses. Il est difficile d'admettre une telle anomalie. Par cela seul que le juge peut procéder d'office aux mesures les plus graves, il faut conclure qu'il peut faire également de lui-même les actes qui sont empreints d'une moindre gravité; et cette interprétation acquiert une autorité plus grande encore lorsque l'on remarque que, dans certains cas spécialement prévusa, la loi a pris soin d'exiger impérieusement des réquisitions. Pourquoi cette mention surabondante, si la règle était absolue? 1 Locré, tom. XXV, p. 175. 2 Voy. les art. 34, 35, 44, 64, 70, 80, 86, 87, 94, 127, etc., du G. d'instr. cr. Et puis, si le texte de l'article 61 devait être entendu littéralement, s'il était interdit au juge de faire un acte quelconque sans réquisitions préalables du ministère public, l'instruction deviendrait impossible, car elle serait arrêtée à chaque pas. L'action judiciaire serait perpétuellement entravée par des communications qui prennent souvent plusieurs jours, et les actes les plus urgents n'interviendraient jamais à temps. En enchaînant le juge, on paralyserait la justice; en exigeant perpétuellement le concours du ministère public, on prolongerait indéfiniment les détentions préventives. 1612. La solution de ce problème est dans les paroles de M. Berlier. Les réquisitions du ministère public doivent nécessairement intervenir à deux époques: au seuil de la procédure et à son terme; ce sont là deux prescriptions impérieuses de la loi. Quand l'instruction commence, soit que le procureur impérial ait reçu la plainte, soit qu'elle lui ait été transmise par ses officiers auxiliaires, soit qu'elle lui ait été communiquée par le juge d'instruction, il doit, en la remettant à ce juge, formuler ses réquisitions: les articles 53, 54, 64 et 70 établissent dans les termes les plus exprès la nécessité de ce premier réquisitoire qui engage l'action publique et donne au juge le droit d'agir. Quand l'instruction est terminée, le procureur impérial doit requérir encore avant que le juge rende son ordonnance; l'article 127 dit formellement que communication sera préalablement donnée au procureur impérial pour être par lui requis ce qu'il appartiendra. Mais, entre ces deux points extrêmes de la procédure, le juge d'instruction peut librement se mouvoir : saisi par le réquisitoire à fin d'informer, il peut procéder à tous les actes de l'information, il peut employer tous les moyens d'instruction que comporte l'affaire, ordonner toutes les mesures qu'il juge convenables. Requis d'instruire et maître de l'instruction, il l'édifie comme il croit devoir le faire et sous sa responsabilité. Nous ne voulons pas dire, néanmoins, ce qui serait contraire au texte de l'article 61, que le procureur impérial ne doive prendre de réquisitions qu'au commencement et à la fin de la procédure; nous entendons seulement qu'à ces deux époques elles sont nécessaires, et que, dans l'intervalle qui les sépare, elles ne sont plus que facultatives: telle est, nous le croyons, la règle légale. Ainsi, comme dans notre ancien droit, le procureur impérial peut toujours dans le cours de la procédure demander la communication, soit pour prendre les réquisitions qu'il juge utiles, soit pour transmettre au procureur général les renseignements prescrits par l'article 249. Ainsi, lors même que l'instruction est terminée, il peut requérir un supplément d'instruction pour éclairer les faits qui lui paraissent obscurs ou mal appréciés. Ainsi le juge d'instruction lui-mème peut désirer, lorsque les affaires sont difficiles, faire partager sa responsabilité en ordonnant la communication des pièces. Enfin il y a des actes qui ne peuvent être prescrits que sur les conclusions du ministère public, et pour lesquels dès lors la communication est nécessaire. Mais, et c'est à ces termes que paraît se résumer ce point de doctrine, en dehors des cas où la communication est expressément ordonnée par la loi, elle n'est point indispensable à la régularité de la procédure, et ce n'est qu'autant qu'elle est soit prescrite d'office par le juge, soit requise par le ministère public, qu'elle doit avoir lieu'. Cette solution paraît, au surplus, avoir été implicitement consacrée dans un arrêt de la Cour de cassation qui déclare : « Qu'aux termes des articles 61 et 127, le ministère public doit avoir communication de la procédure avant tout acte d'instruction et de poursuite, et faire toutes les réquisitions qu'il juge convenables; qu'il doit en avoir connaissance après que l'instruction est terminée, avant qu'il soit statué par la chambre du conseil sur l'affaire instruite; mais que, ces formalités remplies, cette chambre est pleinement saisie et peut prononcer ce qu'elle juge bon être; qu'il importe peu que le ministère public, après que l'instruction terminée lui a été communiquée, n'ait conclu qu'à une continuation d'instruction; que ces réquisitions incidentes ne lient point la chambre, et que, si elle trouve l'affaire suffisamment instruite, elle peut statuer au fond. " 1 Voy., dans ce sens, Carnot, De l'iustr. crim., tom. I, p. 226; Bourguignon, Manuel, tom. I, p. 141; Dalloz, Rép., Instr. crim.; Boitard, Leçons, p. 337; Duverger, p. 392; Mangin, n. 11. 2 Arr. cass. 25 sept. 1824 (J. P., tom. XVIII, p. 1048). § III. Quels sont les droits du juge d'instruction lorsqu'il est saisi par les réquisitions du ministère public ? 1613. Le procureur impérial qui veut provoquer une instruction préalable sur des faits qui lui sont signalés par une plainte ou par les procès-verbaux de la police judiciaire transmet ces pièces au juge d'instruction avec ses réquisitions. Le réquisitoire, qui, dans cette hypothèse, est le premier acte de la procédure, doit viser la plainte ou les procès-verbaux, articuler et qualifier les faits incriminés et citer la loi qui les punit. En matière de délits commis par voie de publication, ces énonciations sont prescrites à peine de nullité'. Elles sont utiles en toute matière, d'abord, parce qu'il importe de fixer l'esprit du juge sur le caractère du fait qui va être l'objet de l'information requise; ensuite parce que, le réquisitoire engageant l'action publique, il est nécessaire de préciser les faits qu'elle veut atteindre; enfin parce qu'un réquisitoire à fin d'informer est un acte assez important pour qu'il porte en lui-même le témoignage qu'il a été mûrement réfléchi. Quel est l'effet de ce réquisitoire? C'est de saisir de l'action publique la juridiction criminelle. Or la juridiction criminelle ne prononce, sauf les cas de citation directe, qu'après une information préalable, à laquelle procède le juge d'instruction, et que la chambre d'accusation apprécie. De là il suit que le réquisitoire, qui est l'acte introductif de l'action, ne saisit pas seulement le juge d'instruction, mais il saisit en même temps la juridiction compétente pour prononcer sur l'action elle-même. Le juge d'instruction y puise le droit de procéder à tous les actes qui constituent l'instruction sur les faits qui y sont dénoncés. Jusqu'à la loi du 17 juillet 1856, sa juridiction s'arrêtait à ces actes d'instruction: il instruisait, il ne jugeait pas; il préparait la décision de la chambre du conseil et de la chambre d'accusation, il ne décidait pas lui-même; son pouvoir, presque discrétionnaire dans le cercle de l'instruction, s'arrêtait au terme de cette instruction; il le déposait au moment où il présentait son rapport à la chambre du conseil. Aujourd'hui et en vertu de cette loi, il réunit aux fonctions de l'instruction les fonctions de la chambre du conseil; il a juridiction sur l'information et sur l'action elle-même. Nous 1 Loi 26 mai 1819, art. 6. ne le considérons ici que comme investi de l'instruction et exerçant les pouvoirs qu'il avait avant la loi du 17 juillet 1856 et qu'il tient des articles 61, 71 et 87 du Code. Il s'agit uniquement de développer les droits que l'instruction lui confère. 1614. En premier lieu, le juge d'instruction, saisi par un réquisitoire à fin d'informer, peut-il refuser de procéder à l'information? Il est clair qu'avant la loi du 17 juillet 1856 il ne le pouvait pas, par cela seul qu'il n'avait pas juridiction sur l'action publique; or déclarer qu'il n'y a pas lieu d'instruire, c'est décider qu'il n'y a pas lieu de donner suite au réquisitoire, et par conséquent que l'action publique est dénuée de fondement. Il ne pouvait lui appartenir de prendre une telle décision. Cependant était-il donc tenu d'instruire lorsque le fait qui est l'objet du réquisitoire ne lui paraissait constituer ni crime ni délit, lorsque l'action publique était suspendue par une exception préjudicielle, lorsqu'elle ne pouvait être exercée que sur une plainte qui n'avait point été portée, lorsqu'enfin elle était éteinte par la prescription, par l'amnistie, par la chose jugée ou par le décès du prévenu? Dans notre ancien droit, le lieutenant criminel devait, dans tous les cas, rejeter la plainte de la partie publique, comme n'ayant aucun fondement ou étant contraire aux ordonnances et lois du royaume'. Notre juge d'instruction ne réunissait pas les mêmes pouvoirs; le législateur moderne a séparé plus nettement que ne l'avait fait l'ancienne jurisprudence les fonctions du juge et celles du ministère public (voy. no 429), et puisqu'il avait placé auprès du juge une juridiction à laquelle il pouvait se référer sans cesse, il est évident qu'il avait voulu qu'il se renfermât dans ses attributions normales. Or, déclarer que l'action publique n'a pas d'objet, qu'elle est repoussée par une exception ou qu'elle est éteinte, ce n'est point faire acte d'instruction, c'est statuer sur l'action elle-même. La marche que devait suivre le juge dans chacune de ces hypothèses était indiquée par la loi. C'était à la chambre du conseil, aux termes de l'article 128, qu'il appartenait de déclarer qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre, si le fait ne présentait ni crime, ni délit, ni contravention, ou s'il n'existait aucune charge contre l'inculpé. Cette chambre était seule compétente pour apprécier toutes les exceptions ou les fins de non-recevoir qui résultaient 1 Jousse, tom. I, p. 578, et tom. III, p. 135. |