l'instruction préalable en est le légitime auxiliaire. Elle lui indique la voie qu'elle doit suivre, elle marche devant elle pour affermir ses pas, elle éclaire l'exercice ultérieur de son pouvoir, elle lui évite le péril du retard et le péril de la précipitation. C'est au moyen de cette instruction que les plaintes et dénonciations peuvent être vérifiées, avant qu'il y soit donné suite, que les imputations téméraires et les accusations hasardées sont arrêtées avant qu'elles parviennent à l'audience. Son premier bienfait est de protéger l'inculpé. Elle donne, en effet, à la défense la faculté de dissiper les soupçons, de combattre les indices, d'expliquer les faits et de faire tomber la prévention au moment même où elle s'élève. Or, si nul ne peut éviter une poursuite mensongère, ne doit-on pas avoir au moins le moyen de se dérober à l'éclat d'un débat public en dévoilant immédiatement le mensonge? Et comment y parvenir si la plainte arrive sans intermédiaire à l'audience, s'il n'est pas possible d'en suspendre l'effet en produisant la preuve qu'elle est erronée? La procédure préparatoire soumet toutes les poursuites à l'épreuve d'un examen sérieux; elle rejette celles qui ne reposent pas sur des présomptions graves; elle indique à chacune la voie légale qu'elle doit suivre; elle réunit les éléments et devient le fondement d'un premier degré de juridiction. L'une des plus fortes garanties de la défense est, en effet, la juridiction qui est appelée, par une première appréciation des charges de l'instruction préalable, à décider, comme le faisait dans notre ancien droit le règlement à l'extraordinaire, s'il y a lieu d'y donner suite, s'il y a lieu soit d'annuler la poursuite, soit de décréter l'accusation. Or, cette juridiction, quelles que soient son organisation et ses formes, qu'elle soit la chambre ou le jury d'accusation, est le complément de la procédure préparatoire; elle y puise tous ses éléments de décision, toutes ses présomptions, tous ses motifs, elle ne fait que l'apprécier et en tirer les conséquences légales. D'un autre côté, la justice elle-même qui ne parvient qu'avec peine à démêler le vrai caractère des faits, la véritable moralité des actions, en mettant à profit toutes les investigations préliminaires de l'instruction, ne devrait-elle pas craindre de s'égarer si elle était privée de ces documents? Quelles ne seraient pas ses hésitations et ses incertitudes lorsque les faits viendraient pour la première fois frapper ses regards à l'audience? La procédure orale pourrait-elle marcher avec fermeté à travers les allégations contradictoires des parties? Sans doute on produirait des preuves, on amènerait des témoins, on présenterait des procès-verbaux et des certificats. Mais qui attesterait la moralité des témoins euxmêmes et la foi qu'ils méritent? Qui contrôlerait les indices et les présomptions qui seraient opposés sans avoir été préalablement constatés? Qui dirait qu'en dehors de ces témoignages et de ces preuves, il n'y en a pas d'autres, que l'information est complète, que le juge peut, sans trouble et sans anxiété, en faire la base de son jugement? Enfin, la procédure orale a pour principal appui la procédure écrite : c'est celle-ci qui lui désigne tous les éléments qu'elle emploie et qui les lui fournit après les avoir soumis à son contrôle, après avoir apprécié leur caractère et leur forme, c'est elle qui écarte les témoins parasites, les documents étrangers à la cause, tout ce qui peut égarer sa marche, tout ce qui ne va pas directement au but; c'est elle, en un mot, qui prépare le terrain du débat, qui en pose les termes, qui trace le cercle où il doit s'enfermer. Quelles seraient la longueur et la confusion des discussions, l'hésitation des délibérations, si elles n'étaient élaborées à l'avance par ce travail préparatoire? Combien même elles seraient impuissantes lorsqu'il s'agit de faits compliqués ou obscurs, d'actes qui n'ont laissé que des traces incertaines ou qui sont ensevelis sous l'ombre de quelques années, et que les recherches patientes et silencieuses de l'instruction peuvent seuls réussir à dévoiler! 1538. A la vérité, de graves inconvénients sont attachés à cette institution. En général, et c'est là un vice inhérent à sa nature, la procédure préliminaire entraîne d'inévitables rigueurs. Quintilien a dit avec raison qu'il était plus facile d'élever une accusation que de la détruire, de même qu'il est plus facile de faire une blessure que de la guérir: Tanto est accusare quàm defendere, quantò facere quam sanare vulnera facilius'. » Elle trouble, en effet, dans leur réputation, dans leur honneur, des citoyens qui ne sont encore qu'inculpés; elle les désigne à la réprobation publique, lorsque plus tard elle reconnaîtra peut-être leur innocence; elle les atteint dans leur liberté, si la prévention a pour 1 Quint., lib. V, n. 13. objet un fait passible d'emprisonnement; dans leur fortune, par conséquent, puisqu'elle les enlève à leur travail, à leur industrie, à leurs affaires; dans leur famille même, puisqu'elle tarit les sources où la famille puise sa vie. Elle affecte les formes et les sévérités du châtiment, quoiqu'elle n'en ait ni le caractère ni le but; et lorsque son résultat a été la flétrissure et la ruine, elle n'a point de réparation, si elle s'est trompée, pour racheter ses erreurs. Ce sont là les conséquences possibles et trop souvent vérifiées de l'instruction préalable. Il faut assurément les déplorer. Il est douloureux que la justice ne puisse accomplir sa mission sans recourir à des actes qui ne frappent que des inculpés et qu'elle peut elle-même reconnaître avoir été injustes. Telle est l'imperfection des institutions humaines qu'elles peuvent froisser quelques droits ou quelques intérêts, lorsqu'elles apportent à la société un bien incontestable. Mais ces conséquences, néanmoins, sont-elles toutes et sans distinction fatalement attachées au principe de l'instruction préalable? Faut-il, dans tous les cas, en faire remonter la responsabilité jusqu'à ce principe lui-même? La justice pénale, pour remplir sa tâche, qui est la protection du droit dans la société, doit évidemment, nous l'avons déjà dit, être armée des pouvoirs nécessaires à l'exercice et à la fin de son action. Or, parmi ces pouvoirs, il faut ranger les mesures inquisitoriales qui ont pour objet la découverte de la vérité, et les mesures conservatoires, qui ont pour objet d'assurer l'exécution de ses jugements. Comment pourrait-elle juger, si elle n'avait pas le droit de se livrer aux enquêtes qui la conduisent à la connaissance des faits? Et que serviraient ses jugements, si les inculpés, libres de tous liens, pouvaient dans tous les cas se dérober à leur appli cation? Mais quel est alors le fondement des mesures qu'elle prend ? II est évident qu'il n'en est point d'autre que la nécessité; elles ne sont légitimes que parce qu'elles sont indispensables '. Quelle autre base pourraient-elles invoquer? Le fait de la poursuite? elle n'a point encore été reconnue fondée; le droit de la justice? elle n'a strictement droit que sur les faits dont elle déclare la criminalité et sur les agents dont elle prononce la mise en accusation ou la culpabilité. De là il suit que l'application de ces mesures 1 Meyer, tom. V, p. 296. : doit être circonscrite avec soin, et qu'elles ne doivent être employées qu'autant qu'elles sont nécessaires pour assurer le but de l'instruction; c'est là l'unique raison de leur application; c'est la nécessité qui fait le droit, car il ne faut pas perdre de vue qu'elles infligent un mal réel à des individus qui ne sont point encore reconnus coupables. Cette règle, qui domine toute l'instruction préalable, si elle était appliquée sévèrement, effacerait la plupart des inconvénients que nous avons relevés. Sans doute, elle est insuffisante, puisqu'elle ne pose point une limite inflexible au droit de l'instruction, et qu'elle ne fait qu'apporter une plus scrupuleuse attention dans l'emploi des mesures préalables. Mais d'abord, il faut le dire, il serait impossible de prévenir d'une manière absolue l'inutilité ou l'excès de quelques actes de l'instruction: l'abus tient à l'emploi facultatif des mesures qui peuvent être nécessaires ou sans objet, suivant des circonstances qui ne peuvent être appréciées au seuil de la procédure; il tient surtout aux moyens bornés dont la justice dispose, à l'esprit même quelquefois débile ou prévenu du juge. Toutefois, ne serait-il pas possible sinon de faire entièrement disparaître ces excès de l'instruction, du moins de les circonscrire et de les atténuer en définissant avec plus de précision les cas où le juge doit employer les mesures mises à sa disposition, en traçant avec plus d'exactitude le cercle de ses pouvoirs, en restreignant l'application des moyens les plus acerbes aux seules circonstances où ils sont indispensables? Le législateur a-t-il rempli toute sa tâche lorsqu'il s'est borné à attribuer à un magistrat une puissance dont le but est défini, mais dont l'application ne l'est pas, sans régler les cas et le mode de cette application? Nous reviendrons plus loin sur ce dernier point. Nous n'avons voulu qu'indiquer ici le lien indissoluble qui attache l'instruction préalable à la justice pénale. Il était nécessaire, au seuil de ce livre, de démontrer en quelques mots l'indispensable utilité d'une institution dont nous allons étudier et développer tous les rouages; car, comme le dit encore notre vieil Ayrault, « il ne suffit pas que la loi commande ce qui est bon et juste de soy; il faut que par belles et naturelles raisons elle l'insinue et engrave aux cœurs, afin que les citoyens y obéissent de leur bon gré et non par crainte 1». Nous essayerons d'apprécier, dans le chapitre suivant, 1 Inst. jud., p. 15, 20. quels doivent être le caractère général de cette instruction, les règles et les limites de son application. 1539. La procédure préalable ou écrite, suivant qu'elle tire sa qualification de son caractère ou de sa forme, a deux phases successives : L'information, qui comprend tous les actes auxquels le juge d'instruction procéde ou fait procéder, pendant qu'elle demeure entre ses mains; Et l'examen de cette information, qui commence au moment où elle est portée devant la chambre du conseil et se termine soit par l'ordonnance de cette chambre, soit, s'il y a lieu, par l'arrêt de la chambre d'accusation. L'information a pour objet, comme on l'a vu, la recherche et la constatation des faits incriminés, la mise sous la main de la justice des agents inculpés et des pièces de conviction, la vérification des indices et des preuves. L'examen de l'information a pour objet l'appréciation, en premier lieu, de ces indices et de ces preuves, ensuite, l'indication du véritable caractère des faits constatés, afin de décider, s'il y a lieu, de continuer la poursuite et de désigner la juridiction compétente pour statuer. Ce volume est consacré à la première partie de cette procédure, à l'information, et par conséquent à l'examen de tous les actes qui ont pour but la constatation des faits et l'arrestation des agents. Cette matière, qui est immense, non-seulement à raison des questions importantes qu'elle soulève, mais à raison de la multiplicité des actes qu'elle embrasse, comprend, dans ses principales divisions, les sujets suivants : L'organisation des juges d'instruction; L'énumération et les limites de leurs attributions; Les règles de leur compétence; Les conditions auxquelles sont soumises les dénonciations et les plaintes; La théorie des preuves, puisqu'il importe de connaître la valeur des preuves produites au moment où la procédure va les recueillir; L'information proprement dite, c'est-à-dire les actes de constatation faits par le juge et l'audition des témoins ; |