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cent solennel de la prière vraie. La poésie naissante et la religion renaissante au seizième siècle y ont imprimé leur gravité magnifique, et l'on y sent palpiter, comme dans Milton lui-même, la double inspiration qui alors souleva l'homme hors de luimême et le porta frémissant jusqu'au ciel. Les genoux plient quand on l'écoute. Cette confession de foi, ces collects prononcés pendant la maladie, devant le lit des mourants, en cas de malheur public et de deuil privé, ces hautes sentences d'une éloquence passionnée et soutenue, emportent l'homme dans je ne sais quel monde inconnu et auguste. Que les beaux gentilshommes bâillent, se moquent, et réussissent à ne pas comprendre: je suis sûr que, parmi les autres, beaucoup sont troublés. L'idée de la mort obscure et de l'océan infini où va descendre la pauvre âme fragile, la pensée de cette justice invisible, partout présente, partout prévoyante, sur laquelle s'appuie l'apparence changeante des choses visibles, les illuminent d'éclairs inattendus. Le monde corporel et ses lois ne leur semblent qu'un fantôme et une figure; ils ne voient plus rien de réel que la justice, elle est le tout de l'homme comme de la nature. Voilà le sentiment profond qui, le dimanche, ferme les théâtres, interdit les plaisirs, remplit les églises ; c'est lui qui perce la cuirasse de l'esprit positif et de la lourdeur corporelle. Ce marchand qui toute la semaine a compté des ballots ou aligné des chiffres, ce squire éleveur de bestiaux, qui ne sait que brailler, boire et sauter à cheval

par-dessus des barrières, ces yeomen, ces cottagers, qui, pour se divertir, s'ensanglantent de coups de poing ou passent la tête dans un collier de cheval afin de faire assaut de grimaces, toutes ces âmes incultes, plongées dans la vie physique, reçoivent ainsi de leur religion la vie morale. Ils l'aiment; on le voit aux clameurs d'émeute qui montent comme un tonnerre sitôt qu'un imprudent touche ou semble toucher à l'église. On le voit à la vente des livres de piété protestants, le Pilgrim's progress, le Whole duty of man, seuls capables de se frayer leur voie jusqu'à l'appui de fenêtre du yeoman et du squire, où dorment, parmi les engins de pêche, quatre volumes, toute la bibliothèque. Vous ne remuerez les hommes de cette race que par des réflexions morales et des émotions religieuses. L'esprit puritain attiédi couve encore sous terre et se jette du seul côté où se rencontrent l'aliment, l'air, la flamme et l'action.

On s'en aperçoit quand on regarde les sectes. En France, jansénistes et jésuites semblent des pantins de l'autre siècle occupés à se battre pour le divertissement de celui-ci. Ici les quakers, les indépendants, les baptistes, subsistent, sérieux, honorés, reconnus par l'État, illustrés par des écrivains habiles, par des savants profonds, par des hommes vertueux, par des fondateurs de nations'. Leur piété fait leurs disputes; c'est parce qu'ils veulent croire qu'ils diffèrent de croyance; les seuls hommes sans

1. Penn.

religion sont ceux qui ne s'occupent pas de religion. Une foi immobile est bientôt une foi morte, quand un homme devient sectaire, c'est qu'il est fervent. Ce christianisme vit, car il se développe ; on voit la séve toujours coulante de l'examen et de la foi protestante rentrer dans de vieux dogmes desséchés depuis quinze cents ans. Voltaire arrivant ici est surpris de trouver des ariens, et parmi eux les premiers penseurs de l'Angleterre Clarke, Newton lui-même. Ce n'est pas seulement le dogme, c'est le sentiment qui se renouvelle; par delà les ariens spéculatifs perçaient les méthodistes pratiques, et derrière Newton et Clarke venaient Whitefield et Wesley.

Nulle histoire n'éclaire plus à fond le caractère anglais. En face de Hume, de Voltaire, ils fondent une secte monacale et convulsionnaire, et triomphent chez eux par le rigorisme et l'exagération, qui les perdraient chez nous. Wesley est un lettré, un érudit d'Oxford, et il croit au diable; il lui attribue des maladies, des cauchemars, des tempêtes, des tremblements de terre. Sa famille a entendu des bruits surnaturels; son père a été poussé trois fois par un revenant; lui-même voit la main de Dieu dans les plus vulgaires événements de la vie; un jour, à Birmingham, ayant été surpris par la grêle, il découvre qu'il reçoit cet avertissement parce qu'à table il n'a point exhorté les gens qui dînaient avec lui; quand il s'agit de prendre un parti, il tire au sort, pour se décider, parmi les textes de la Bible.

A Oxford, il jeûne et se fatigue jusqu'à cracher le sang et manquer de mourir; sur le vaisseau, quand il part pour l'Amérique, il ne mange plus que du pain et dort par terre; il mène la vie d'un apôtre, donnant tout ce qu'il gagne, voyageant et prêchant toute l'année, et chaque année, jusqu'à quatre-vingthuit ans1; on calcule qu'il donna 30 000 livres sterling, qu'il fit cent mille lieues et qu'il prêcha quarante mille sermons. Qu'est-ce qu'un pareil homme eût fait dans notre dix-huitième siècle ? Ici on l'écoute, on le suit; à sa mort, il avait quatrevingt mille disciples; aujourd'hui il en a un million. Les inquiétudes de conscience qui l'ont jeté dans cette voie poussent les autres sur sa trace. Rien de plus frappant que les confessions de ses prédicateurs, la plupart gens du peuple et laïques : Georges Story a le spleen, rêve et réfléchit tristement, s'occupe à se dénigrer et à dénigrer les occupations humaines. Mark Bond se croit damné parce qu'étant petit garçon il a prononcé un blasphème; il lit et prie sans cesse et sans effet, et enfin, désespéré, s'enrôle avec l'espérance d'être tué. John Haime a des visions, hurle, et croit sentir le diable. Un autre, boulanger, a des scrupules parce que son maître continue à cuire le dimanche, se dessèche d'inquiétudes, et bientôt n'est plus qu'un squelette. Voilà les

1. Dans une tournée, il coucha trois semaines sur le plancher. Un jour, à trois heures du matin, il dit à Nelson, son compagnon « Mon frère Nelson, ayons bon courage; j'ai encore un côté sain, car la peau n'est partie que d'un côté. »

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âmes timorées et passionnées qui fournissent matière à la religion et à l'enthousiasme. Elles sont nombreuses en ce pays, et c'est sur elles que la doctrine a prise. Wesley déclare «< qu'un chapelet d'opinions numérotées n'est pas plus la foi chré<< tienne qu'un chapelet de grains enfilés n'est la << sainteté chrétienne. La foi n'est point l'assenti<< ment donné à une opinion, ni à un nombre quel<< conque d'opinions: »> c'est la sensation de la présence divine, c'est la communication de l'âme avec le monde invisible, c'est le renouvellement complet et imprévu du cœur. « La foi justifiante comprend << pour celui qui l'a non-seulement la révéla «<tion personnelle et l'évidence du christianisme, <«< mais encore une ferme et solide assurance que «<le Christ est mort pour son péché, qu'il l'a aimé, «< qu'il a donné sa vie pour lui 1. » Le fidèle sent en lui-même l'attouchement d'une main supérieure et la naissance d'un être inconnu. L'ancien homme a disparu, un homme nouveau a pris la place,

1. A string of opinions is no more Christian faith than a string of beads is Christian holiness. It is not assent to any opinion, or any number of opinions. »-« The justifying faith is not only the personal revelation, the internal evidence of christianity, but like wise a sure and firm confidence, that Christ died for his sin, loved him, and gave his live for him. (Life by Southey, tome I, 176.)

By a christian, I mean our who so believes in Christ, as that sin hath no more dominion over him. (I, 151.)

Law, l'auteur du célèbre livre a Serious Call, disait de même à Wesley: Religion is the most plain simple thing in the world; It is only we love him, because he first loved us. »

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