Page images
PDF
EPUB

Le poirier des Gaulois, tant d'autres fruits divers :
C'est ainsi qu'il fallait s'asservir l'univers.

Quand Lucullus vainqueur triomphait de l'Asie,
L'airain, le marbre et l'or frappaient Rome éblouie ;
Le sage dans la foule aimait à voir ses mains
Porter le cerisier en triomphe aux Romains.
Et ces mêmes Romains n'ont-ils pas vu nos pères,
En bataillons armés, sous des cieux plus prospères,
Aller chercher la vigne, et vouer à Bacchus
Leurs étendards rougis du nectar des vaincus?
Du fruit de leurs exploits leurs troupes échauffées
Rapportaient, en chantant, ces précieux trophées :
Du pampre triomphal ils couronnaient leurs fronts;
Le pampre sur leurs dards s'enlaçait en festons.
Tel revint sur son char le dieu vainqueur du Gange :
Les vallons, les côteaux célébraient la vendange;
Et par-tout où coula le nectar enchanté
Coururent le plaisir, l'audace et la gaîté.

Enfans de ces Gaulois, imitons nos ancêtres;
Disputons, enlevons ces dépouilles champètres.
Voyez dans ces jardins, fiers de se voir soumis
A la main qui porta le sceptre de Thémis,
Le sang des Lamoignons, l'éloquent Malesherbes
Enrichir notre sol de cent tiges superbes,
Nourrissons inconnus de vingt climats divers,
De la cime des monts, de la rive des mers.
Je voyage, entouré de leur foule choisie,
D'Amérique en Europe, et d'Afrique en Asie:
Tous, parmi nos vieux plants charmés de se ranger,
Chérissent notre ciel; et l'heureux étranger,
Des bords qu'il a quittés reconnaissant l'ombrage,
Doute de son exil à leur touchante image,
Et d'un doux souvenir sent son cœur attendri.
Je t'en prends à témoin, jeune Potaveri ( 2 ).

Des champs d'O-Taiti, si chers à son enfance,

Où l'amour sans pudeur n'est pas sans innocence (3),
Ce sauvage ingénu, dans nos murs transporté,

Regrettait dans son cœur sa douce liberté,
Et son île riante, et ses plaisirs faciles.
Ebloui, mais lassé de l'éclat de nos villes,
Souvent il s'écriait : « Rendez-moi mes forêts ».
Un jour dans ces jardins où Louis, à grands frais,
Des quatre points du monde en un seul lieu rassemble
Ces peuples végétaux surpris de croître ensemble,
Qui, changeant à la fois de saison et de lieu,
Viennent tous à l'envi rendre hommage à Jussieu,
L'Indien parcourait leurs tribus réunies,

Quand tout à coup, parmi ces vertes colonies,
Un arbre qu'il connut dès ses plus jeunes ans
Frappe ses yeux: soudain avec des cris perçans
Il s'élance, il l'embrasse, il le baigne de larmes,
Le couvre de baisers. Mille objets pleins de charmes,
Ces beaux champs, ce beau ciel, qui le virent heureux,
Le fleuve qu'il fendait de ses bras vigoureux,
La forêt dont ses traits perçaient l'hôte sauvage,
Ces bananiers chargés et de fruits et d'ombrage,

Et le toit paternel, et les bois d'alentour,

Ces bois qui répondaient à ses doux chants d'amour,
Il croit les voir encor, et son ame attendrie

Du moins pour un instant retrouva sa patrie.

Quels que soient vos bosquets, vos bois et vos vergers, Enfans de votre sol ou des champs étrangers,

L'art brillant des jardins, s'il veut long-temps nous plaire,
Exige encor de vous un soin plus nécessaire.
Quelquefois, en plantant, des artistes sans art
Entre eux et la campagne élèvent un rempart;
Leurs arbres sont un voile et non une parure :
Vous, sachez avec goût disposer leur verdure;

Que vos arbres divers, adroitement plantés,

Des plus vastes lointains vous livrent les beautés ;
Par elles de vos parcs augmentez l'étendue,
Possédez par les yeux, jouissez par la

vue.

Eh! qui peut dédaigner ces aspects abondans
En tableaux variés, en heureux accidens !

'Par eux l'œil est charmé, la campagne est vivante.
Là, d'un chemin public c'est la scène mouvante;
C'est le bœuf matinal qui suit le soc tranchant;
C'est le fier cavalier qui, distrait en marchant,
Du coursier, dont sa main abandonnait l'allure,
A l'aspect d'un passant relève l'encolure;
C'est le piéton modeste, un bâton à la main,
A qui la rêverie abrège le chemin ;

C'est le pas grave et lent de la riche fermière ;
C'est le pas leste et vif de la jeune laitière,
Qui, l'habit retroussé, le corps droit, va trottant,
Son vase en équilibre, et chemine en chantant;
C'est le lourd chariot, dont la marche bruyante
Fait crier le pavé sous sa charge pesante;
Le char léger du fat qui vole en un instant
De l'ennui qui le chasse à l'ennui qui l'attend.
Regardez ce moulin, où tombent en cascades
Sur l'arbre de Cérès les ondes des Naïades;
Tandis qu'au gré d'Éole, un autre avec fracas
Tourne en cercle sans fin ses gigantesques bras.

Plus loin, c'est un vieux bourg que des bois environnent;
Là, de leurs longs créneaux les cités se courounent,
Et le clocher, où plane un coq audacieux,

Court en sommet aigu se perdre dans les cieux.

Plus heureux si de loin commande au paysage Quelque temple fameux, monument du vieil âge, Dont les royales tours se prolongent dans l'air ; Royaumout, Saint-Denis, ou le vieux Westminster,

Où dorment confondus le guerrier, le poëte,
Les grauds hommes d'état, et Chatam à leur tête,
L'éloquent Westminster, où tout parle à l'orgueil
De grandeur, de néant, et de gloire, et de deuil.

Oublierai-je ce fleuve, et ses bords, et ses îles? Et, si la vaste mer entoure vos asiles,

Quel tableau peut valoir son courroux, son repos, Et ces vaisseaux lointains qui volent sur les flots?

O Nice! heureux séjour, montagnes renommées, De lavande, de thym, de citron parfumées; Que de fois sous tes plants d'oliviers toujours verts, Dont la pâleur s'unit au sombre azur des mers, J'égarai mes regards sur ce théâtre immense! Combien je jouissais! soit que l'onde en silence Mollement balancée, et roulant sans efforts, D'une frange d'écume allât ceindre ses bords; Soit que son vaste sein se gonflât de colère; J'aimais à voir le flot, d'abord ride légère, De loin blanchir, s'enfler, s'alonger et marcher, Bondir tout écumant de rocher en rocher, Tantôt se déployer comme un serpent flexible, Tantôt, tel qu'un tonnerre, avec un bruit horrible, Précipiter sa masse et de ses tourbillons

[ocr errors]

Dans les rocs caverneux engloutir les bouillons:
Ce mouvement, ce bruit, cette mer turbulente,
Roulant, montant, tombant en montagne écumante,
Enivraient mon esprit, mon oreille, mes yeux;
Et le soir me trouvait immobile en ces lieux,

Donc, si ce grand spectacle entoure vos domaines,
Montrez, mais variez ces magnifiques scènes:
Ici que la mer brille à travers les rameaux ;

Là, dans l'enfoncement de ces profonds berceaux, Comme au bout d'un long tube, une voûte la montre Au détour d'un bosquet ici l'œil la rencontre,

La perd encore; enfin la vue en liberté
Tout à coup la découvre en son immensité.

Sur ces aspects divers fixez l'œil qui s'égare;
Mais, il faut l'avouer, c'est d'une main avare
Que les hommes, les arts, la nature et le temps,
Sement autour de nous de riches accidens.

O plaines de la Grèce! ô champs de l'Ausonie!
Lieux toujours inspirans, toujours chers au génie;
Que de fois, arrêté dans un bel horizon,
Le peintre voit, s'enflamme, et saisit son crayon,
Dessine ces lointains, et ces mers, et ces îles,
Ces ports, ces monts brûlans et devenus fertiles,
Des laves de ces monts encor tout menaçans,
Sur des palais détruits d'autres palais naissans,
Et, dans ce long tourment de la terre et de l'onde,
Un nouveau monde éclos des débris du vieux monde !
Hélas! je n'ai point vu ce séjour enchanté,

[ocr errors]

Ces beaux lieux où Virgile a tant de fois chanté;
Mais j'en jure et Virgile et ses accords sublimes
J'irai, de l'Apennin je franchirai les cimes;
J'irai, plein de son nom, plein de ses vers sacrés,
Les lire aux mêmes lieux qui les ont inspirés.

Vous, au lieu des beautés qu'étalent ces rivages,
N'avez-vous au-dehors que de froids paysages?
Formez-vous au-dedans un asile enchanteur;
Tel le sage dans lui sait trouver son bonheur.
A vos scènes donnez l'air piquant du mystère;
Que votre art les promette, et que l'œil les espère. (4) -
Promettre, c'est donner; espérer, c'est jouir.

D'un vain luxe non plus n'allez pas m'éblouir.
L'utile a sa beauté; gardez-vous de l'exclure.
La richesse du luxe appauvrit la nature :

Ses plans infructueux un moment flattent l'œil;
Mais Vertumne et Palès, exilés
par l'orgueil,

« PreviousContinue »