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tions, a détourné plusieurs grands hommes des travaux utiles, et a privé le genre humain de plus d'un bienfait. Le philosophe dont je veux parler est le célèbre Leibnitz, cet illustre partisan de l'optimisme. Il est vrai qu'en défendant cette opinion, il en exagéra tous les principes et toutes les conséquences. Les monades et l'harmonie préétablie contredisent totalement la liberté de l'homme et de Dieu.

Mais les principes de Leibnitz ne sont point ceux de Pope. Celui-ci n'a pris le germe de ses idées que dans Platon; et même, comme il l'a dit souvent, il n'avoit jamais lu les ouvrages du philosophe de Leipsick. Leibnitz fait de Dieu un être absolument passif, qui, dans le nombre des mondes possibles, ne peut choisir que le monde existant. Pope en fait un être libre, dont la sagesse ordonna l'homme pour l'univers, et l'univers pour l'homme;

il soutient que l'auteur du bien n'est point l'auteur du mal; que les désordres particuliers disparoissent dans l'ordre universel, ou qu'ils naissent de la corruption de l'homme créé libre, qui dénatura l'ouvrage de son Dieu. Cette doctrine s'accorde parfaitement avec le christianisme : quand elle n'auroit pas une exactitude aussi orthodoxe, il ne faudroit pas encore accuser le poète; il doit laisser aux docteurs de l'Église le soin de démontrer les vérités de la religion; il n'est fait que pour les persuader et les embellir.

Je ne chercherai point à réfuter les objections contre l'optimisme : il faudroit ramener ces questions agitées vainement d'âge en âge, et que la curiosité humaine doit pour jamais s'inter

. Cette dernière idée, très-conforme au dogme de la chute de l'homme, se trouve dans la quatrième épître. Au reste, le docteur Warburton a si bien justifié la doctrine de Pope, que j'y renvoie mes lecteurs.

dire. L'optimisme peut sans doute s'attaquer par les armes du raisonnement, et surtout par celles de la plaisanterie. L'homme universel qui, de nos jours, a saisi le ridicule des opinions, comme Molière avoit saisi le ridicule des caractères, combattit gaiement, dans sa vieillesse, les philosophes optimistes, dont il avoit d'abord été le partisan. Le conte de Candide est un des jeux les plus originaux de cette imagination toujours mobile, qui s'approprioit en un instant les sentimens les plus opposés, qui sortoit sans effort des passions terribles et touchantes de la tragédie, pour se jouer dans ces productions légères, où respirent toutes les grâces de l'esprit, toute la verve de la gaieté, et qui se replaçoit tout à coup au milieu des illusions dramatiques, ou des vastes tableaux de l'histoire. Cependant, il faut l'avouer, Candide est une des productions où

Voltaire a le plus outragé la décence et la morale publiques. Il semble y peindre à plaisir toutes nos misères, pour mieux insulter l'homme et la Providence elle-même. Il prodigue la plaisanterie; mais sa plaisanterie même a quelque chose d'amer, et laisse dans l'âme un sentiment de tristesse.

S'il est permis de rire un moment avec Pangloss et Martin, il est peutêtre plus doux de s'élever et de s'attendrir avec Pope et Platon. Il me suffit de savoir que leur système honore la Providence et console l'homme, pour que je l'adopte avec transport, et que je remercie, comme des bienfaiteurs, ceux qui l'ont annoncé au monde. Puissent un jour tous les conseils de la politique, toute l'autorité de la religion, toutes les voix du génie, se réunir en faveur du genre humain, et lui persuader que l'utile et le vrai sont une seule et même chose!

Après avoir cherché l'origine, exposé les principes de ce système, voyons le plan du poète qui l'a chanté. Il considère l'homme par rapport à l'univers, par rapport à lui-même, par rapport à la société, par rapport au bonheur. Cette division ne peut être plus méthodique. Je vais marquer la chaîne des idées qui en composent les quatre parties.

L'homme se plaint, il désire un meilleur état : cet état est-il possible? Je ne vois rien que par mes sens, et leur jugement ne s'étend point audelà des objets connus. Dieu, par une seule loi, produit une multitude d'effets que j'ignore. L'homme, roi du globe qu'il habite, n'est peut-être que l'acteur secondaire de quelque sphère éloignée: sa grande erreur est de croire l'univers fait pour lui seul, quand il n'est fait que pour l'univers. Il doit être soumis à des maux relatifs, qui

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