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écrit de poëme sur la philosophie, il en a tant répandu dans ses odes et dans ses épîtres, qu'on ne peut le passer sous silence. Qui mieux que lui, pour me servir de l'expression pittoresque de Montaigne, sut presser la sentence au pied nombreux de la poésie? Ceux qui ont paru croire que le goût rendoit le talent timide, auroient dû se détromper en lisant les odes d'Horace. La justesse et l'audace se réunissent dans son expression; et quand l'oreille est remplie de son rhythme harmonieux, l'imagination ébranlée par ses figures hardies, la raison, en décomposant les beautés de ce poète, prouve qu'elle en a toujours suivi les écarts et gouverné le délire : mais tous les esprits n'aiment pas également la poésie lyrique; quelques uns préfèrent l'élégante familiarité, les grâces faciles, et la philosophie consolante, dont Horace a rempli ses belles épîtres.

Elles instruisent tous les états, elles hâtent l'expérience de tous les âges: elles apprennent au jeune homme, au vieillard, à jouir sagement de la vie, à se consoler de la mort, à réunir la volupté avec la décence, la raison avec la gaieté. L'homme de lettres y trouve les préceptes du goût; l'homme de bien, ceux de la vertu. Elles font rire l'habitant de la ville des travers qu'il a sous les yeux; elles retracent au solitaire le charme de sa retraite : dans la joie et dans la douleur, dans l'indigence et dans les richesses, elles donnent des plaisirs ou des leçons; elles tiennent lieu d'un ami; et quand on a le bonheur d'en posséder un, elles font mieux sentir le charme de l'amitié.

Montesquieu a dit que l'esprit de modération étoit celui de la monarchie Horace semble l'avoir senti; il cherche à fixer le caractère inquiet et farouche des républicains, dans

les jouissances douces d'une vie toujours égale. Sa philosophie consiste à fuir tous les excès; principe également fécond pour le goût et pour le bonheur.

On sent bien que les beautés d'Horace, qui appartiennent à l'esprit, au talent cultivé, se rapprochent plus de celles de Pope, que les beautés originales de Lucrèce.

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L'Italie moderne n'offre aucun poëme fameux sur la philosophie. Tous les arts s'y sont efforcés de séduire; ils ont craint d'éclairer l'imagination seule s'en est emparée, et n'a point permis à la vérité de s'associer avec elle; ou du moins, elle l'a enveloppée d'allégories aussi obscures que l'ignorance même.

C'est en France que Pope a deux rivaux dignes de lui, Despréaux et Voltaire.

Quand le premier parut, la poésie retrouva ce style, qu'elle avoit perdu

depuis les beaux jours de Rome'; ce style, toujours clair, toujours exact, qui n'exagère ni n'affoiblit, n'omet rien de nécessaire, n'ajoute rien de superflu, va droit à l'effet qu'il veut produire, ne s'embellit que d'ornemens accessoires puisés dans le sujet, sacrifie l'éclat à la véritable richesse, joint l'art au naturel, et le travail à la facilité; qui, pour plaire toujours davantage, s'allie toujours de plus près au bon sens, et s'occupe moins de surprendre les applaudissemens que de les justifier; qui fait sentir enfin et prouve à chaque instant cet axiome éternel: Rien n'est beau que le vrai.

La réunion de ces qualités si rares

On me dira sans doute que j'oublie les auteurs du Roland et de la Jérusalem délivrée: mais l'Arioste et le Tasse, que le mérite de l'invention met au-dessus de ce grand satirique, et qui donnèrent à la poésie tant de séduction et de charme, ne sont pas des modèles de style, comme Horace et Boileau, Virgile et Racine.

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prouve que Despréaux avoit plus d'étendue dans l'esprit que ne l'ont cru des juges sévères. On s'est plaint de ne point trouver dans ses écrits l'expression du sentiment: mais étoit-elle nécessaire aux genres qu'il a choisis? Il mérite de nouveaux éloges pour s'être renfermé dans les bornes de son talent tant de bons écrivains ont eu la foiblesse d'en sortir! Il emploie toujours le degré de verve nécessaire à son sujet. Pourquoi donc l'a-t-on accusé de froideur? Les jeunes gens, qui aiment l'exagération, lui ont fait souvent ce reproche. Plusieurs ont à expier des jugemens précipités sur ce législateur du goût : heureux ceux qui se désabusent de bonne heure! Despréaux n'a pas sans doute la philosophie de l'auteur anglais, qu'il égale au moins par le style. On ne peut guère exiger qu'il s'élevât au-dessus des idées de son siècle; les siennes ne sont point

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