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extraordinaire, qui remplit une vie si courte de tant de prodiges. Sans parler de sa gloire dans les sciences, sans répéter l'éloge de ce chef-d'œuvre des Provinciales, pour qui la frivolité du sujet n'a point affoibli l'admiration, n'a-t-il pas marqué toute sa force dans les pages détachées de l'ouvrage qu'il préparoit, et dont Pope a su recueillir les grands traits épars? Où se retrouve, où se retrouvera jamais le secret de ce style qui, rapide comme la pensée, nous la montre si naturelle et si vivante, qu'il semble former avec elle un tout indestructible et nécessaire? L'expression de Pascal est à la fois audacieuse et simple, pleine et précise, sublime et naïve. Ne semble-t-il pas choisir à dessein les termes les plus familiers, bien sûr de les élever jusqu'à lui, et de leur imprimer toute la majesté de son génie ? Quel est ce raisonnement vigoureux qui poursuit

une idée jusque dans ses derniers résultats, et ne l'abandonne qu'après l'avoir forcée de donner tout ce qu'elle contient? On conçoit l'éloquence de Bossuet, empruntant à la poésie de riches images, et ce ton de l'homme inspiré qui, placé entre le ciel et la terre, veut émouvoir un grand peuple. Quelques orateurs ont osé suivre de loin, imiter Bossuet : qui tentera d'imiter Pascal? Son style ne ressemble à celui d'aucun écrivain ancien ou moderne; et, chose étonnante, il est peut-être le seul génie original que le goût n'ait presque jamais le droit de reprendre : non qu'il semble chercher la correction et la pureté; mais ses idées lui obéissent si bien, qu'elles se manifestent nécessairement sous les formes qui leur conviennent le mieux.

Les chapitres tant admirés de la grandeur, de la foiblesse, de la vanité de l'homme, se retrouvent dans les

vers de Pope; mais il arrive à des conséquences bien différentes de son modèle. Le solitaire de Port-Royal ne veut qu'attrister et terrasser l'homme; il n'est propre qu'à former des misanthropes et des cénobites. Le poète anglais, en dirigeant les mêmes idées vers un autre but, nous console et nous rapproche de nos semblables : il semble qu'il se soit servi du génie de Pascal avec l'âme de Fénélon. Les conséquences de l'épître que je viens d'analyser se développent encore d'une manière plus touchante et plus utile dans la troisième, où l'homme est envisagé comme être social.

Elle commence par un tableau général de la nature, qui, variant toujours ses formes avec la même matière, veut que tous les êtres inanimés et vivans se transmettent une existence empruntée, reçoivent et rendent des secours mutuels. Tout sert, tout est

servi: voilà le grand ordre du monde physique et du monde moral. L'instinct parmi les animaux, l'instinct et la raison dans l'homme, forment des liaisons durables ou passagères. Les liaisons formées par le seul instinct finissent entre les premiers, sitôt que les petits n'ont plus besoin du secours des pères et des mères. L'enfance de l'homme est plus longue; et c'est à la foiblesse, aux infirmités du premier âge, que sont dus les charmes de la société, dont les liens se resserrent encore par la réflexion et la reconnoissance. Cette philosophie, puisée dans la nature même, est bien préférable à tous les paradoxes éloquens du discours sur l'inégalité des conditions: tant il est vrai que les ouvrages des grands poètes renferment souvent plus d'idées utiles et saines que ceux des grands philosophes! La raison en est simple : les premiers ne saisissent dans les

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objets que ces impressions universelles dont tous les hommes sensibles doivent être frappés; obligés de peindre leurs pensées, ils parlent toujours aux sens, ces juges les plus sûrs de l'erreur et de la vérité. Aussi les systèmes changent de siècle en siècle, et se précipitent les uns sur les autres : le temps amène sans cesse de nouvelles découvertes et de nouvelles opinions dans l'empire des sciences; mais il ne peut ébranler la puissance du poète qui sut réveiller des sentimens vrais, émouvoir l'imagination et le cœur ; car le fond de l'homme ne peut jamais changer.

L'auteur anglais continue de suivre les progrès de la société : il décrit les mœurs du genre humain naissant. Les arts se forment; au gouvernement domestique succède le gouvernement d'un seul, que suit bientôt la tyrannie. Les principes se confondent; l'amour

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