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ne sont rien dans le tout, puisque Dieu ne le pouvoit rendre aussi parfait que lui-même. Ce Dieu donne à l'homme les facultés propres à sa nature, à ses besoins, à ses rapports. Ici, dans un tableau rapide, l'auteur trace les diverses propriétés des animaux : il emprunte à Platon l'idée plus sublime que vraie de l'échelle des êtres; idée qu'ont admise et rejetée tour à tour les physiciens, mais que les poètes doivent adopter, puisqu'elle agrandit l'imagination. Ce tableau se termine par une magnifique description de l'être intelligent, âme de cette nature aveugle dont il unit tous les anneaux.

Cette première épître offre les plus grands objets: elle est remarquable par l'élévation des pensées, la rapidité des mouvemens, l'éclat et la magnificence du style; mais les raisonnemens en paroissent quelquefois vagues et faux. Quand le poète est pressé par

des objections difficiles, il s'indigne contre l'orgueilleuse ignorance de l'homme, il couvre la foiblesse de ses réponses d'injures harmonieuses. On peut croire que Pope n'a point voulu d'abord effaroucher, par une marche d'idées trop précises et trop fortes, ceux qui ne voient dans un ouvrage en vers qu'un jeu plus ou moins agréable, et qui ont oublié que la poésie fut destinée, dans sa naissance, à retracer les vérités de la morale et les tableaux de la nature. Les ornemens, semés en foule dans cette première partie de l'Essai sur l'Homme, attirent le lecteur vers la suivante, où des beautés plus graves demandent une attention plus recueillie.

L'homme, après avoir considéré ses rapports avec l'univers, doit rentrer en lui-même, et se connoître. Quels sont les principes qui le composent? Il voit bientôt qu'il est un être

mixte. Deux forces l'agitent en sens contraire l'une s'appelle raison, et l'autre amour - propre. Les passions naissent de l'amour - propre; leur combat est utile et nécessaire : il en est une toujours dominante dans notre cœur ; elle soumet toutes les autres, et la raison elle-même, qui, ne pouvant la détruire, se détermine à lui obeir. Dieu, pour empêcher les funestes ravages de cette passion, fonde sur elle nos meilleurs penchans; il tourne à notre avantage nos propres défauts : ces défauts forment nos premiers rapports avec nos semblables. Les hommes s'unissent, parce qu'ils sont foibles les différens intérêts de chaque individu se confondent dans l'intérêt général; ils changent avec l'âge, et nos plaisirs avec eux. Notre but seulement est toujours le même : ce but est le bonheur. L'orgueil et l'espérance nous suivent jusqu'à la

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mort, en appelant les plaisirs, en écartant les maux. Ainsi notre félicité naît de notre foiblesse; ainsi la sagesse de Dieu se fait reconnoître jusque dans les folies de l'homme.

! Cette épître est d'un genre sévère; elle n'a pas le même éclat que la précédente on y trouve, je crois, plus. deR justesse et de profondeur. La poésie se cache dans ces expressions savantes heureusement alliées, qu'on doit à l'art aidé de la méditation, et que trouve quelquefois l'instinct subit du génie. Cette poésie, qui dérobe d'abord une moitié de ses richesses, et ne les découvre que par degrés, n'est pas celle qui charme le plus tous les esprits : elle a même quelque obscurité pour ceux qui n'ont pas l'habitude de penser et de franchir les idées intermédiaires; mais elle fait les délices des lecteurs exercés; et, toujours observée par

le goût, elle lui donne toujours de nouveaux plaisirs. Il est peu de juges capables de pénétrer dans tous les mystères de ce style, qu'ont surtout possédé Horace et Virgile chez les anciens, Racine et Boileau parmi nous, et Pope chez les Anglais. Les écrivains qui ont ce genre de mérite s'agrandissent continuellement dans la postérité; ils ne craignent point le calme de l'observation: c'est de l'observation même que naît pour eux l'enthousiasme, ce sentiment si peu durable qui devance la réflexion. Cette espèce de beautés étoit la plus nécessaire à l'Essai sur l'Homme, qui contient les premiers principes de la morale et de la métaphysique, et qui souvent doit renfermer les développemens d'un long système dans un seul vers.

En traduisant cette seconde épître, j'y ai remarqué avec étonnement plusieurs passages de Pascal, cet homme

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