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sans intolérance, sans dureté, et sur-tout sans la plus légére tache d'hypocrisie. Vertueux par habitude, il plaignait ceux qui ne l'étaient pas, les ramenait par ses avis dans le sentier de la vérité et de la religion, les encourageait par sa douceur, et les soutenait par son exemple.

Il était bon, sensible, et sa gaieté naïve et simple était toujours aimable. Il souriait à une femme jolie, la voyait sans effroi, ne la fuyait pas avec affectation et la recherchait sans empressement; il savait en admirer les graces, mais il lui préférait le pauvre dont il pouvait adoucir les chagrins et consoler l'indigence.

Happier as kinder, in whate'er degrec
And height of bliss but height of charity,

Et cependant, continua Fatalita en soupirant, il fut coupable de tous les torts de ma vie; ma première faute fut son crime. Il était sincèrement pieux, et ma première pensée impie fut produite par le découragement qui suit les faiblesses irréparables, et il en fut la eause. Vous verrez bientôt que l'homme le plus sage ne doit pas trop compter sur luimême, et que la grande confiance qu'inspire une longue habitude de vertus peut en devenir l'écueil.

Pendant le dîner.... Mais permettez, me

dit Fatalita en s'interrompant, que je remette à demain le récit de ma triste aventure. Cependant je vous avoue qu'il m'est moins pénible de la raconter qu'il ne me l'eût été de parler de Théodicée, de Sapho et de Leontium; ces trois époques de ma trop coupable existence ne me laissent que des souvenirs douloureux et qui m'humilient; ici j'ai moins à rougir, car je puis me plaindre, et cela console. Hélas! j'ai été bien coupable et toujours sans excuses: je pouvais si facilement ne pas l'être ! mais le soin et le tems que je perdais à pallier mes fautes, au lieu de les éviter, devaient les augmenter toujours. Comment revenir sur ses pas quand on ne veut suivre que l'imagination qui entraîne, et pour laquelle le passé n'est jamais la leçon de l'avenir? Enfin mes torts ne furent que ceux d'une femme faible; mais comment nommer ceux même de la vertu, ceux du pieux et sage Pysias? Hélas! tout cela ne vint que de l'imprudence qu'il eut de fermer sa porte: il est vrai qu'il avait à me parler de choses qui semblaient n'intéresser que moi et ne devoir être connues que de moi; mais il n'en est pas moins vrai que le plus vertueux des hommes, lorsqu'il est tête-à-tête avec une jolie protégée, fera toujours bien de laisser sa porte ouverte. Dans les occasions où l'on a quelques motifs de se

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craindre beaucoup soi-même, il est bon d'avoir à craindre un peu les autres.

En vérité, dis-je à Fatalita, lorsque je pense à nos premières conversations, je suis presque tenté de m'écrier comme vous: O destinée! car il semble qu'elle ait choisi dans votre histoire les trois événemens de Théodicée, de Sapho et de Léontium; de manière que lorsqu'on connaîtra cette première époque de votre vie, on aura déjà relativement à vous une idée assez juste de ces quatre âges si différemment intéressans dans l'existence des femmes, disait Fontenelle: car Théodicée avait dix-huit ans ; Sapho n'en avait que vingt-six; et Léontium avait....? Quarante-deux ans, me dit Fatalita.

O ciel, lui répondis-je, j'aurais juré que vous n'en aviez pas trente.

C'est, reprit-elle, parce que vous n'en aviez alors que dix-sept : une femme ne paraît vieille de bonne heure qu'avec les gens de son âge,

Sic in amore Venus simulacris ludit amantes.

Au reste, lui dis-je, ces quatre événemens ne suffiront pas encore pour peindre cette marche progressive de l'orgueil, de la curiosité et de l'imagination qui sont la source de toutes les passions exagérées; ni de cette douce et constante indulgence de l'esprit égaré qui trouve toujours des torts à la raison lorsqu'il

veut en éviter les contrariétés : ce n'est que dans votre récit que nous apercevrons ces nuances qui doivent unir les teintes opposées de ces quatre époques encore isolées, et qui achèveront le tableau de votre vie.

Vous verrez, Monsieur, reprit Fatalita, que la faiblesse criminelle du vertueux Pysias et la mort de Laerce sont la cause de tous mes malheurs; et que, par une bizarrerie sans exemple, la confiance de la vertu, qui dans Pysias en fut l'écueil, et qui dans Laërce en devint le découragement et le délire épouvantable; qu'enfin l'égarement de l'un et le suicide de l'autre, dont cette confiance vertueuse fut aussi la cause, m'ont plongée dans un abîme d'infortunes et d'erreurs. Mais n'anticipons pas sur les événemens. Ah! Monsieur, que je vais vous paraître coupable! Vous rougirez d'avoir aimé Léontium lorsque vous connaîtrez Théodicée, et vous repousserez avec horreur votre vieille Fatalita.

SIXIÈME VEILLÉE.

Je suis trop affligé de vos malheurs, dis-je à Fatalita, pour vous les pardonner, et même pour vous croire sans y être contraint par le récit de vos infortunes; je veux au moins retarder cette conviction: il me semble qu'en la repoussant je vous éloigne de vos chagrins. Il y a près de dix-huit ans que nous sommes séparés, et je pardonne à Fatalita tous les torts de Léontium. Je ne vous dirai qu'un mot sur cela il me semble qu'à l'âge que vous aviez alors, vous deviez être plus sensée, plus raisonnable.

:

Cela est vrai, me répondit-elle, et j'aurais été plus heureuse; car il vient trop tôt cet âge où il faut renoncer aux douces folies. Les femmes le sentent bien et n'en conviennent pas; elles ont raison, parce qu'il leur reste un âge intermédiaire qui n'est plus celui des passions, mais qui est encore celui du bonheur. Ecoutons Lucrèce. En renonçant à l'amour, on ne se prive pas de ses douceurs'; au contraire on jouit de ses charmes, sans en

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