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physiques sur les objets de nos respects; car alors la sévérité avec laquelle nous croyons devoir juger les torts d'autrui, nous conduit toujours à la plus extrême indulgence pour les nôtres.

Ce sont abus, dit Montaigne; ôtez toutes ces subtilités épineuses de la dialectique de quoi notre vie ne se peut amender; prenez les simples discours de la philosophie, sachez les choisir et traiter à point; ils sont plus faciles à concevoir qu'un conte de Bocace. La philosophie a des discours pour la naissance des hommes, comme pour la décrépitude,

Gardons-nous de vouloir trop analyser nos sentimens; ils échappent à la discussion, et disparaissent quelquefois sous le raisonnement inquiet qui veut les soumettre, les précéder, et ne doit que les suivre.

Quant à la destinée, je crois, ma chère Fatalita, qu'il vous a été plus facile de faire de cette opinion absurde, l'excuse très-consolante et très-indulgente de vos aimables torts, qu'il ne vous le sera de prouver qu'elle en a été la cause.

Je ne veux pas, à propos de quelques torts dont ce systême a été pour vous le doux apologiste, vous parler de tous les malheurs qu'il produits, de tous les malheurs dont il sem

blait être la justification, des prétextes cou-. pables de cette superstition immorale et sacrilége qui rejette ses fautes et ses crimes sur cette fatalité destructive du libre arbitre, et dont l'absurbe impiété semble reprocher à Dieu de punir avec une sévérité barbare les crimes que lui seul avait fait commettre. Croyez-vous qu'il soit permis de dire,

Le destin nous entraîne à nos affreux penchans.

Je n'ai rien fait, Dieu seul en est l'auteur: Ce n'est pas moi, c'est lui qui manque à ma parole, Qui frappe par mes mains, pille, brûle, viole.

Je vous ai promis, Fatalita, de répondre à vos objections sur cet objet, et de vous prouver que ce n'est pas sur des exceptions qui étonnent qu'il faut établir un systême déraisonnable; c'est cependant un peu la manière de tous ceux qui, comme vous, préfèrent des illusions aux vérités simples.

Je suis d'autant plus étonné de votre opiniâtreté à soutenir cette opinion, qu'elle n'était pas celle de Lucrèce.

Libera per terras, undè hæc animantibus extat,
Undè est hæc, inquam, fatis avolsa voluntas,
Per quam progredimur,quò ducit quemque voluptas.

Il me semble au reste que cette dispute, comme tant d'autres, est une querelle de

mots, et qu'il suffit de ne pas se refuser à l'évidence, lors même qu'elle nous condamne, pour être persuadé sans efforts, et éviter ce dédale sombre de la métaphysique qui n'offre que des chimères dont rougissent ceux mêmes qui les adoptent avec opiniâtreté, et à qui on pourrait dire comme Diogène à un homme qui voulait éviter d'en être aperçu, parce qu'il était dans un mauvais lieu; Eh! mon ami, pour prouver les regrets il suffirait d'en sortir.

Les anciens nommaient destin, les lois que Dieu donna aux ames immortelles lorsqu'elles se présentèrent devant la vierge Lachésis, fille de la Necessité, pour choisir des corps comme on choisit des vêtemens, avec cette différence que ce choix étant irrévocable, la faute en retombe sur celle qui s'est trompée.

Loin de notre esprit ces pensers criminels Qui dégradent des dieux l'immortelle nature, Et les font ouvriers de chaque créature. Si les dieux ne vivaient dans la tranquillité, A quoi leur servirait leur immortalité?

Ils disaient aussi que le destin est l'ame de l'univers divisée en trois sœurs ou parques ou mesures de tems, c'est-à-dire, le passé, Je présent, l'avenir; qu'il enferme comme dans un cercle l'infinité de tout, sans être lui

même infini; qu'après avoir parcouru ce cercle, les mêmes hommes, les mêmes choses et les mêmes événemens doivent renaître ; et que cela arrivera après trente-six mille ans 3. Vous savez que Platon a dit aussi que Dieu ayant créé l'univers choisit de bonnes ames en nombre égal à celui des astres, et qu'après leur avoir fait admirer le grand spectacle des mondes naissans, il leur dévoila les lois du destin; qu'ensuite il les chargea des autres petits soins de la création, mais sans garantir les maux qui pouvaient en résulter.

Au reste, toutes les questions sur le destin ressemblent à la plume légère qui amuse les enfans pendant qu'elle est en l'air le moindre souffle suffit pour l'y soutenir; mais quand on ne s'en occupe plus, elle tombe. Homère est le premier qui en ait parlé.

Deux mots suffisent dans ces discussions métaphysiques; il serait même encore plus sage de n'en rien dire, puisqu'il est toujours inutile d'en parler long-tems: c'est disserter sur la pointe d'une aiguille; mais heureusement dans la conversation on peut effleurer tout, et le coin du feu n'exige pas l'éloquence de l'école.

Vous avez dit que la douleur et le plaisir, ainsi que le bien et le mal, ont leur cause

hors de nous; que ne pouvant rien, nous ne pouvons être coupables; que tout étant machine dans la composition de la grande machine de l'univers, nous sommes aussi des machines dont les ressorts sont calculés et mus suivant les principes universels; que vous ne pouvez savoir quelle sera votre pensée dans une minute; que vous en êtes moins encore la maîtresse quand vous dormez; que conséquemment la presque totalité de votre vie ne dépend pas de vous, et qu'il vous en reste trop peu dont vous puissiez disposer pour qu'il vous soit facile d'expliquer comment cette partie de votre existence est à vous, quand l'autre est soumise aux lọis universelles. Vous vous presserez de conclure que le principe universel d'action agit en nous comme sur les astres, les plantes, les animaux, et que nous sommes à cet égard très-complettement comme tout le reste de la nature.

C'est ici que le champ s'ouvre à toutes les obscurités métaphysiques, parce que la solution de l'évidence problématique ne tient pas à la question même, mais à tout ce qui la précède. Pour aborder le but, remontons au principe.

J'existe; donc quelque chose existe de toute éternité. Tout l'univers annonce une

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