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un écu, à un souper, à une pièce d'étoffe rouge. Quels risques cependant je courais, si comme vous n'en doutez pas,

si,

.... Tout n'est pas détruit, si sur les sombres bords
Ce souffle si caché, cette faible étincelle,
Cet esprit, le moteur et l'esclave des corps,
Ce je ne sais quoi, qu'on nomme ame immortelle,
Reste inconnu de nous est vivant chez les morts!

Est-ce ainsi que j'ai dû choisir le bonheur ou
le malheur éternel? Ah! je ne puis penser que
Dieu punisse des torts qu'on n'a pu éviter,
Adorons, lui dis-je, sa puissance, et ne la
craignons pas. Honorons la divinité
par des
vertus et non par des terreurs : plaignons
également le superstitieux et l'athée ; l'un est
sans repos, l'autre sans espérance.

Enfin, reprit Fatalita, si l'on examinait avec la même attention tous les brins variés du fil dont la trame de la vie est tissue, on verrait les causes faibles, ou cachées, ou ridicules, d'où naissent les succès des méchans, les chagrins de l'homme vertueux, les succès de la prudence, le bien et le mal, et le choix d'une religion.

Dieu grave en tous les cœurs la loi de la nature,
Seule à jamais la même, et seule toujours pure.
Sur cette loi sans doute il juge les païens,
Et si leur cœur fut juste, ils ont été chrétiens.

Que d'observations, lui dis-je, naissent de ce

léger récit des premiers instans de votre vie! Fidelle à votre systême, vous n'y voyez que l'influence de la destinée, et, consolée par la néces sité qui vous paraît être la cause de tout, vous conservez, sur un sujet aussi important, cette indifférence qui n'est pas même seusible à la réflexion intérieure qui vous accuse. Tel est le danger d'une imagination vive et frappée dans un point unique : elle aperçoit tout sous le même rapport, et l'horizon moral étroitement circonscrit par cette seule manière de juger, ne peut plus avoir d'étendue que par le délire qui l'exagère et ne le mesure pas.

Si cependant vous pensiez un instant aux malheurs inouis dont la différence des opinions théologiques a couvert la terre, au sang qu'elles ont fait couler, aux victimes qu'elles ont multipliées à l'infini, vous parleriez avec effroi de ce qui paraît à peine vous occuper.

Oui, Fatalita, il n'est que trop vrai que des systêmes divers, qui tous, par leurs principes, pouvaient être les bienfaits du ciel, ont été, par leurs abus, la cause ou le prétexte des crimes.

Il n'est que trop vrai que des religions qui n'ont souvent pour guide, dans le choix qu'elles paraissent offrir, que le hasard qui préside à la naissance des hommes et la fixe dans une contrée plutôt que dans une autre,

les ont quelquefois égarés jusqu'à leur persuader qu'ils devaient hair, au nom d'un Dieu bienfesant, des peuples infortunés qui cependant n'avaient d'autres torts que d'avoir vu le jour sous un autre point de ce globe, qui n'est lui-même qu'un point dans l'immensité de l'univers; et, pour cette seule différence géographique, ces infortunés leur paraissaient déyoués dans ce monde aux vengeances, aux forfaits de l'intolérance fanatique, et condamnés par elle aux supplices de l'éternité.

L'univers est un temple où siège l'Eternel:
Là chaque homme a son gré veut bâtir un autel.

Je ne vous répéterai pas à ce sujet tout ce que vous savez aussi bien que moi. L'histoire des malheurs de religion est celle de tous les peuples. Ils sont produits par l'ignorance, alimentés par l'orgueil ou l'ambition, et les faiblessés de l'humanité suffisent pour les renouveler..

Je crois que cette opiniâtreté exclusive et universelle sur un point si important, et sur. lequel il serait si facile d'être d'accord, tient à des causes morales dont la connexion avec les avantages et les dangers de l'amour de soi est évidente, et prouve qu'on a peut-être eu tort de chercher ces causes dans d'autres rapports éloignés. Les erreurs et les vérités

se touchent dans le cœur humain, mais elles y existent. Si l'homme commençait par s'étudier lui-même, on verrait combien il est incapable de passer outre.

Ne sonde point de Dieu l'immense profondeur:
Travaille sur toi-même et rentre dans ton cœur.

La religion naturelle n'est qu'un sentiment de reconnaissance et d'admiration qui élève l'ame vers Dieu. Ce sentiment n'a pas besoin d'expressions convenues, ni de cérémonies prescrites. En la considérant donc relativement à Dieu et si les hommes vivaient isolément, ils n'auraient pas même la pensée d'une autre religion; mais les rapports sociaux ont multiplié les dangers qui les menacent alors ils ont senti que, pour l'utilité générale, il était essentiel que la religion devint le guide de leurs vertus, le frein de leurs vices, la règle de leurs devoirs et la mesure de leurs droits.

At nisi purgatum est pectus, quæ prælia nobis Atque pericula tunc ingratis insinuandum? Ils ont pensé que l'impie qui oserait méconnaître Dieu braverait bientôt les hommes, et qu'il ne pouvait y avoir de principes de justice pour celui dont l'immoralité sacrilége le rendrait ingrat même envers Dieu.

De cette réflexion de l'amour de soi, il

n'est qu'un pas au desir de se réunir pour offrir à Dieu des hommages d'une reconnaissance inégalement sentie peut-être, mais dont l'expression étant la même, pouvait satisfaire en même tems ce qu'on doit à Dieu et ce qu'on doit aux hommes.

Le sentiment intérieur, qui sans efforts élève l'ame vers Dieu, suffit à la religion naturelle, et ne put alors suffire à l'amour de soi; il y joignit des cérémonies, des craintes, des expiations, des mystères, des miracles, des chaînes ; et les diverses faiblesses de l'humanité enfantèrent ces cultes divers qui se partagent la terre et l'ont souvent ensanglantée. Mais ce fut l'intérêt personnel qui seul éleva les autels de Moloc, de Teutates, etc.

On maltraite en Aulide une jeune princesse :
Et qui sont les bourreaux? Tous les chefs de la Grèce ;
Son père. Mais Diane a soif de ce beau sang,
Agamemnon le livre, et Calchas le repand.

Les premières réunions avaient sans doute peu de cérémonies; elles se sont, par suite du même principe, multipliées avec les vices qui bientôt se succédèrent avec tant de rapidité, qu'il fallut bien, pour les réprimer, chercher dans les actes religieux, des moyens nouveaux à opposer à leurs dangers, de nouvelles expiations à leurs remords et de nouvelles craintes à leurs excès.

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