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aperçoit l'enfant soutenu par sa mère, et qui reçoit d'elle la première leçon de la reconnaissance.

On ne les craindrait pas ces momens d'attendrissement si on savait en jouir; ils sont mêlés de douleur, mais elle a aussi quelques charmes; et je ne crois pas à la sensibilité qui en redoute les émotions, et qui dit froidement: Je n'ose approcher du malheur.

Lorsqu'après quelques heures d'une méditation douce et profonde, l'imagination voit dans l'avenir des espérances consolantes; dans le passé, des souvenirs heureux; dans l'instant présent, l'agitation tumultueuse et vive qui peut ajouter encore à ce sentiment délicieux, on sent son cœur rempli l'ame est alors un peu exaltée : tout s'idéalise. On a quitté le monde où l'on est, pour vivre dans celui où l'on voudrait être, et qui serait peuplé d'heureux.

Friend, parent, neighbour, first it will embrace;
His country next; and next all human race.

Telle est la féerie de la bienfesance ; elle crée ce qu'elle desire, elle jouit de ce qu'elle espère. Le bienfait n'existe point encore; et le charme de la reconnaissance qu'on voudrait mériter en précède le motif: tout s'est embelli; l'air est plus pur; une magie

sentimentale, en répandant par-tout les rêves du bonheur, semble les réaliser.

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Tout-à-coup un spectre couvert de lambeaux mille fois rattachés et jamais réunis un infortuné courbé sous le malheur, vieilli par les souffrances et pâli par la faim, se présente à nos yeux, et d'une voix affaiblie il sollicite la pitié. Une légère aumône est tout ce qu'il demande : hélas! il n'ose même l'attendre, et il s'éloigne en suppliant encore. Sursa physionomie livide, creusée par l'affreuse et lente maladie du besoin, on voit les rides de l'inquiétude que le plaisir de la reconnaissance effaça rarement: on y lit la nécessité du bienfait, et non pas l'espérance.

Détournera-t-on ses regards de cette réalité épouvantable, pour conserver ses douces illusions? Verra-t-on ce malheureux avec indifférence, pour prolonger stérilement et avec délices sa pensée sur les heureux imaginaires quelle vient de créer, et que ce spectacle détruit? Le secourra-t-on sans plaisir, pour pouvoir y penser sans douleur?

Non, non, homme vraiment pieux et sensible, tu ne le fuiras pas, cet infortuné; tu cours à lui, tu lui parles, mais pour le consoler; tú l'interroges, mais pour le secourir mieux; et dans ce doux instant, tu ne sentiras le bonheur de vivre que par celui d'être bienfesant,

Tel n'était pas l'avare et dévôt Nauson; il avait acquis une grande fortune, et il prouvait ce qu'Epicure a dit, que pour beaucoup de gens ce n'est que changer de pauvreté celle de l'infortune même est encore préférable à celle de l'avarice.

Scilicet improba

Crescunt divitiæ; tamen

Curta nescio quid semper abest rei.

Elles n'avaient jamais retenti dans son cœur, ces expressions fortes de la sensibilité émue par le spectacle de l'indigence. Il citait souvent avec complaisance Caton le Censeur, qui se refusait tout à lui-même pour avoir le droit de refuser tout aux autres, et qui vendait inhumainement ses esclaves devenus vieux, ne voulant pas, disait-il, nourrir des gens inutiles".

Heav'n forming each on other to depend
A master, or a servant, or a friend,
Bids each on other for assistance call
'Till one man's weakness grows the strentgh of all.

Il faut que je vous fasse ici le portrait de
Nauson, de ce dévôt hypocrite et avare.
Le ciel est dans ses yeux, l'enfer est dans son cœur.

Sa taille était assez droite; mais ses épaules étaient un peu arrondies et portées en avant, plutôt par l'habitude que par l'âge; ses bras

étaient

étaient presque toujours sans mouvemens, et ses coudes appuyés sur ses deux côtés semblaient ne pouvoir s'en détacher. Ses yeux souvent baissés se fixaient quelquefois sur une femme jolie, avec cette curiosité avide et inquiète qui voit plutôt les dangers qui suivent tant de graces que les charmes qui les embellissent: il supportait encore avec plus de peine les regards de l'homme honnête: enfin il semblait qu'il ne voyait jamais qu'avec la crainte d'être vu. Ses genoux étaient toujours pliés : tout annonçait en lui les touchantes attitudes de la dévotion; mais elle n'était que l'habitude de tromper.

Fronti nulla fides. Quis enim non vicus abundat
Tristibus obscœnis ?

On raconte qu'un peintre de l'antiquité fut chargé de peindre un cheval se roulant par terre; quand on vint le chercher, on fut très-étonné de voir qu'il avait peint un cheval galoppant. Le peintre en souriant retourna le tableau, et c'était effectivement le sujet demandé.

Tels étaient les vertus de mon dévôt Nauson: il fallait, pour les juger, les voir dans un autre sens; et les vertus qu'on admirait n'étaient plus que les vices qu'on déteste.

Qui pourrait lire sans attendrissement l'éloge de l'homme de Ross? C'est ainsi

que la

Tome 11.

D

vénération publique nommait le respectable Jean Kirle; elle semblait vouloir faire du lieu qui le vit naître, le monument de la reconnaissance.

Qui a couvert de feuillages hospitaliers et de forêts utiles le sommet de ces montagnes? Qui a creusé ces canaux, élevé un abri près de ces fontaines, pavé le chemin de la vallée, planté les arbres qui l'ombragent? Qui a bâti cette église, cette maison de charité dont la bienfesance même chasse le faste et la vaine prodigalité?

Qui a répandu l'abondance dans cette contrée? C'est l'homme de Ross. Quelle est donc sa fortune? Cinq cents guinées de rente. Quoi! point d'orgueilleux monument! point de statue! Non, la vertu n'en a pas; mais entrez dans la chaumière du pauvre : là repose son souvenir là il est honoré. O bienfesance ! ô Pope ! que ne puis-je, en citant l'homme de Ross, en parler comme toi!

Blunt et Tuston avaient d'autres maximes
Que Nauson approuvait ; il les trouvait sublimes.
L'un dit, en élevant ses regards vers les cieux :
Dieu ne saurait aimer un mortel malheureux
Qu'il condamne à la faim, au froid, à l'indigence;
Il les refusait donc, mais d'un ton très-pieux.
L'autre ne voulait pas que de la providence
Ils osassent douter; et détournant les yeux
Il ne leur donnait rien, mais il priait pour eux.

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