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lité est le résultat de la même pensée : oubli de soi par excès de l'amour de soi, c'est-à-dire, la sottise de l'intérêt personnel.

par

Dans ce premier instant seulement, la raison peut les éclairer : plus tard, l'abus même du raisonnement paraît les excuser. L'habitude de l'avarice trouve mille motifs qui la justifient; celle de la prodigalité éloigne avec effroi les réflexions qui la condamnent.

L'avare ne voit que l'avenir; et le prodigue ne veut voir ni le passé, ni l'avenir : dans l'un il apercevrait des leçons devenues inutiles, et dans l'autre un précipice. C'est alors que ces deux passions sont absolument différentes et qu'elles sont sans remède. L'avare croirait avoir perdu le tems qu'il a si mal employé, s'il renonçait à croire qu'il a trouvé le seul moyen d'en jouir : le prodigue ne peut plus s'arrêter; tous les torts qu'il a eus, nécessitentceux qu'il doit avoir. Sa pensée ne rétrograderait pas sans douleur, et il se précipite, pour éviter jusqu'à la réflexion même qui précède sa chûte. L'avare est au fond de l'abîme des privations, et le prodigue y tombe. C'est encore à ce point qu'ils se rencontrent; car si ces deux passions ont le même principe, elles ont toujours la même fin.

Tel est le cercle que l'avare et le prodigue parcourent dans deux sens opposés. Une ré

flexion dans le premier instant, aurait pu les guérir une existence entière et mille malheurs ne le pourraient plus. Ils ont vécu en s'oubliant par amour d'eux-mêmes, et meurent en disant également : J'ai tout perdu, je n'ai joui de rien.

On n'attaque ces deux passions par le ridicule, que parce qu'elles ne sont nuisibles qu'à celui qui les éprouve. Elles n'excitent aucune indignation, parce que le mal qu'elles produisent est nul quant au bien général. L'avare qui entasse n'est que le commencement du prodigue qui dissipe.

L'un veut accumuler: esclave il se croit libre:
Sans jouir il entasse ; mais un juste équilibre
Se rétablit bientôt. La prodigalité

Reverse ses trésors sur la société.

C'est ainsi que de Dieu les volontés suprêmes
Vers le bonheur de tous dirige les extrêmes.

La raison cherche des armes contre l'ambition, l'amour, la jalousie, l'orgueil, l'envie, etc. parce que ces passions dans leurs progrès dominateurs portent avec elles le trouble et la discorde. L'avarice et la prodigalité n'excitent que le mépris ou l'étonnement, on les châtie avec le ridicule. Molière peint un avare, et ne cherche pas à le corriger. Destouches peint un dissipateur; et comment le corrige-til? Examinez les autres caractères: ils sont

susceptibles, si on peut s'exprimer ainsi, d'amendemens dramatiques, d'une progression quelconque vers le bien ou le mal: il n'y en a pas dans Harpagon ou Damis, et dès la première scène ils sont ce qu'ils doivent être et ce qu'ils seront toujours.

Pope attaque l'avarice et la prodigalité; mais c'est avec l'arme du ridicule qu'il les poursuit, et non pas avec les moyens de la raison qu'il les combat. Horace dans son ode contre l'avarice frappe moins vivement sur elle que sur le luxe. Cicéron dit qu'il ne la conçoit pas, même dans les vieillards. Avaritia verò senilis quid sibi velit, non intelligo. Potest enim quidquam esse absurdius,quàm quò minus viæ restat,eò plus viatici quærere.

Aussi, monsieur, mé répondit Fatalita, je ne prétends pas faire un traité contre l'avarice, je ne veux que vous citer quelques légers traits de celle de Nauson: il m'est un peu permis d'en parler et de m'en plaindre, et vous en conviendrez lorsque vous saurez que grace à l'avarice de ce faux dévôt j'ai failli être mahométane. Oui, monsieur, pour un écu il hésita entre la Bible et l'Alcoran, Mais n'anticipons pas sur les événemens : en abrégeant il faut tout dire, et avant que d'être née doisje déja me plaindre de la vie? N'est-il pas au moins plus gai de rire un peu de la sensibilité compâtissante de l'avare Nauson?

Je crois bien, disait-il, qu'il peut y avoir quelque plaisir à secourir les malheureux ; j'ai quelquefois senti ce premier mouvement qui nous porte malgré nous vers l'être qui souffre; je voudrais tout comme un autre être bienfesant, mais ne peut-on donc l'être au moins sur gages ou avec caution? Je crains l'ingratitude.

Il se refusait tout et donnait encor moins.
Racommodant lui-même un de ses vieux pourpoints,
Un jour il s'écriait, d'un ton très-lamentable:
Il ne tient p'us à rien; faut-il l'abandonner ?
Au malheur d'acheter la mort est préférable:
J'en connais un plus grand, c'est celui de donner.

Nauson portait des lunettes, et il assurait que c'était la lecture et le travail qui avaient usé sa vue il ne lisait guère cependant que Barême ou Mandeville.

Un des verres de ses lunettes se cassa, et il s'en servit jusqu'à sa mort sans les faire racommoder. Quand un seul peut suffire, disait-il, pourquoi regretter l'autre? Il était à cet égard comme l'Hudibras de Butler qui n'avait qu'un éperon.

C'était de tout tems sa manière,
Sachant que si sa talonnière
Pique une moitié du cheval,

L'autre moitié de l'animal

Ne resterait point en arrière.

La cuisine de Nauson était froide comme la grotte d'Arcy, mais son cœur l'était davantage. Au reste, s'il traitait les autres avec dureté, il n'avait pas plus d'égards pour luimême; et il est mort comme il a vécu, en se refusant quelque chose.

Le malheureux mourut de la gravelle.
Eh bien ! à son démon Nauson toujours fidelle,
Pour économiser oubliant de souffrir,
Avare encore à son dernier soupir:
Éteignez donc, dit-il, cette chandelle;
Sans y voir ne peut-on mourir ?

Tel; dit Montaigne, pour arriver à la pauvreté, jeta ses écus en cette même mer que tant d'autres fouillent de toutes parts pour y pêcher des richesses. Et n'est-ce pas là ce que font l'avare et le prodigue, avec cette seule différence que l'avare les compte encore en les jetant? L'avarice n'est qu'un vol fait aux autres et à soi-même.

Je ne vous parlerai pas de la prodigalité de Nauson fils; il y a mille manières d'être un dissipateur, il n'y en a qu'une d'être avare; et tous deux excitent l'étonnement de l'homme sensé qui les observe et les plaint.

Le sage sait apprécier les richesses, en jouir avec économie, et les répandre avec sagesse. Quid brevi fortes jaculamur ævo

Multa?

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