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mari aime sa femme, plus il augmente ses

travers.

Mais enfin il vient un âge pour la dévotion; c'est le besoin des cœurs tendres. Je ne parle pas de cette piété calme et raisonnée qui est de tous les tems et de tous les âges, parce qu'elle n'est que l'expression de la reconnaissance qu'on doit à la divinité, et de la consolante persuasion qui en est toujours le principe et le bonheur; mais de cette autre dévotion qui est exagérée, parce qu'elle est plutôt celle de l'imagination émué que de la conviction. L'une est le sentiment de la vérité, l'autre n'en est que le délire.

Enfin tout nous présageait des jours purs et tranquilles dans le sein de cette religion consolante et la plus indulgente de toutes celles qui contrarient les douces passions de l'humanité. Hélas! le ciel ne le voulut pas, car il voulut la mort d'Eléazar. Ma mère, en le pleurant, vendit ses meubles, sa maison, die un adieu douloureux à des parens qui depuis long-tems ne la voyaient plus; secoua, comme Abraham, la poussière de ses pieds, et partit pour Paris avec une petite somme qu'elle espérait augmenter, en y arrivant, par une créance long-tems négligée, et qui devenait bien importante dans cette circonstance, car elle était la seule.

Vous voyez que ma mère n'avait pas de grandes ressources pour son avenir, aussi ne les ménagea-t-elle pas. Ce n'est pas la première fois qu'on a pu remarquer que la prodigalité suit de près la médiocrité des et l'incertitude des espérances.

moyens

Quòd si quis verâ vitam ratione gubernet Divitiæ grandes homini sunt, vivere parcè Equo animo: neque enim est unquam penuria parvi. Le titre de cette créance était entre les mains d'un ami d'Eléazar qui se nommait Nauson, et c'est chez lui que ma mère descendit. Elle était grosse de cinq mois quand elle entreprit ce fatal voyage. Arrivée à Paris, elle recueillit et dissipa bientôt cette petite somme, graces aux soins de Nauson dont l'hospitalité ne ressemblait en rien à celle des anciens Ecossais, à laquelle cependant il la comparait souvent. C'est ainsi qu'un lâche rappelle quelquefois des actes de courage, l'homme dissimulé des traits de franchise. L'hommage à la vertu est souvent la ruse ou le masque du vice.

Ce Nauson est mort ainsi que son fils, et nous pouvons, sans offenser personne, parler de ces deux êtres si opposés dans leurs vices. Le père était avare et le fils prodigue; cela est assez ordinaire ; et ce qui ne l'est pas moins, c'est qu'un fils vicieux parle avec mépris des

défauts

défauts de son père. Le jeune Nauson m'a raconté ce que je vais vous en dire. C'est ainsi que des observations sur l'avarice et la prodigalité peuvent être impartiales, et sans le danger des applications puisque ces deux êtres vils n'existent plus, et qu'ils étaient trop haïssables pour inspirer le plus léger intérêt. Fesons, comme dit Mirobolan, des expériences in anima vili: il faut en morale, comme en anatomie, des dissections, et voilà deux sujets. Ce ne sont pas des Tyburns, mais ils méritaient d'y aller.

Allons, lui dis-je, Fatalita, votre inconce vable insouciance se croit tout permis, et en formant le projet même de juger, vous accusez avec violence. La raison veut des faits et non pas des injures. Vous êtes exagérée dans tout, et en promettant d'être juste vous commencez par cesser de l'être.

Soit, me répondit-elle, je puis avoir des torts; mais sans eux, comment établiriez-vous les moyens mêmes de la raison? C'est des débris du vice que naissent les leçons de la sagesse; et n'est-ce ainsi pas que la nature, en réunissant les extrêmes, les fait concourir à une fin utile? N'a-t-elle pas fondé la vie aux sources de la mort? N'est-ce pas en reconciliant le froid et le chaud, la sécheresse et la pluie, qu'elle a fixé le cours des tems où l'on

Tome II.

C

moissonne et de ceux où l'on sème, ainsi que l'a dit Pope?

.....

Toujours la cause universelle,
A ses premières lois attentive et fidelle,
De l'ordre général maintenant le lien,
Permet un malléger pour produire un grand bien.

Nauson était hypocrite et avare; il affectait d'être dévôt pour se dispenser d'aimer les autres, et il était ayare parce qu'il n'aimait que lui. On le jugeait janséniste d'après ses discours sévères; et c'est ainsi qu'un masque qui déplaît embellit encore un homme hideux, parce qu'il cache un visage qui révolte. On ne m'accusera pas assurément de penser en janséniste; mais je serais fâchée qu'on imaginât que mon projet est de jeter sur eux un ridicule qu'ils ne méritent pas; on compte une foule de jansénistes estimables, et quoique je n'approuve pas leurs opinions, je respecte leurs vertus.

Nauson voulait parler comme eux, mais il exagérait leurs torts pour excuser les siens. Il fut janséniste comme un sanguinaire inquisiteur est catholique. C'est en déshonorant des principes louables qu'il paraissait en faire la règle de ses actions.

Laissons-là, lui répondis-je, les jansénites. Mais Nauson, reprit-elle....

Soit, lui dis-je, il l'était comme Malagrida

était de la religion de Las Casas; mais en citant le premier, vous croiriez-vous obligée de justifier l'autre?

Quant aux discussions sur l'avarice et la prodigalité, savez-vous ce qu'elles prouvent? Rien autre chose que l'inutilité d'en parler: elles ne corrigent ni les avares, ni les prodigues. C'est peut-être par cette raison que les moralistes n'en ont presque rien dit. Ces deux passions ne sont pas dans la nature; ce sont, pour ainsi dire, des passions de circonstances, et leur principe qui est le même, pouvait également les produire l'une ou l'autre indifféremment. Ceci a besoin, d'explication."

L'avarice est un aveuglement de l'intérêt personnel, la prodigalité en est le délire. Elles ne sont pas dans l'amour de soi : cela est évident, puisqu'il faut être l'ennemi de soi-même pour devenir avare ou prodigue, et c'est au contraire par l'amour de soi qu'elles pourraient cesser au moment où elles commencent.

L'intérêt personnel, dans ses plus absurdes modifications, en est donc l'unique cause, quoique ces deux passions aient des effets divers. Ce sont deux arbres qui sortent de la même tige, et dont les fruits différens pourissent également sur la branche qui les produit: on ne les cueille jamais.

Le premier trait d'avarice ou de prodiga.

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