1 C'est ce sentiment intérieur qui dit au méchant, La punition du crime survit à tes succès; et qui dit à l'homme vertueux, Si ta récompense n'est pas dans ta vie, elle commence à ta mort. La liberté particulière d'action existe donc en nous, et elle ne s'oppose pas au principe universel d'action, puisqu'elle en est pour nous le complément et une des conséquences nécessaires. Cujus ad arbitrium quoque copia materiaï Cogitur interdum flecti per membra, per artus, Et projecta refrænatur, retroque residit*. Je reconnais par-tout, excepté dans l'homme, la vérité de ce grand principe de la fatalité : tout est enfant du passé et père de l'avenir. C'est ainsi que dans une forêt plantée par la nature et respectée par les hommes, je dirai, Ces arbres viennent des arbres qui les ont précédés, et produiront encore des arbres. Je reconnais cette succession d'effets nécessaires dans le nid de l'hirondelle, et dans l'alvéole de l'abeille qui sont toujours et partout les mêmes; je ne la reconnais plus dans ce lit entouré de médecins où gît un homme épuisé de débauches, ou accablé de remords. Je la vois dans la mort d'un oiseau tué et * C'est toujours Fatalita qui cite à tort et à travers, même lorsqu'elle ne parle pas; mais elle a averti dans la 4o Veillée qu'elle ne savait pas écouter autrement. mangé par un épervier; je ne la vois pas dans ces deux hommes qui s'embrassaient hier, et qui aujourd'hui, le pistolet à la main, s'attaquent de sang-froid, s'ajustent et cherchent à se faire réciproquement sauter la cervelle. Je la reconnais dans la gravitation des globes et le développement d'un grain de blé; je la cherche en vain dans la poésie de Racine et les tableaux de Michel-Ange, Un destin inévitable ne me parait être la loi de la nature que pour les êtres qui ne réfléchissent que par instinct, ou n'existent que par impulsion; mais dans l'homme, l'enchaînement des idées, les résultats différens des mêmes opinions dans les mêmes êtres, annonce en eux un principe particulier d'action. Si ce principe est supérieur aux deux principaux ressorts de la nature de notre être, il est donc hors de la nature. Il est en nous une volonté libre qui s'éclaire par la raison, et n'est contrainte que par le sentiment de la justice, qui se manifeste lui-même toujours par le bonheur de la vertu. Il est très-vrai qu'on peut nommer cette volonté libre, puissance; mais il n'est pas vrai, au moins je le crois, que mon chien soit aussi libre que moi : car ma volonté Tome II. B change avec ma réflexion, et je puis sur la même chose avoir mille volontés opposées : ainsi il me semble qu'on ne doit pas dire que la volonté n'est pas libre et que les actions le sont. Ne peut-on même assurer le contraire? Mon imagination peut créer à son gré des volontés que ma raison juge en me disant ce que je puis faire et ce que je dois éviter : elle choisit donc toujours celle qui est juste, et si je le suis moi-même, cette volonté libre est la seule qui devienne puissance. This light and darkness in our chaos join'd Le destin inévitable n'agit en nous que dans ce qui est dépendant des lois de la nature tels sont nos besoins et la nécessité de mourir qui est la loi de toute la nature, puisqu'elle n'est que la conséquence immé diate des lois universelles. Je ne dis donc pas que tout est bien dans la nature, je dis que tout y est nécessaire et je crois que la succession de mal et de bien dans l'ordre physique est inévitable. Nec rerum summam commutare nulla potentis.' Je vois la chaîne des êtres, je ne vois pas celle des pensées, des volontés. Un homme trouve un sep de vigne, et le plante près de sa hutte couverte de joncs, aux environs d'Agra et sur les bords de la rivière de Gemène. Quelques siècles après, des vignes couvrent nos côteaux, et, dans l'intervalle, Alexandre ivre tue Clitus. Il est certain que si le premier sep de vigne fût mort sur pied, nous n'aurions pas de vin de Chably, d'Aï ou de Chipre; mais est-ce seulement parce que ce premier sep produisit quelques grappes qu'Alexandre fut forcé de se souiller d'un meurtre aussi abominable? Alexandre pouvait boire de l'eau ce jour-là, et la chaîne des évènemens eut été rompue; mais les vignes n'en existeraient pas moins. Platon plaçait aussi nos volontés, nos ames, nos pensées dans la chaîne immuable des êtres. J'ai quelque répugnance à croire que je suis autant dispensé de réfléchir qu'une poule ou un oignon, et que leurs destinées et la mienne sont dans le même chapitre. D'où viendrait donc cette seule faculté d'hésiter? cette incertitude de la volonté? La nature en l'accordant aux hommes ne leur a-t-elle pas dit, Votre destinée cesse au point où votre volonté commence? Il n'en est pas de même dans l'ordre moral; le mal y est produit par la volonté et pent être évité par elle; il n'est pas nécessacre puisqu'il contrarie ce principe de toute jas tice qui nous indique les moyens de pens pas coupables, et nous console par le sentiment de l'avenir des malbeurs et de la méchanceté de ceux qui ont la volonté de l'être, et qui trouvent leur châtiment dans la crainte de ce même avenir où l'homme juste a placé l'espérance. Enfin il n'y a point de destin inévitable dans l'ordre moral, il n'existe que dans l'ordre physique. Voltaire a dit que les imbecilles seuls, pensent que l'homme prudent fait lui-même son destin. Il me semble que ces imbécilles-là ne le seraient pas tant s'ils ne considéraient le destin que dans l'ordre moral. Il ajoute que le prudent succombe sous la destinée loin de la faire, et que c'est au contraire le destin qui fait les prudens. En ce cas il fait donc aussi les imprudens, les coupables, les vicieux, les criminels, etc. etc. Je crois que je ne puis empêcher la gravité mutuelle des parties de la matière, mais je ne puis penser que ma volonté n'a pas quelque influence sur ma destinée morale. Si mon destin est de faire un livre médiocre et qui doit ennuyer les lecteurs, je pourrais aussi ne pas écrire et l'on peut se dispenser de me lire; ainsi ce n'est pas mon destin qui a tort, c'est ma volonté. La destinée de Voltaire était d'éclairer l'univers par ses ouvrages immor 1 |