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intelligence suprême; donc il en est l'ouvrage. Enfin, vous avez reconnu un principe universel d'action, une suprême intelligence, un dieu créateur de tout, qui a tout précédé et qui est éternel et infini. Il est donc juste, car il est absurde de supposer que l'être qui peut tout puisse vouloir ce qui est injuste. La volonté n'est en nous que la possibilité. de choisir, et celle même d'abuser en est la preuve; car abuser n'est que choisir mal dans la manière de vouloir.

Comment appellerez-vous cette faculté de choisir?-Liberté d'action.-Mais cette liberté particulière d'action, me disiez-vous, ne peut exister, puisqu'elle s'oppose au principe universel d'action. Voyons donc comment elle existe, et comment non-seulement elle ne s'oppose pas au principe d'action mais comment elle en développe les principes.

Tous les animaux souffrent et jouissent. La douleur, le plaisir existent dans tous les êtres qui respirent. La réflexion, la prévoyance, le raisonnement qui les modifient, les dirigent, les diminuent ou les augmentent, viennent done d'une cause supérieure, car je ne la retrouve pas dans tous les êtres qui res-, pirent. Quelle est cette cause? Elle échappe à ces lois universelles que vous reconnaissez dans tout ce qui existe.

Voilà ce que je ne crois pas, me dit Fatalita, ear les animaux qui seuls vous paraissent soumis aux lois de la destinée, ont aussi cette possibilité de choisir; et si vous voulez, je vais vous raconter l'aventure d'un milan et d'un aigle, qui vous attestera cette opinion. Je suis d'autant plus persuadée de la vérité de cette anecdote, que 1o. elle se trouve dans un poëme latin très-estimé, et dont l'objet est de combattre les erreurs. Que 2°. par une bizarrerie assez fréquente, elle prouve tout le contraire de ce que l'auteur assure; et j'en conclus qu'il faut pour se condamner ainsi par ses preuves mêmes, être soumis, vaincu par l'ascendant irrésistible de la vérité 4.

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Je me rappelle, lui dis-je, cette aventure du milan et de l'aigle à laquelle personne n'ajouta foi, et vous conviendrez qu'elle n'est pas même vraisemblable. Je pourrais vous citer mille autres traits de cette force dans de très-graves ouvrages de philosophie et de physique, qui annoncent aussi la volonté de combattre les erreurs, et qui se contentent de les remplacer par d'autres chimères tout aussi absurdes; mais cela nous écarterait de l'objet de la discussion qui nous occupe. Vous conviendrez que, même après l'histoire du milan et de l'aigle, je puis dire encore que je ne reconnais pas dans les animaux l'in

fluence de cette cause supérieure qui échappe aux lois universelles dépendantes elles-mêmes des propriétés de la matière.

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La faculté de choisir, prouve la possibilité de choisir bien; le sentiment de la justice en est donc la conséquence nécessaire le mal commis en est l'oubli, et le tort commence où l'ignorance cesse. On est donc coupable du moment où l'on commence à le devenir, puisqu'on sent déja qu'on l'est et qu'on pouvait ne pas l'être.

: Revenons sur nos pas. C'est en parcourant le cercle qu'on ne peut s'éclairer, parce qu'on revient toujours au même point. Touchons, s'il se peut, à tous les points de la circonférence, mais toujours en partant du centre.

Dieu est puissant, éternel et souverainement juste. Il n'est pas la cause du mal, et nous donna les moyens de le connaître. Il créa la vertu qui n'est que le sentiment du bonheur attaché à ce qui est bien, pour nous apprendre à éviter ce qui est mal. Il est la source de l'ordre sublime et universel, et ne peut être celle du désordre particulier. Mais pourquoi, direz-vous, n'a-t-il pas empêché. le mal? pourquoi le punit-il puisqu'il pouvait l'empêcher et qu'il ne l'a pas voulu? Et je répondrai : Pourquoi créa-t-il l'univers? pourquoi, étant le principe de création et

le

d'action, emploie-t-il la destruction pour renouvellement des êtres créés? pourquoi la foudre écrase-t-elle des arbres, au lieu de s'en tenir à purifier l'atmosphère qui leur donne la vie? sait-on pourquoi, comme l'a dit Lucrèce, elle exerce vainement sa fureur dans les déserts, et passe à côté des coupables pour aller frapper une tête innocente?

Sors tua mortalis, non est mortale quod optas.

Et cette foule de faiblesses, de passions qui de toutes parts accablent l'humanité ! quelle en est aussi la cause? Dieu a voulu que le mal existât; et de quoi vous plaignez-vous? ne vous a-t-il pas donné les moyens de l'éviter? pourquoi êtes-vous coupable, puisqu'il attacha tant de bonheur à la vertu?

Pour trancher la difficulté, on a osé dire : Si les choses ne vont pas mieux dans ce monde, c'est qu'il était dans la nature de Dieu de ne pas faire mieux; elle n'est pas infinie; il ne peut prévoir l'avenir; il ne peut que conjecturer, et conséquemment il peut se tromper: tout ce qu'il a fait prouve sa puissance et non pas sa toute-puissance. C'est ainsi que, ne pouvant atteindre à l'évidence par des raisonnemens, on veut y arriver par des blasphêmes.

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Toutes les sectes des philosophes, ajoutent-ils, ont échoué contre l'écueil du mal physique et moral. Il ne reste que d'avouer que Dieu ayant agi pour le mieux, n'a pu mieux faire; et cette nécessité finit toutes les disputes.

Il me semble qu'il y a une nécessité plus sage et bien démontrée par ces conséquences effrayantes et dangereuses, c'est celle de ne pas disputer sur des choses qu'il est impossible de concevoir et d'expliquer; et je crois que cette question du mal tant discutée peut se terminer par une seule réflexion; c'est qu'il ne faut craindre que celui qu'on peut faire.

Mais, direz-vous encore, pourquoi celui qui évite le mal et qui veut être vertueux, n'est-il souvent pas aussi heureux que celui qui n'évite pas le mal et ne veut pas être

vertueux ?

Vous interrogez Dieu, et sa réponse est dans l'avenir; elle est dans sa justice et dans sa puissance; elle est en vous. C'est ce sentiment intérieur qui vous dit d'espérer quand vous souffrez; qui vous console lorsque l'injustice vous afflige; qui place un avenir compensateur à côté du passé qui vous révolte; et qui enfin vous élève vers Dieu quand vous avez à vous plaindre des hommes.

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