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autant du bonheur, souvent sans en jouir. Considérez tous les états, toutes les circonstances de la vie; par-tout des plaintes, des gémissemens: cependant si l'ame est tranquille, et si le passé de la vie n'offre à votre pensée que des devoirs toujours remplis par le peu de bien que vous avez pu faire, vous verrez dans les contrariétés, les chagrins, les maladies, les malheurs même inséparables de la destinée humaine, vous verrez, dis-je, jaillir quelques étincelles de bonheur de l'espérance qu'on ne perd jamais et qui console toujours.

Un fils pleure sur la tombe de ceux dont il a reçu la vie certes, dans cet instant, l'illusion ne trompe plus; s'il avait eu des torts, sa douleur les lui retracerait sans ménagement, et il sentirait vivement alors ceux même qu'il ne se reprocha jamais ; mais son cœur oppressé cesse de l'être, l'espoir de l'avenir se mêle à ses chagrins et les adoucit; ses yeux sont mouillés de plus douces larmes, et ses pensées sont plus calmes, s'il peut se dire: Je fus toujours fils respectueux, reconnaissant et bon. Ah! notre amour pour les auteurs de nos jours prépare dans notre enfance le bonheur et la consolation de l'âge mûr. Celui qui les néglige ces êtres respectables, objets chéris du culte sacré de la reconnaissance, se prive de mille plaisirs et se prépare mille regrets,

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Plaignons plus encore ceux qui osent troubler leur vieillesse par des discussions coupables, fussent-elles justes. On doit honorer, comme la vérité, leurs erreurs et leurs torts même. La nature, en nous donnant le besoin de les aimer et d'être aimé d'eux, nous dit assez que ce sentiment est la loi suprême de la vie, que celui qui la transgresse a violé le pacte universel, et que le bonheur ne sera plus pour lui qu'une ombre fugitive, toujours sous ses yeux, et dont le repentir le sépare à jamais. Les pensées de notre enfance ont long-tems les charmes de ce sentiment filial, et ils en conservent toujours les bienfaits. C'est ainsi qu'on pourra toujours trouver dans son cœur le courage qui supporte la douleur et qui peut la calmer, le souvenir sans reproches qui rend le passé sans amertume, et l'espoir qui place dans l'avenir le bonheur qui lui échappe.

While pleasure, gratitude, and hope, combin'd,
Still spread the int'rest, and preserv'd the kind.

Se trouve-t-on dans des circonstances plus favorables, il faut encore en appeler à son cœur pour les juger et en jouir: c'est notre sentiment intérieur qui colore tous les évènemens de la vie, ils sont toujours teints de notre propre sensibilité et de notre propre estime ; ils n'ont d'influence sur nos pensées que par nos

pensées même: c'est toujours à nous qu'il faut nous plaindre de nous, et non pas de la destinée, de la nature, de la vie; mais moins encore de Dieu qui nous donna le sentiment, raison et le besoin d'aimer; il a tout fait notre félicité.

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pour

La nature a placé le bonheur en toi-même.
Aux plus doux sentimens, la sagesse suprême,
Pour embellir ta vie, offre des alimens
Dans le besoin d'aimer, charme de tous les tems:
Ce feu pur et sacré quelquefois se consume',.
Au flambeau du malheur souvent il se rallume?

Quand un homme est malheureux, ne l'interrogez pas; un infortuné mérite tant d'égards! mais s'il s'interrogeait lui-même d'après ce principe, j'atteste qu'il trouverait dans son cœur la cause de ses maux, s'il pouvait les éviter, et sa consolation s'il ne les mérite pas.

Mais, dira-t-on, le bonheur a été réparti sur les humains d'une manière si inégale, qu'on ne peut imaginer que cette inégalité de partage soit l'ouvrage de Dieu, puisque tous les hommes en naissant doivent y avoir les mêmes droits.

Cet enfant meurt au berceau; cet homme a vécu un siècle: lequel des deux plaindrezvous? Je vois là une différence par rapport à nous, je n'en vois pas relativement au tems, puisque ces deux termes ne sont plus en pro

portion quand ils cessent d'être. Jugeons de même le bonheur, c'est le but de la nature vers lequel chacun fait plus ou moins de pas:

Et d'espoir en espoir il arrive au tombeau.

Il n'est donc pas dans un seul point fixe, mais dans la tendance universelle vers ce point, dans le projet d'en approcher et dans l'espérance même d'en jouir. Si, à chaque effort, on se plaint de ne pas y toucher, on est sans cesse comme celui qui, pensant sans cesse à la mort vers laquelle chaque instant nous amène et dont il fait partie, s'alarmerait sans cesse et placerait l'emploi de la vie dans la crainte de la mort.

Le desir et la crainte sont les élémens primitifs de la conservation de notre existence; mais si la raison n'en réprime pas sans cesse les excès, ces motifs de la bienfesance prévoyante de la divinité ont des résultats des tructeurs. Sénèque a dit : Savoir craindre et savoir desirer sont deux sciences sans lesquelles tout ce qu'on sait est inutile. Ecoutons aussi Epictete: Transporte donc tes craintes et tes desirs des choses qui dépendent de nous sur celles qui en dépendent.

Pourquoi donc m'affliger si ma débile vue

Ne peut percer la nuit sur mes yeux répandue? Chacun a dans son cœur les moyens qui doi

vent produire l'espèce de bonheur qui lui est assigné ; s'il les compare avec ceux qui lui sont refusés, il devient ingrat ; s'il ne voit que ceux dont les autres jouissent, il devient envieux; s'il les ambitionne trop ardemment, il devient injuste. Je vois naître de cette cause seule toutes les passions qui tourmentent, les chagrins amers de la privation, l'ennui de la jouissance, le dégoût de la vie, les inquiétudes qui la troublent et les malheurs qui l'abrègent.

Le ciel en nous formant mélangea notre vie
De désirs, de dégoûts, de raison, de folie,
De momens de plaisirs et de jours de tourmens;
De notre être imparfait voilà les élémens.

On éviterait tous ces désordres si l'on rentrait souvent dans son cœur, si on l'écoutait toujours, si on ne s'en éloignait pas, si on ne repoussait jamais les inspirations salutaires de l'amour de soi qui en jaillissent par le sentiment et qui s'éclairent par la raison. Comme dans un voyage de long cours, dit Epictete, si ton vaisseau entre dans le port, tu sors pour faire de l'eau, et chemin fesant tu peux amasser un coquillage, un champignon; mais tu dois avoir toujours ta pensée à ton vaisseau, et tourner souvent la tête de peur que le patron ne l'appelle; et s'il t'appelle, il faut jeter tout et courir sans regarder der Tome II.

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